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ROMANCIERES CARIBEENNES FRANCO-CREOLOPHONES : LES 25 LIVRES INCONTOURNABLES

ROMANCIERES CARIBEENNES FRANCO-CREOLOPHONES : LES 25 LIVRES INCONTOURNABLES

   La place des écrivains-femmes ou écrivaines comme on dit maintenant au sein de la littérature franco-créolophone des Caraïbes est fort contrastée. En effet, il y a des pays où elle est reconnue à sa juste valeur comme la Guadeloupe et dans une moindre mesure Haïti et d'autres où elle reste dans l'ombre à cause du poids de la littérature masculine comme en Martinique et en Guyane.

   Difficile de se faire une place au pays des CESAIRE-ZOBEL-GLISSANT-PLACOLY-ORVILLE-BRIVAL-CHAMOISEAU-CONFIANT pour ne citer que les plus en vue des auteurs martiniquais auquel on peut ajouter FANON qui a écrit des pièces de théâtre. L'explication de ce phénomène tient sans doute au fait que la Martinique est l'un des rares pays caribéens qui n'a jamais été bouleversé par aucune révolution même si elle a connu des révoltes importantes telle l'Insurrection du Sud de 1870. Société coloniale où le pouvoir béké (blanc créole) n'a jamais été ébranlé contrairement à Saint-Domingue devenu Haïti et la Guadeloupe. Ou encore, pour citer des pays non franco-créolophones : Cuba l'hispanophone ou Grenade l'anglophone.  Il y a aussi l'occultation, jusqu'à tout récemment, des textes de Suzanne CESAIRE et de son rôle dans l'émergence de l'idée de Négritude ainsi que l'exécution de Mayotte CAPECIA par Frantz FANON dans Peau noire, masques blancs. 

   A l'inverse, en Haïti et en Guadeloupe, les plumes féminines ont toujours fait jeu égal avec leurs alter ego masculines et leur renommée a dépassé les frontières de ces pays comme en témoignent le Prix Nobel alternatif attribué à la Guadeloupéenne Maryse CONDE en 2018 ou la chaire de littérature francophone au Collège de France que s'est vue confier l'Haïtienne Yannick LAHENS en 2019. Ce qui ne signifie pas que les femmes écrivent peu en Martinique et en Guyane. Simplement elles peinent à émerger en dépit de la qualité de leurs textes, chose qui, fort heureusement, semble être en train de changer.

   La liste des 25 romans caribéens incontournables écrits par des femmes que l'on trouvera ci-après est forcément lacunaire et arbitraire. Elle n'est ni un classement ni un palmarès puisque la littérature n'est pas une activité scolaire et encore moins une activité sportive dans lesquelles les vainqueurs sont désignés de manière objective mais la rencontre de deux subjectivités : celle de l'auteur et celle du lecteur. Cette liste est donc une première approximation, une sorte d'état des lieux qui demandera à être périodiquement révisé. Sinon la difficulté réside aussi dans le fait de rassembler quatre territoires (Haïti, Guadeloupe, Guyane et Martinique) qui, s'ils partagent une culture créole commune, ont connu des évolutions sociales, économiques et surtout historiques assez différenciées.  

   Reste un problème plus général non résolu : existe-t-il une écriture spécifiquement féminine ? FLAUBERT aimait à proclamer en effet : "Madame Bovary c'est moi !". Est-ce qu'un texte anonyme, par exemple, peut être attribué sans difficulté, à coup sûr, soit à un homme soit à une femme ?...

 

***

 

