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Raphaël Confiant : "Heureusement que Frantz Fanon n'est plus là car jamais la médiocrité intellectuelle et l'arrivisme n'avaient atteint un tel niveau dans nos pays !"

Raphaël Confiant : "Heureusement que Frantz Fanon n'est plus là car jamais la médiocrité intellectuelle et l'arrivisme n'avaient atteint un tel niveau dans nos pays !"

   L'écrivain martiniquais Raphaël Confiant vient de se livrer à un exercice littéraire tout à fait insolite : se mettre dans la peau de Frantz Fanon. En effet, dans "L'INSURRECTION DE L'AME. Frantz Fanon, vie et mort du guerrier-silex" qui vient d'être publié chez CARAIBEDITIONS, il fait (re)vivre l'auteur des "DAMNES DE LA TERRE" et nous relate son existence entre sa Martinique natale, la France où il a fait ses études, l'Algérie sa patrie d''adoption, la Tunisie où il travaillait aux côtés du gouvernement provisoire algérien et l'Afrique noire où il a été ambassadeur itinérant du FLN algérien. Nous l'avons rencontré...

                                     

                                                                            ***

 

MONTRAY KREYOL : Votre livre surprend d'emblée le lecteur car il est écrit au "Je" et on a le sentiment que c'est Fanon lui-même qui parle. Comment avez-vous eu l'idée de vous glisser dans la peau d'un tel personnage et quelles difficultés avez vous rencontrées ?  

 

RAPHAEL CONFIANT : Cette idée est née du constat suivant : les nouvelles générations, y compris les étudiants, ne lisent plus guère. Tout le monde est accaparé par les réseaux sociaux qui, c'est vrai, permettent une libération de la parole telle qu'on ne l'avait jamais vue à ce jour. Il ne s'agit donc pas tant de diaboliser ceux-ci car ils ont leur utilité, que de trouver le moyen de ramener les lecteurs à la lecture. Vous aurez noté que je dis "les lecteurs" et non "les gens" car contrairement à ce que l'on croit, même avec l'alphabétisation quasi-totale dans les pays développés, le nombre de lecteurs n'a jamais été très important rapporté à la population globale. Allez voir dans les pays du Sud ! Et quelque part, la Martinique fait partie de ces derniers. Donc je n'ai pas pour ambition de faire lire Ti Sonson, ce qui serait pure démagogie, mais de ramener à la lecture les instituteurs, les infirmières, les professeurs, les avocats, les médecins etc...Ce n'est pas du tout de l'élitisme, mais du réalisme. Donc, je me suis rendu compte que chez ces personnes, surtout chez les plus jeunes d'entre elles, toutes connaissent le nom de Frantz FANON, mais très peu se sont déjà plongés dans l'un de ses livres. Je me suis alors dit que si on leur donnait à voir un FANON vivant, presqu'en chair et en os, même si les personnages d'un livre ne sont que des créatures de papier, eh bien que peut-être cela pourrait les amener à découvrir ses livres. D'autant que mon ouvrage n'est pas linéaire, mais construit sous forme puzzle. Autrement dit, j'entremêle les différentes époques de la très courte vie de cette étoile filante grâce à laquelle notre minuscule Martinique est connue partout à travers le monde.

 

MONTRAY KREYOL : Vous n'évoquez pas les difficultés rencontrées...

 

