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Racisme: «Je ne vois toujours personne se révolter quand je me fais insulter»

Racisme: «Je ne vois toujours personne se révolter quand je me fais insulter»

Daniel, 44 ans, Martiniquais vivant en métropole, réagit à l'appel lancé par «Libération».

Quand il a lu dans les colonnes de Libé, l’appel citoyen «Assez !» contre le racisme, il s’est décidé à témoigner. Raconter ces petites humiliations de la vie de tous les jours, ces attaques verbales gratuites dans le bus ou au travail, qui décontenancent et usent. Il interroge Libé, aussi, sur le sens de cet appel : «De quel "assez" parlez-vous ? De celui de façade, le temps que l’expression du racisme soit moins visible ? Ou alors, d’un vrai "assez" ?» Daniel1 a 44 ans, sa peau est de couleur noire. A chaque nouvelle rencontre, ça ne loupe jamais : on le questionne sur ses origines. Daniel est né en France, en Martinique. Il vit à Lille (Nord) depuis une dizaine d’années. Il est cadre dans une grande entreprise publique.

«Quand j’entends Copé dire que cette histoire de racisme est une affabulation du PS, ça me révolte. Une partie de la population refuse d’accepter les "autres", cela ne date pas d’aujourd’hui, ni d’hier. Le vrai problème, c’est l’impunité. A ces personnes, on ne leur dit rien, on les laisse faire. Je ne le supporte plus.

«Enfant, quand je venais en vacances en France continentale, je ne comprenais pas. Les réactions agressives des serveurs au restaurant, ces gestes désobligeants d’inconnus… Je me souviens de passants touchant la tête de mon petit frère, en riant et répétant «negrito, negrito». Mes parents faisaient mine de rien, ils ne disaient rien.

«Je n’ai compris que plus tard, quand je suis venu faire mes études près d’Aix-en-Provence. J’avais dix-sept ans, j’ai intégré l’école des métiers d’une entreprise publique. Là, j’ai découvert que je n’étais pas un Français comme les autres. Le premier jour de cours, alors que je répondais à une question, un élève me coupe, et dit à haute voix: "Toi, le Noir, ferme ta gueule, retourne sous les cocotiers". Personne n’a bronché. Ni le professeur, ni mes camarades. Les insultes de ce genre, je ne les compte plus. «Singe», «les Noirs et les Arabes sont des voleurs», «des comme toi, j’en chie tous les jours», «combien de temps prends une Négresse pour chier une merde? Neuf mois», et j’en passe.

«Le soir, quand je sortais avec mes amis, nous ne pouvions jamais rentrer en boîte de nuit. Il fallait aller dans des boîtes perdues à la périphérie de la ville, négocier trois quarts d’heure et jurer d’acheter deux bouteilles. Les années sont passées. Et rien n’a changé. J’ai intégré l’école des cadres dans la banlieue parisienne. Reçu premier à l’écrit, premier à l’oral. J’ai redoublé la première année avec 11,5 de moyenne… alors que des camarades de promo sont passés avec 9 de moyenne. Apparemment, c’était normal, ils étaient blancs. Personne n’était étonné.

«A la sortie de la formation, j’ai eu un mal fou à trouver un poste. A chaque fois que j’arrivais pour un entretien d’embauche, c’était un "Ah, c’est vous…" de déception. Suivi d’un : "Il y a un malentendu, en fait, vous ne correspondez pas au poste", bafouillant une excuse bidon. C’était tout le temps pareil. Tellement que cela en était presque risible. Une fois, je me suis carrément entendu dire: "Ce n’est pas des gens comme vous qu’on veut chez nous." Je sais, cela paraît difficile à croire. C’est pourtant vrai. De la même manière, je suis systématiquement contrôlé par la police. A chaque fois, cela dure une heure, une heure et demie. Surtout, il ne faut rien dire, garder son calme. Sinon, c’est encore pire.

«J’ai finalement trouvé un poste à Lille, grâce à des relations. Depuis, je suis toujours là-bas. J’ai demandé plusieurs fois ma mutation, pour évoluer. Elle m’a toujours été refusée. J’ai une réputation de bosseur pourtant et ceux qui travaillent avec moi m’apprécient généralement. Alors pourquoi? On vante mes qualités professionnelles et je n’évolue pas. Tout n’est pas lié à ma couleur, il ne faut pas être paranoïaque. Mais quand même.

«J’ai une fille de sept ans. Elle n’est pas noire comme moi, mais elle est typée. J’ai été obligée de la changer d’école, elle se faisait insulter. Quand je l’amenais le matin, c’était des «Eh chocolat, chocolat». Des trucs du genre. Encore récemment, juste avant la braderie de Lille, nous étions dans le bus tous les deux. Là, un jeune homme nous a traités de "sale race". Personne n’a bougé. J’ai lu la peur sur le visage de mon enfant. Que voulez-vous que je lui dise ? Elle est trop jeune pour que je lui parle du racisme, c’est un problème d’adulte.

«J’entends "Assez" mais je ne vois toujours personne se révolter dans le bus quand je me fais insulter, ou demander des comptes au videur quand l’on m’interdit l’accès à une boite de nuit à Paris ou ailleurs. Voilà ma question : de quel "assez" parlez-vous? Ce que l’on a fait à Taubira était trop visible ? Va-t-on continuer à tolérer ce harcèlement perpétuel mené contre tous ceux qui ne sont pas ministres ? Et dont les insultes ne se voient pas à la télévision ? Le racisme et l’ostracisme nous poursuivent dans l’indifférence générale. Quand on parle, on nous signifie clairement que "nous emmerdons le monde". J’en ai vraiment ASSEZ. Au travail, j’ai averti la hiérarchie que toute nouvelle expression raciste, blague, allusion serait suivie d’une action judiciaire. C'est la fin de la récréation.»

1 Il a préféré que son prénom soit changé.

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