      1. Marie VIEUX CHAUVET (Haïti) : née en 1916 et décédée en 1973, M. VIEUX CHAUVET a bâti une œuvre puissante dont l'écho fut atténué dans son pays par un événement rocambolesque : le rachat par sa famille aux éditions Gallimard de tout le stock du roman que cet éditeur parisien avait accepté de publier : Amour, colère et folie, cela en 1968. Les proches de l'auteur craignaient, en effet, les réactions du régime dictatorial de François DUVALIER. Ce roman majeur ne sera alors disponible que quelques trois décennies plus tard ! Il s'agit, en fait, d'une trilogie, Amour d'abord qui est un livre de et sur la passion. Une passion pour un homme, mais une passion, métaphore à peine voilée de celle que la narratrice voue à son pays. Un pays pris dans la tourmente depuis bien avant son indépendance et dont l’histoire ensuite n’a cessé d’être tourmentée. Amour raconte l’histoire de Claire dont le prénom justement dit toute l’antinomie qu’elle porte en elle et ses contradictions les plus intimes, Claire est cette femme qui n’appartient à personne et qui ne se laisse pas berner. Colère ensuite, c’est celle de chacun des membres d'une famille qui va se voir dépossédée de ses terres par les « hommes en noir » et victime encore comme dans le précédent roman de la tyrannie d’un seul baptisé le « gorille » en raison de sa laideur et de sa pilosité. Folie enfin dans lequel Marie Vieux-Chauvet met en scène quatre jeunes poètes en devenir, considérés comme fous puisque poètes, enfermés huit jours durant dans cette terreur contre la haine qu’ils suscitent, contre la vérité que portent leurs mots.

 

      2. Maryse CONDE (Guadeloupe) : auteur d'une œuvre considérable tant en qualité qu'en quantité, Maryse BOUCOLON, alias CONDE, née en 1937, est la Grande Dame de la littérature guadeloupéenne et pas seulement parce qu'elle a obtenu le Prix Nobel Alternatif de Littérature en 2017, mais surtout parce que sa vie et son œuvre sont intimement liées. Vie qui l'a conduite de la Guadeloupe à Paris, de Paris à la Guinée, de la Guinée à Paris, de Paris aux Etats-Unis et des Etats-Unis au sud de la France où elle finit ses jours comme avant elle le Martiniquais Joseph ZOBEL et l'Haïtien René DEPESTRE. Dans La Vie sans fards, autobiographie haletante, elle se raconte par le menu, ne dissimulant ni ses erreurs ni ses échecs, et célébrant l'écriture comme le véritable sens de son existence.

 

      3. Simone SCHWARZ-BART (Guadeloupe) : d'abord connue pour son compagnonnage de vie et d'écriture avec l'écrivain français André SCHWARZ-BART qui obtint le Prix Goncourt en 1959 pour son roman "Le Dernier des justes", S. SCHWARZ-BART, née en 1938, tracera sa propre voie de manière magistrale avec notamment deux romans : Pluie et vent sur Télumée-Miracle et Ti Jean l'Horizon. Le premier, qui est devenu une œuvre majeure de la littérature franco-créolophone des Caraïbes, met en scène une lignée de fortes femmes (de "femmes poto-mitan" en langage insulaire) qui lutte sans répit contre toutes les avanies de l'existence : inconséquence masculine, pauvreté, jalousie etc., tout cela sur fond d'un imaginaire créole très riche mêlant croyances africaines et européennes.

 

      4. Mayotte CAPECIA (Martinique) : la notoriété de l'auteur de Je suis Martiniquaise, née en 1916, notoriété obtenue suite à la véritable exécution qu'elle a subie dans Peau noire, masques blancs, ouvrage dans lequel Frantz FANON décortique et dénonce l'aliénation coloniale, lui a joué un très mauvais tour. M. CAPECIA est alors devenue l'exemple-type de la femme antillaise assoiffée de s'assimiler au monde blanc et employant tous les moyens, y compris les plus dégradants, pour y parvenir. Mais, au fil du temps, CAPECIA est passée de l'état de paria à celui de femme blessée et injustement critiquée, en somme de victime du machisme martiniquais.

 

      5. Yanik LAHENS (Haïti) : née en 1953, Y. LAHENS, après des études à La Sorbonne, est rentrée en Haïti où elle a enseigné à l'Ecole Normale Supérieure. Son talent littéraire en a fait, depuis quelques années, l'une des coqueluches haïtiennes (avec Dany LAFFERIERE) du milieu littéraire parisien. Elle a été en cette année 2018-2019 la première à occuper la toute nouvelles chaire "MONDES FRANCOPHONES" du prestigieux Collège de France. Son roman Bain de lune a été couronné par le Prix Femina en 2014. Il évoque une jeune fille rejetée sur une plage d'Haïti après un ouragan, au milieu de nulle part, qui commencera à remonter dans le temps afin de restituer l'histoire de sa naissance et de sa lignée. L'intrigue qui se déroule sur quatre décennies mêle avec brio drames intimes et événements politiques sur fond de dictature duvaliériste.