RAPHAEL CONFIANT : Elles sont, vous l'imaginez bien, de plusieurs ordres. Il existe, en effet, de très bonnes biographies de Frantz FANON, notamment celles d'Alice CHERKI et de David MACEY, mais elles décrivent la vie de celui-ci, exposent et analysent ses idées, jugent sa trajectoire, tout cela avec un regard extérieur, presque objectif. Moi au contraire, j'ai tenté de pénétrer dans l'intériorité de FANON, ce qui est complètement différent, en me fondant certes sur les faits réels concernant sa vie, mais en les mettant en scène en quelque sorte. Dans mon livre, c'est lui qui parle de ses expériences novatrices de social-thérapie à l'hôpital de Blida-Joinville, c'est lui qui va à la rencontre du peuple algérien, qui visite le pays, qui fraternise avec le FLN, qui décide de démissionner et de rejoindre le GPRA à Tunis. C'est lui surtout qui parle de sa maladie__la leucémie__couché sur son lit d'hôpital dans le Maryland, aux Etats-Unis, où il décédera à l'âge de trente-six ans. Disons que j'ai voulu écrire une autobiographie imaginaire de FANON. J'ai pu me risquer à l'écrire parce que je fais partie de cette génération née dans les années 50 qui a voulu suivre les pas de FANON en Algérie. Evidemment, nous arrivions trop tard, plus d'une douzaine d'années après l'indépendance de ce pays et les choses avaient bien changé. L'enthousiasme révolutionnaire n'était plus qu'un gadget récupéré par une bourgeoisie prédatrice comme on en trouve partout dans le Tiers-monde. Donc, après des études de Sciences politiques et d'anglais à Aix-en-Provence, j'ai rallié Alger où j'ai rencontré l'écrivain Daniel BOUKMAN auquel mon livre est d'ailleurs dédié. C'était lui, le résistant, celui qui avait refusé d'endosser l'uniforme militaire français pour aller casser de l'Arabe, qui recevait tous les jeunes antillais tels que moi en quête de révolution. Les MONCHOACHI, Georges-HENRI LEOTIN etc..., devenus presque tous écrivains d'ailleurs.

 

MONTRAY KREYOL : Expérience décevante. On vous sent amer...

 

Raphaël CONFIANT : Pas du tout ! J'ai découvert un pays, une culture, une religion, une langue dont je suis tombé amoureux tout comme les autres Antillais qui m'avaient précédés et donc Frantz FANON. J'enseignais l'anglais dans une société nationalisée qui travaillait dans le commerce extérieur et j'habitais à Ben Aknoun, à la périphérie d'Alger. Cette dernière est une ville vraiment fascinante. On est à ce moment-là dans les années 1974-75, le président Houari BOUMEDIENNE est au pouvoir et il y a quand même un reste de frémissement révolutionnaire à Alger. Il y avait même une rue où vous aviez les sièges de la plupart des mouvements révolutionnaires du monde : le FROLINAT du Tchad, l'OLP de Palestine, le PAIGC de Guinée-Bissau et du Cap-Vert, le MPLA d'Angola, l'IRA d'Irlande du Nord et un mystérieux mouvement de libération des Antilles dont je n'ai jamais vu les chefs. Il semblerait qu'ils soient allés demander des fonds à BOUMEDIENNE, puis au colonel KHADAFI en Lybie avant de s'enfuir avec le magot je ne sais où. Bref, je ne veux pas parler de ça...Ah oui, il y avait aussi les Blacks Panthers qui avaient détourné un avion sur Alger pour s'y réfugier. En tout cas, j'ai pu arpenter le pays et visité longuement la ville de Blida où se trouve l'hôpital psychiatrique où FANON a travaillé...

 

MONTRAY KREYOL : Est-ce que s'il avait vécu, Fanon aurait été content de voir l'Algérie que vous avez connue ? Et celle d'aujourd'hui ?

 

Raphaël CONFIANT : FANON est mort un an avant l'indépendance de l'Algérie et sur son lit d'hôpital, aux Etats-Unis, il a écrit un testament dans lequel il exigeait d'être enterré aux côtés des souhada, c'est-à-dire les martyrs en arabe, tous ceux qui étaient tombés au combat face à l'armée française. C'est dire s'il aimait ce pays ! Je le raconte dans mon livre : ce ne fut pas chose facile du tout car la France avait fait installer une double barrière électrifiée de 30.000 volts, la ligne Challe-Morice, à la frontière algéro-tunisienne et tenter de la franchir revenait à se faire électrocuter, ce qui fut le cas de centaines demoudjahidin (combattants) lors de la fameuse "guerre des frontières" en mai 1959. Eh bien, une katiba, une unité de l'ALN (Armée de Libération Nationale), a réussi à pénétrer en territoire algérien, contrôlé donc par l'armée française, et y a enterré Omar Ibrahim Fanon avec tous les honneurs dus à son rang... Aurait-il aimé l'Algérie post-indépendance ? Je ne sais pas, mais j'en doute car il avait rêvé d'une Algérie multiraciale, multilingue et multireligieuse où Arabes, Berbères, Noirs du Sahara, Pieds-noirs, Juifs et Français de France ralliés à la cause algérienne auraient construit ensemble une nouvelle nation. FANON, contrairement à ce qu'avance une lecture sommaire de son œuvre, ne croyait pas aux nations éternelles  ni aux identités figées ni au monolinguisme. C'était sans doute utopique car ce n'est pas ce qui s'est passé après l'indépendance. Sinon aurait-il aimé l'Algérie d'aujourd'hui ? J'avoue ne pas savoir quoi répondre à cette question...

