Cet avis de Christian de Joannis de Verclos mérite d’être lu attentivement. D’abord, on ne pourra pas accuser de Verclos de mener une « guerre ethnique » contre le propriétaire foncier de SEGUINEAU : il est Français de France ou « métro » comme ça se dit.
Contrairement à celui qui a été longtemps son employeur à l’ex-conseil général, Christian de Verclos (ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts), lui, par expérience, connaît le sujet et a gardé une mémoire aussi intacte qu’honnête de l’histoire de la canalisation d’eau potable de SEGUINEAU.
De 1987 à 1992, il a été directeur de la DDST/conseil général, puis directeur général adjoint du conseil général entre 1992 et 2011.
Francis CAROLE
Jeudi 24 décembre 2020
« Monsieur le Commissaire Enquêteur,
suite à l'avis préfectoral de mise à l'enquête publique du projet d'établissement d'une servitude publique destinée au rétablissement de la continuité de la canalisation dite de l'UPEP de Vivé au lieu-dit Séguineau, commune du Lorrain, je vous prie de bien vouloir enregistrer mon
avis extrêmement favorable, motivé par les considérations ci-après :
Le projet proposé vise à rétablir la canalisation de diamètre 800 millimètres
emportée le 5 mai 2009 par l'un des nombreux glissements endémiques affectant la rive gauche de la rivière du Lorrain en amont de son franchissement par le pont de la RN1 au lieu-dit Séguineau.
Il convient de rappeler que l'usine de Vivé, reconstruite par le département de la Martinique, désormais gérée, exploitée, maintenue et entretenue par la Collectivité Territoriale de Martinique, assure le traitement de potabilisation et, singulièrement, d'élimination, du chlordécone et de ses métabolites, de l’eau captée par la prise d’eau située sur la rivière Capot. La capacité a été dimensionnée à l'origine pour pouvoir atteindre 40 000 m3 par jour. L'eau produite est destinée aux usagers de la façade Nord-Est de la Martinique, du Sud et du Centre. Potentiellement, selon la saison et notamment l'intensité des épisodes climatiques de sécheresse, c'est entre un quart et un tiers de la population de la Martinique qui est concerné. Ceci atteste du caractère incontournable et vital des mesures destinées à rétablir à son niveau nominal la capacité de transport de la production de l'usine.
Le tracé projeté permet de s'affranchir significativement des zones de glissements affectant les terrains de la rive gauche de la rivière du Lorrain : il assure donc une sécurité raisonnable à la canalisation dont l'importance
est majeure pour la Martinique. Il reste le seul réaliste, toutes les autres variantes imaginables se heurtant à des contraintes topographiques, géotechniques ou d’environnement (bâti notamment) insurmontables. Les alternatives sous réseau routier sont quant à elles porteuses de très fortes difficultés techniques dues aux travaux sous circulation, extrêmement pénalisants, couteux, impliquant de multiples phases et donc un délai global insoutenable ainsi que des préjudices inacceptables pour les usagers comme pour les riverains. Plus qu’un optimum, ce tracé s’avère en réalité le seul réaliste.
L’usine de Vivé a prouvé depuis sa reconstruction ses performances inégalées en matière de fourniture d’une eau saine malgré le niveau élevé des pollutions d’origine anthropique, essentiellement dues aux bananeraies, affectant en amont du captage gravement la rivière Capot et ses principaux affluents traversant des aires de plantations, Falaise, Pirogue, Providence, Madeleine, Saut, Bœuf et Ravine.
Au-delà donc de l’aspect quantitatif lié à la nécessité de mettre à disposition des entités distributrices d’eau situées en aval un débit proportionné à leurs besoins, l’aspect qualitatif est essentiel dans ce dossier. Il s’agit en effet de limiter au maximum le recours à d’autres ressources notoirement insuffisantes en Carême, mais surtout, ne bénéficiant pas de la garantie de qualité, de pureté et d’innocuité de l’eau produite par l’usine de Vivé, de loin la plus moderne, la plus efficiente et la plus stable des unités de captage, prélèvement et potabilisation d’eau de toute la Martinique. Non seulement la population a droit aux volumes
nécessaires à satisfaire ses usages mais encore, la qualité de l’eau délivrée doit être portée à son maximum pour d’évidentes raisons de santé, de salubrité, d’hygiène, de confort et de sécurité de vie. Toute action visant à limiter l’emploi d’autres sources d’approvisionnement alternatives moins fiables répond incontestablement à une attente légitime et à une exigence insurpassable.
