Semaine de recherche - Rabat, École de Gouvernance et d'Économie, 26-27 Mai 2016 - La présence de Frantz Fanon dans la pensée des intellectuels africains, tout comme son héritage en d’autres lieux du monde, incitent à l’interroger à nouveau, avec, pour toile de fond, les conflits contemporains et les contradictions de ce que nous appellerons, en hommage à Georges Balandier, la « situation postcoloniale ». Dans sa vie, brève mais fulgurante, Fanon a lutté contre le nazisme, a traversé l’épreuve du racisme, a pansé les corps martyrisés par la violence coloniale.
Ses travaux ont tissé un parcours unique qui a convoqué la phénoménologie et l’existentialisme, la littérature, la clinique et la sociologie pour mieux arriver au cœur du problème qui le faisait se mouvoir : la question de l’assujettissement, la « non existence ontologique du Noir », la nécessité d’inventer une société (une humanité) nouvelle. En psychiatre, il n’a pas manqué de déconstruire les catégories d’un savoir dont il a révélé la complicité avec l’ordre colonial, en niant la possibilité de soigner la folie dans un contexte figé par la peur et ravagé par l’oppression. Ce n’est ainsi pas un hasard si le mouvement psychiatrique anti-institutionnel en Italie a reconnu sa dette envers lui.
De ses rencontres avec la violence et la mort, est née ce qu’Achille Mbembe a appelé une « clinique du réel », qui analyse toutes les facettes de l’aliénation dans le monde noir. Les intuitions qu’il nous a laissées, par exemple sur l’enchaînement du psychique et de l’histoire, gardent aujourd’hui toute leur valeur, en constituant à elles seules un héritage incontournable, mille fois repris dans les études contemporaines. Les mots qu’il a lancés et le style unique d’une écriture où la poésie du paysage et les préoccupations tactiques se mêlent dans un amalgame indiscernable (les pages inoubliables de Cette Afrique à venir…) continuent à nourrir un débat virulent dans lequel il est présenté comme tout et son contraire : machiste, incapable de régler ses comptes avec son île natale et les fantasmes œdipiens, visionnaire, prophète de la violence. Célébré en Amérique latine et dans les milieux de la contestation sud-africaine, le plus souvent oublié ailleurs, on doit admettre que son nom gêne toujours, un demi siècle après sa disparition. Même les études postcoloniales et les subaltern studies, qui lui ont pourtant accordé une place d’honneur, ont du mal à classer sa pensée indocile. « Fanon dérange », nous dit Alice Cherki. Cependant, si l’on ne cesse de convoquer ce spectre, si l’on persiste à lui consacrer des dizaines de livres, n’est-ce pas que quelque chose de son temps – de sa violence, comme il l’avait lui-même prévu – hante encore notre présent ?
Le but de cette rencontre est de penser avec Fanon les nœuds et les défis actuels : réfléchir à la manière par laquelle il a conçu l’aliénation dans son rapport au politique et à l’histoire, reconnaître les pathologies de l’imaginaire, écouter avec lui le bruit des révoltes ou les mémoires déchirées des immigrés, autant de chapitres d’une archive sans cesse composée et décomposée. La Semaine de la Recherche sera l’occasion de reprendre Fanon à partir de nos propres questionnements et de notre propre horizon, en n’occultant pas les limites d’une pensée qui, de toute évidence, reflétait un moment particulier de l’histoire, et notamment la spécificité des rapports politiques et culturels entre l’Europe et l’Afrique dans les années 1950. Son œuvre recèle néanmoins son antidote contre le vieillissement de ses idées. Fanon ne disait-il pas lui même, à la fin de son dernier livre, que ses notes sur les conséquences psychiques de la violence étaient « inopportunes et déplacées » ? C’est bel et bien Fanon l’Intempestif que nous souhaitons relire et confronter aux temps présents, au fil de nos recherches.
PROGRAMME
9h30-10h00 - OUVERTURE
Par Roberto Beneduce
10h00-13h00 – TABLE RONDE « Fanon : un spectre habite le présent »
Animée par Jean-François Bayart
DE 14H30 À 20H00 - SALLE AMPHITHÉÂTRE DE LA FONDATION OCP-AVENUE MOHAMED EL JAZOULI (EN FACE DE L’EGE)
14h30-17h30 - TABLE RONDE « Fanon, une clinique du réel »
Animée par Joseph Tonda
18h00-19h00- CONFERENCE « Fanon-Shariati et la question de la religion »
par Sara Shariati
19h-20h00 - SPECTACLE « Moi aussi, je m’appelle Frantz Fanon »
par Olivier Cherki
9h30-11h00 - TABLE RONDE « Fanon au Maghreb »
Animée par Mohamed Tozy
11h30-13h - PROJECTION « Ce qu’il reste de la folie »
Film de Joris Lachaise et débat animé par Simona Taliani et Roberto Beneduce