 

MONTRAY KREYOL : Pourquoi FANON n'a-t-il pas plutôt tenté de faire la révolution en Martinique ? Et même question que pour l'Algérie : aurait-il aimé voir la Martinique telle qu'elle est aujourd'hui ?

 

Raphaël CONFIANT : Mais FANON est bien rentré à la Martinique après son doctorat en médecine ! Il a ouvert un cabinet au Vauclin en 1952 où il a exercé quelques mois, mais il a vite été écoeuré par le pays et par la petite bourgeoisie de couleur qui, dans ces années-là, était pourtant moins puante que celle d'aujourd'hui. Donc vous voyez que je réponds déjà à la deuxième partie de votre question...Il a demandé un poste à Dakar, au Sénégal, mais SENGHOR n'a pas voulu. Il s'est alors rabattu sur l'Algérie et l'hôpital psychiatrique de Blida-Joinville en 1953, ce qu'il n'eut jamais à regretter. Il a tout de suite aimé le peuple algérien et s'est très vite mis au service du FLN, notamment de la Wilaya IV dont il soignait clandestinement les blessés. Bon, cela ne signifie pas pour autant qu'il ait tourné le dos à la Martinique. Il suivait la situation grâce à ses relations épistolaires avec sa famille et grâce à la presse, mais il a été très vite happé par la lutte de libération nationale algérienne et n'avait plus le temps de penser à autre chose. Je vous rappelle que ce fut une guerre féroce avec des destructions de villages entiers, des bombardements au napalm, l'utilisation de la torture à l'aide de la tristement célèbre "gègène" (générateur électrique). 1 million de morts algériens au bout de 6 ans de guerre tout de même !  

 

MONTRAY KREYOL : Vous ne répondez pas à la question...

 

Raphaël CONFIANT : Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise ? Bon...Eh bien, allons-y : heureusement que FANON n'est plus là pour nous voir ! Il aurait vomi tout cette médiocrité, tout cet arrivisme, cette corruption surtout qui frappe notre petite et grande bourgeoisie et ce qui est plus triste, notre intelligentsia ou ce qui en tient lieu, y compris certains de nos universitaires. Cette affligeante médiocrité intellectuelle qui s'est installée dans nos pays. Tous ces gens qui ne vivent que pour être chefs, directeurs, présidents, cette "élite de représentation" pour reprendre une expression d'Edouard GLISSANT, totalement vide au plan intellectuel et inutile au plan politique. Un intellectuel, normalement, a deux tâches principales : produire du savoir d'une part et s'engager dans la transformation de sa société vers plus d'équité sociale et de liberté d'expression d'autre part. Or, ceux qui se proclament tels chez nous, ne sont intéressés, pour la plupart, car il reste quand même, Dieu merci, des gens intègres, que par l'argent ou le pouvoir. Ou sont à la fois des voyous et de faux intellectuels comme tel pseudo-historien qui n'a jamais publié un seul livre d'histoire, même pour enfant, ou tel prix Nobel d'économie de Ravine Touza. Finalement, c'est une bonne chose que FANON ne soit pas là pour voir pareille infamie...Il repose en paix en terre algérienne, parmi ses frères combattants, au cimetière des martyrs d'Aïn Kerma et c'est tant mieux ainsi. Allah yâ-rahmou !...

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