Les inconvénients et préjudices sur les parcelles qu’il est envisagé de traverser sont négligeables voire nuls. En effet, le niveau d’enfouissement prévu est totalement compatible avec tout maintien des façons culturales actuelles, a fortiori avec toute évolution ultérieure qui ne pourrait aller que dans le sens d’un travail plus superficiel des couches arables. Il suffit pour s’en convaincre de constater que le passage de l’actuelle canalisation, y compris dans la partie détruite par le glissement de mai 2009, n’a jamais généré de réclamation au motif de prétendues gênes pour les cultures tant son impact sur la sole agraire est imperceptible et négligeable. En revanche, les conséquences pour la population souffrant de pénuries en carême et, en toutes saisons, obligée de se contenter d’une eau de moindre qualité, sont plus que significatives. Ces conséquences mériteraient d’ailleurs une évaluation monétisée globale dont nul doute que le résultat serait sans commune mesure du montant des travaux qui ont dû jusqu’à
présent être incessamment différés et reportés. Le bilan avantages / inconvénients se passe donc de commentaires.
Au-delà des critères quantitatifs et qualitatifs, il y a donc une véritable urgence, y compris économique, à rétablir dans de bonnes conditions le transfert d’eau potable issue de l’UPEP de la Capot. S’il est loisible d’imaginer que certains auraient pu être tentés de mettre à profit cette réelle urgence pour mobiliser une pression intéressée et en tirer quelque avantage, force est de constater que les motifs de blocage des travaux de réparation paraissent dérisoires.
Il serait d’ailleurs présomptueux, voire insolent, d’imaginer que les travaux excellemment menés lors du premier établissement de la canalisation par la Direction Départementale de l’Agriculture sous l’autorité du Préfet dans le cadre d’une maîtrise d’ouvrage départementale auraient fait fi des règles de droit afférentes au respect des propriétés privées et à la juste compensation des inconvénients le cas échéant allégués. Cette hypothèse est d’ailleurs aisément balayée par le fait qu’aucune réclamation n’a jamais été, là non plus, présentée par aucun des propriétaires intéressés.
Et en tout état de cause, bien que certains auteurs estiment que la théorie de l’usucapion ne s’applique pas aux canalisations souterraines car invisibles et indéterminées, ce n’est pas le cas pour la parcelle D1379 dont le propriétaire est signataire de la convention du 16 juin 1980, attestant de sa parfaite connaissance de la présence du tuyau visé en son premier article. Il pourrait en découler, sous réserve de l’appréciation souveraine du juge que, sans faire obstacle au versement de l’indemnité de 3000 € proposée par la lettre recommandée de la Collectivité Territoriale de Martinique datée du 20 novembre 2020 pour le nouveau tracé, un examen plus attentif du dossier conduise à retenir l’illégalité du versement de 92 347,46 € précédemment liquidé et à exiger son remboursement, le département étant de fait déjà propriétaire de la bande de terre traversée par l’ancien tracé ou tout au moins investi d’une servitude sur celle-ci.
En conclusion, je réitère mon avis extrêmement favorable à l’instauration de la servitude objet de la présente enquête, en l’assortissant de deux recommandations : déclarer l’urgence de la réalisation des travaux et réexaminer la licéité du versement antérieur d’une indemnité afférente à l’ancien tracé.
Je reste à votre disposition pour tout complément éventuel et vous prie d’agréer, Monsieur le Commissaire Enquêteur, l’expression de mes cordiales salutations.
Christian de Joannis de Verclos,
Ingénieur Général des Ponts et Chaussées Cl. Exc. - ER
NB : j’adresse copie de cet avis, par courtoisie et pour leur parfaite information, à M. Stanislas Cazelles, Préfet de la Martinique, à M. Antoine Poussier, secrétaire général de la Préfecture, à M. Jean-Michel Maurin, Directeur de l’environnement, de l’aménagement et du logement, à M. le Docteur Jérôme Viguier, Directeur Général de l’Agence Régionale de la Santé. »
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