 

      6. Gisèle PINEAU  (Guadeloupe) : dans le sillage du Mouvement de la Créolité auquel son style et ses personnages sont apparentés, G. PINEAU, née en 1956, a progressivement réussi à se faire une voix propre, donnant ainsi crédit à la notion controversée d'écriture féminine. Son premier roman, La Grande drive des esprits"(1993), la placera d'emblée parmi les grands écrivains francophones antillais et d'aucuns y verront une tentative de donner corps à un "réel merveilleux" proprement guadeloupéen. C'est l'histoire d'un couple, Léonce (né avec un pied-bot) et Myrtha ainsi que de leurs familles sur lesquels pèsent le poids de toutes espèces de malédictions.

 

      7. Lilas DESQUIRON (Haïti) : on peut n'être l'auteur que d'un seul et unique roman et avoir réussi un coup de maître. Toutes proportions gardées, Albert CAMUS n'a écrit, après tout, qu'un seul grand texte littéraire,L'Etranger. Avec Les Chemins de Loco-miroir, Lilas DESQUIRON, éblouit le lecteur tant par son style que par sa grande connaissance de la culture populaire haïtienne, en particulier du Vaudou. Il faut préciser que cette ethnologue de profession a fait ses études en France où elle a suivi les cours de Claude LEVI-STRAUSS et a d'ailleurs fait sa thèse de doctorat sur la religion première du peuple haïtien. Son roman retrace l'histoire d'Alma Viva Jean Joseph dite Cocotte et de sa sœur-marassa, sa jumelle donc, Violaine. Le lecteur se trouve alors transporté dans un monde où les esprits de Guinée, les "Loas", régissent l'existence des vivants et des morts.

 

      8. Térez LEOTIN (Martinique) : si elle n'est pas la première femme martiniquaise à utiliser le créole à l'écrit, T. LEOTIN est incontestablement la plus talentueuse de ses consoeurs dans cette langue trop longtemps dénigrée. Non seulement, elle manifeste une connaissance et une maîtrise exceptionnelles de cet idiome, mais elle a su se créer un style, son propre style, qui ne doit rien aux auteurs créolophones masculins. Mieux : elle s'efforce de livrer au lecteur des textes bilingues créole/français, tenant compte du fait que la lecture du créole est encore assez peu répandue. Son roman Lavwa égal/La Voix égale  (2003). Comme dans un conte se mêlent d'abord autour d'une féroce partie de dominos des voix inégales, cacophoniques, radiophoniques, voix off, sonores boudeuses, déçues ou triomphantes. Leurs commentaires incisifs, impitoyables, sur la société martiniquaise si disparate, si dissonante, dérangent, agacent même le sommeil pesant des consciences surchargées. Puis l'ivresse de la partie de dominos se dissipe dans le colin-maillard sans issue que se jouent la souffrance et l'espérance au jour le jour... Aussi féroce va la vie de défaites amères en triomphes narquois. L'univers de Térez Léotin, n'est pas un monde onirique ou folklorique, ni un néo-doudouisme académique encore moins un délire surréaliste. C'est l'univers des gens simples et véridiques - sel de la terre et iode de la mer - dont la douleur, la dignité et le courage quotidiens deviennent perceptibles et si proches au point qu'on les croit nôtres au point qu'ils deviennent nôtres.  

 

      9. Marie-Reine DE JAHAM (Martinique) : longtemps les Békés furent les seuls Martiniquais à écrire des livres, Code Noir (1685) oblige, et jusqu'au début du XXe siècle, on recense un nombre important d'ouvrages, pas uniquement littéraires, de leur plume. Puis, un long, très long silence, s'en est suivi jusqu'à l'apparition d'une écrivaine békée, Marie-Reine DE JAHAM, dans les années 80 du siècle dernier. Il s'est agi d'un véritablement événement car les femmes blanches créoles ont toujours vécu dans l'ombre de leurs époux, sommées d'être discrètes, pieuses et surtout de ne pas se mêler aux affaires publiques. DE JAHAM, qui vit en France depuis de nombreuses années, a brisé ce tabou avec son roman La Grande Békée (1999).

