Sans doute la plupart des Martiniquais n'avaient-il jamais entendu parler de ce phare qui, depuis le XVIe siècle au moins, servit de repère autrefois aux navires négriers et sert aujourd'hui aux cargos et autres supertankers, dans le difficile estuaire de la Gironde qui porta d'abord le nom de "rivière de Bordeaux". Ils le découvrent aujourd'hui presque par hasard, plus exactement parce qu'il est en concurrence pour l'inscription au Patrimoine Mondial de l'UNESCO avec un bien martiniquais : la Montagne Pelée et les Pitons du Carbet.
Derrière ce joli, en effet, de Phare du Cordouan dont l'étymologie est incertaine, se cache un lourd et bien sombre passé : celui du commerce triangulaire et de la Traite négrière.
Pendant plus de 3 siècle, des navires chargés de pacotille quittaient le port de Bordeaux pour se rendre sur les côte d'Afrique de l'Ouest où ils troquaient celle-ci contre des esclaves qu'ils transportaient ensuite dans "les Isles Françoises de l'Amérique" où ils chargeaient du sucre, du coton, du café, du cacao, denrées tropicales dont raffolait alors l'Europe, afin de les convoyer à Bordeaux. Sinistre triangle de l'infamie qui brise des centaines de milliers de vies innocentes.
Aussi bien au départ qu'au retour, le Phare du Cordouan permettait aux navigateurs de sortir du difficultueux estuaire de la Gironde et d'y pénétrer en toute sécurité. Trois siècles et demi durant, le commerce triangulaire fit donc la richesse de la ville de Bordeaux et de ses armateurs, chose que tous les historiens sérieux ont déjà amplement mis en lumière mais qui occupe une maigre place dans la conscience collective des gens d'Aquitaine et de Charente Maritime. Pourtant , Bordeaux fut le deuxième port négrier français après Nantes...
Le 31 janvier prochain, le président français aura à trancher entre deux propositions d'inscription au Patrimoine Mondial de l'UNESCO : le Phare du Cordouan d'un côté ; la Montagne Pelée et les Pitons du Carbet, le projet martiniquais, de l'autre. En pleine crise des Gilets jaunes, on s'imagine que la décision ne sera pas aisée à prendre. Cependant, au vu du sinistre passé du Phare du Cordouan et indépendamment de ses indéniables qualités architecturales, et aussi par respect pour les innombrables et indénombrables victimes de la Traite négrière ainsi que leurs descendants actuels, est-il permis d'espérer qu'un choix raisonné puisse l'emporter ?...