La Grande Békée est l'héritière d'un de ces orgeuilleuses dynasties de colon français qui, au début du XXième siècle encore, régnaient sur la Martinique, farouchement attachés à leur terre. Ruinée par l'éruption du volcan Pelée en 1902, sa famille anéantie, sa plantation détruite, Fleur de Mase se jure de relever le domaine et de refaire fortune, dût-elle pour cela sacrifier l'homme qu'elle aime. Pendant plus d'un demi-siècle, elle lutte sans relâche, contre ses ennemis, contre le volcan, contre la fatalité et les préjugés antillais. A force de ruse, d'acharnement, de séduction, elle parvient à ses fins. Admirée et redoutée de tous, elle est au faîte de sa puissance. Jusqu'au jour où Michel, son petit-fils qu'elle ne connaît pas, débarque à la Martinique. Alors, soudain, son univers bascule...

 

      10. Jacqueline MANICOM (Guadeloupe) : née en 1935 et décédée très jeune, à l'âge de 41 ans (en 1976), sage-femme de profession, G. MANICOM a publié des textes marquants parmi lesquels Mon examen de blanc (1972). Ce texte fait écho à "Je suis Martiniquaise" de Mayotte CAPECIA mais en inversant la perspective : l'héroine du roman de MANICOM, en effet, est une métisse de Blanc et d'Indienne (de l'Inde), Madévie MAMIMOUTOU, qui engagée dans une relation amoureuse avec un Européen prend peu à peu conscience du caractère foncièrement inégalitaire de celle-ci en dépit des sentiments forts qui les unissent. Madévie mènera alors un combat sur elle-même pour regarder en face ses origines multiples et les assumer pleinement.

 

      11. Kettly MARS (Haïti) : né en 1958, K. MARS déploie dans ses romans une écriture à la fois réaliste et pleine d'empathie pour la société haitienne urbaine. Dans L'Ange du patriarche (2018), elle s'aventure dans l'univers du vaudou sans en faire pour autant le seul élément important du texte. Trois femmes de générations différentes qui se rencontrent, la relation mère-fils, la question de l'inceste, les incertitudes de la jeunesse à travers les personnages d'Edwin et Vanica, la jeune veuve Manuella qui a un amant marié, tout cela dans la ville de Pétionville qui se retrouve quasiment submergée, suite au séisme de 2010, par la population de Port-au-Prince.

 

      12. Mérine CECO (Martinique) : nom de plume d'une universitaire de haut niveau qui professe à La Sorbonne, M. CECO, née en 1970, a fait une entrée fracassante dans la littérature martiniquaise et antillaise avec son roman La Mazurka perdue des femmes-couresse dont le style s'inscrit dans ce que l'on peut appeler la post-Créolité c'est-à-dire une écriture qui s'émancipe de cette dernière dans pour autant la renier. Elle a obtenu pour cet ouvrage le Prix Gilbert GRATIANT du 1er Salon International du Livre de la Martinique en , prix présidé par l'écrivain haïtien Dany LAFFERIERE et dont l'écrivain franco-martiniquais Daniel PICOULY était membre. L’histoire est forte et emblématique. Elle est sous-tendue par la menace d’une « Grande Catastrophe » qui plane sur une petite île des caraïbes, où l’on reconnaît aisément la Martinique. Réelle, imaginaire ou fantasmée - on le découvrira à la fin du roman - cette « Grande Catastrophe » est le vecteur symbolique d’un mal être qui ronge la société insulaire. 
Le récit se construit autour d’histoires de plusieurs femmes – les femmes-couresse - sur plusieurs générations. A travers leurs parcours se lit l’histoire collective. On y relève les traces de l’esclavage et du machisme, la dépossession, l’aliénation et la perte de repères. Dans une sorte de catharsis, le roman est ponctué de séances thérapeutiques intitulées « La schizo », dûment numérotées comme pour mieux graver dans le marbre ce parcours analytique.

 

      13. Marie-Célie AGNANT (Haïti) : installée au Québec depuis les années 70, où elle a travaillé comme traductrice, M-C. AGNANT, née en 1953, a réussi à s'imposer tant sur la scène littéraire de sa terre d'adoption que dans son pays natal. Son roman "Le Livre d'Emma" (2001) est une grande réussite, "un long chant de colère et de détresse, un blues digne de Billy Holliday, à la fois langoureux et violent, fielleux et mélancolique, un diamant de poème plus noir que la nuit" omme l'écrit Stanley PEAN dans le journal "La Presse". L'histoire d'une jeune à la peau si noire qu'on la croit bleue et qui sera internée dans un hôpital psychiatrique de Montréal.

 

      14. Anique SYLVESTRE (Martinique) : bibliothécaire de profession, A. SYLVESTRE s'est d'abord fait connaître grâce à des livres pour enfants, secteur dont elle s'est faite l'ardent défenseur, avant de se lancer dans l'écriture romanesque. Dans "Que dansent les femmes-châtaigne" (2015), elle évoque la douloureuse question de l'inceste au sein de la société antillaise et de l'omerta qui l'accompagne. Le titre de ce roman fait référence au dicton créole qui affirment que les hommes sont des fruits à pain qui pourrissent lorsqu'ils tombent alors que les femmes sont des châtaignent qui, elles, repoussent. Les trois personnages principaux__Tiéta, Méliane et Eunice__sont des femmes de caractère, dépositaires d'un lourd secret de famille qui ne résistera pas à l'usure du temps.

                               

 

      15. Catherine LEPELLETIER (Guyane) : longtemps journaliste littéraire à RFO-Guyane et conceptrice de l'émission "ENCRES NOIRES", puis grand reporter à France-Télévisions, C. LEPELLETIER, après avoir soutenu un doctorat en littérature à l'Université des Antilles, s'est lancée dans la fiction. Dans "Rhapsodie jazz pour Damas" (2012)elle redonne magnifiquement vie au poète Léon-Gontrand DAMAS, l'un des trois fondateurs de la Négritude, injustement oublié au profit d'Aimé CESAIRE et Léopold Sédar SENGHOR. Injustement parce que s'il y a quelqu'un qui a vécu dans sa chair "le grand cri nègre", ce sera bien lui.

 

      16. Emmelie PROPHETE (Haïti) : après une carrière dans la diplomatie de son pays, E. PROPHETE, née en 1971, devient journaliste, puis écrivain. Son roman intitulé "Un Ailleurs à soi" publié en 2018 par les éditions haïtiano-québécoises Mémoire d'Encrier est présenté ainsi :

       "Tout un peuple se prépare à fuir, s’inventant un ailleurs à défaut d’un avenir. Partir est un mythe auquel personne n’échappe. Au Ayizan, chic restaurant de Pétion-Ville, se font et se défont les voyages. Lucie sert les clients le jour et vend son corps la nuit. Maritou fuit la haine de Jeannette et la pitié de Clémence ses demi-sœurs. Elle vomit son angoisse et sa solitude jusqu’à sa rencontre avec Lucie. Elles s’apprivoisent jusqu’à s’aimer. Un ailleurs à soi, miroir où se tissent illusions et vœux de départ."

 

      17. Suzanne DRACIUS (Martinique) : professeur de Lettres classiques, S. DRACIUS, née en 1951, est fille des "deux bords" de l'Atlantique : la Martinique dont ses parents étaient originaires et la France où elle est née et a longtemps vécu. Son roman L'Autre qui danse (1989) est généralement considéré comme la forme féminine de l'écriture de la Créolité même si l'auteur ne s'est jamais affiliée à aucun mouvement littéraire. Le récit qu'elle déroule, en conteuse de l'ici et de l'ailleurs, lie les truculences de la Martinique aux recherches contemporaines d'une France multi-ethnique, pays de toutes les solitudes. C'est le roman d'une Martinique qui éclaire les squats et les banlieues de Paris et lave de ses chaleurs ou de ses pluies les fièvres des enfants prodigues qui ont cru trouver ailleurs les racines que, généreusement, elle leur offrait.

 

      18. Francoise JAMES OUSENIE (Guyane) : en dépit de cinq romans de qualité et bien accueillis en Guyane, F. JAMES OUSENIE pâtit du manque de visibilité de la littérature de son pays à l'extérieur. Son roman intitulé"Bain d'or" (2019) évoque un dénommé Vitalo (qui devient Vitaloo dans le texte) dont les exploits font partie de l'imaginaire guyanais. Cet ancien esclave affranchi a fait fortune dans l'or. De nombreuses légendes courrent à son sujet. Au 19è siècle, iextrêmement riche, il traîne une réputation sulfureuse : des planchers pavés d'or, un essaim de conquêtes féminines etc...C’est son histoire qui est revisitée par Françoise James-Ousenie, mais pas seulement. C’est aussi une histoire d’amour forte et sensuelle entre Vitaloo et Miranda son épouse. Dans l’ouvrage la passion qui unit ses deux êtres monte crescendo jusqu’au jour où le secret de la fortune de Vitaloo vient s’inviter dans le couple.

 

      19. Paulette POUJOL ORIOL (Haïti) : née en 1926 et décédée en 2011, cette enseignante et militante féministe est peu connue à l'étranger, mais a publié nombre de livres et de feuilletons radiophoniques qui ont connu un grand succès en Haïti. Dans son premier roman, Le Creuset (1980), on trouve dans [ce] livre un véritable brassage des races et des types humains : Noirs haïtiens, « Américains de couleur », mulâtres dominicains, Africains, Européens, Juifs. Tel est l'exemple du creuset dont l'auteur veut nous entretenir. Si l'ascension de Pierre Tervil constitue la trame du récit, le livre est également précieux pour s'initier à la connaissance de la bonne société haïtienne. L'histoire de Déperac montre ainsi ce qui assure à la bonne bourgeoisie son prestige : les ancêtres français, la possession des terres, le lien avec des personnages historiques (ceux de la guerre d'indépendance si possible), les conjoints européens (blonds de préférence). On découvre également quelques habitudes sociales de ce milieu depuis le pélerinage à la Vierge de Saut d'Eau jusqu'au voyage annuel en Europe ou aux U.S.A. sans oublier l'enseignement privé et les études à l'étranger. Comme dans toutes les bourgeoisies, la règle est de sauver la face et de tenir le rang. L'auteur fait une peinture sans complaisance de cette bourgeoisie qu'elle connaît bien.

 

      20. Gerty DAMBURY (Guadeloupe) : né en 1957 en Guadeloupe, G. DAMBURY a longtemps vécu entre sa Guadeloupe natale et la région parisienne. Plus connue comme dramaturge et metteur en scène, cette militante féministe et décoloniale a publié deux romans dont le très remarqué La Sérénade à Poinsettia en 2016. Elle y met en scène trois personnages qui, insatisfaits de leur existence, croient que l'amour parviendra à combler cette dernière. L'héroÏne Poinsettia vit seule dans une grande maison dans laquelle elle s'est créé un univers fait de lectures et de musiques. "Roman d'amour fou" dira l'auteur dans une interview "dont l'issue ne réside que dans la fuite."

 

      21. Nicole CAGE (Martinique) : née en 1965, N. Cage fait partie de la nouvelle génération d'écrivaines martiniquaises qui alterne avec brio poésie et roman. Dans L'Espagnole (2002), elle retrace le destin tragique d'une femme broyée par la société et l'histoire tout à la fois. Les « Espagnoles », c'est ainsi que les Martiniquais désignent les « filles de joie » venues de la Caraïbe hispanophone. Elena, après avoir grandi et découvert l'amour dans les bas-fonds de la République Dominicaine, est obligée de fuir son pays laissant derrière elle un père devenu fou et un mari assassiné. Elle atterrit enceinte en Martinique où au lieu du travail promis, son corps devient la marchandise qu'elle échange pour survivre dans ce pays hostile qui lui crie sa différence. C'est à travers ses yeux d'immigrée que nous découvrons une Martinique mesquine et xénophobe mais également grandiose dans ses élans de solidarité.

 

      22. Michèle LACROSIL (Guadeloupe) : née en 1911 à Basse-Terre, M. LACROSIL a bénéficié d'une très longue vie puisqu'elle est décédée à Paris en 2012 et qu'elle repose au cimetière de Montparnasse. Elle est l'auteur de quatre romans, publiés chez le prestigieux éditeur parisien, Gallimard, qui connurent un succès certain au moment de leur parution avant que l'auteur ne tombe dans un fort dommageable oubli. Elle n'en a été tirée récemment que grâce à des femmes universitaires étasuniennes. Son roman Sapotille et le serin d'argile (1960) explore les déchirements culturels que vit une jeune Guadeloupéenne, confrontée qu'elle est notamment au racisme. L'oeuvre de Michèle LACROSIL est saturée donc par cette "question de couleur" et Sapotille et le serin d'argile met en scène une jeune femme qui quitte son île natale, la Guadeloupe, en bateau, pour la France. Qui la fuit plutôt à cause d'un mariage malheureux. En effet, elle est câpresse et son mari est noir, mais elle aime un mulâtre qui l'aime aussi, mais ne peut l'épouser à cause des préjugés régnant au sein de la caste mulâtre. Elle se remémore ses années à l'école catholique où des religieuses blanches racistes la maltraitaient comme la fois où, lors des fêstivités de fin d'année, on lui avait interdit de monter sur scène et où elle dut, pendant tout un spectacle, souffler dans un serin en argile (d'où le surnom de l'héroÏne du roman) afin de produire des sonorités à des moments précis.

 

   23. Evelyne TROUILLOT (Haïti) : née en 1954 à Port-au-Prince, E. TROUILLOT a fait des études de Sciences de l'Education aux Etats-Unis. Elle est à la fois dramaturge, poétesse et romancière de grand talent. Parmi ses romans, La mémoire aux abois(2010), qui a obtenu le Prix Carbet de la Caraïbe, est le dialogue de deux solitudes dans un hôpital parisien, entre la veuve d'un dictateur, affaiblie, qui se meurt lentement, et la jeune assistante médicale qui la soigne. Entre les deux, obsédant, Quisquéya leur pays commun, et perdu, Quisquéya marqué par une dictature de trente ans, de père en fils. Dialogue improbable, impossible, combat entre deux mémoires : celle de la veuve qui se remémore la rencontre avec l'époux défunt, ce qu'étaient alors leurs rêves, en tous les cas les siens, puis les années terribles de l'exercice du pouvoir, et puis celle de la jeune femme toute imprégnée des souvenirs que sa mère lui a transmis - sa mère qui a vécu ces années de cauchemar et perdu son frère alors qu'elle n'était qu'une enfant. Paroles qui se cherchent, s'opposent, mangées de silences, de regrets et de reproches, dans une atmosphère qui se tend peu à peu entre la veuve oscillant entre regrets murmurés et méfiance, et puis la jeune femme, et à travers celle-ci, sa mère décédée dont les souvenirs la hantent et l'envahissent. Et c'est entre ces voix entrecroisées que se dessine un portrait saisissant de la dictature : voix de celle qui l'a vécue aux côtés de son mari à chaque grande décision, et celles, multiples, des souvenirs transmis et retransmis, de ceux qui vécurent l'horreur. D'une écriture tendue, subtile, un roman bouleversant, qui donne d'Haïti une vision saisissante.

 

 

   24. Marie-Magdeleine CARBET (Martinique) : née en 1902 et décédée en 1996, M-M. CARBET fut enseignante à la fois en Martinique et en France. Elle fut la première femme de l'île à vivre en couple avec une autre femme, Olympe CLAUDE, les deux adoptant le pseudonyme de CARBET sous lequel elles publièrent des chansons et des poèmes qui abordaient des thèmes presque tabous à l'époque (années 1930-40) comme la sexualité ou le conflit racial. Elle retourna en France peu avant la deuxième guerre mondiale mais ne participa pas à l'émergence du mouvement de la Négritude bien que Paulette NARDAL, égérie de ce mouvement, fut sa belle-soeur. Auteur d'une œuvre conséquente et diverse, M-M. CARBET a publié, en 1975, un beau roman intitulé d'Une rive à l'autre, roman lyrique qui repose sur un malentendu tragique : une jeune Martiniquaise est persuadée que son fiancé français l'a abandonnée sur injonction de sa famille.

 

   25. Christiane SACARABANY (Martinique) : la composante indienne (de l'Inde) martiniquaise a produit un certains nombre d'auteurs masculins, mais pas d'équivalents féminins à l'exception de C. SACARABANY que le programme du Salon du Livre de Paris 2019 a présenté ainsi : "à la conquête de soi, elle remonte le temps. Partir de loin, de l'extérieur à l'intérieur. Commencer par le commencement. Mon ancêtre. Profonde solitude d'où jailliront trois ouvrages : "L'Indien au sang noir" ou l'histoire d'une vie ; "Son matalon--Mémoire des ancêtres--L'Inde d'ici-dan" et "Brin d'île--Petite épiphanie" : trois ouvrages comme autant d'actes d'une même mémoire.

 

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