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A propos de l'ouvrage de Dominique Berthet

POUR UNE CRITIQUE D’ART ENGAGEE

par Christelle Lozère
POUR UNE CRITIQUE D’ART ENGAGEE

Cette présentation se fera en deux temps. Dans une première partie, il s’agira de présenter l’ouvrage de Dominique Berthet Pour une critique d’art engagée lu avec beaucoup d’intérêt. Dans une seconde partie, il sera mis en relation avec celui que l’auteur a déjà publié en 2012 intitulé Pratiques artistiques contemporaines en Martinique, Esthétique de la rencontre 1 (L’Harmattan), qui rend compte de son travail depuis des années avec les artistes caribéens en tant que professeur des universités, critique d’art, directeur de la revue Recherches en esthétique ainsi que fondateur et responsable du CEREAP.

{{Pour une critique d’art engagée}}

Les premières pages d’un livre sont fondamentales : elles amènent le sujet, annoncent le coloris, nous invitent à poursuivre la lecture en stimulant notre curiosité, notre imaginaire, en créant les premières sensations et émotions.
Dominique Berthet offre ainsi au lecteur une belle invitation à entrer dans son livre proposant, dès les premières lignes, une définition de l’œuvre d’art extrêmement intéressante. Dans l’avant-propos, il écrit : « L’œuvre d’art est une production hors du commun, fascinante et énigmatique. Umberto Eco la présente comme “un message fondamentalement ambigu, une pluralité de signifiés qui coexistent en un seul signifiant”. L’œuvre d’art en tant qu’aboutissement, même inachevé, interpelle la sensibilité et l’intelligence du spectateur. Elle s’offre à l’aventure du regard, de l’émotion, de l’analyse ; une aventure renouvelée à chaque rencontre. »

Dans cet avant-propos d’une grande clarté, l’auteur évoque la place, le rôle et la fonction du regardeur/spectateur, qui, par son intelligence, sa sensibilité, sa mémoire, aussi – qu’elle soit affective ou sensorielle – participe à sa manière au processus de création artistique (« l’aventure du regard »), qui est ainsi perpétuellement à redécouvrir.

L’auteur introduit l’idée, née dans la Correspondance littéraire de Denis Diderot sur les Salons du XVIIIe siècle, que le public-récepteur justifie en partie l’art, le fait exister et lui confère un sens. Il explique parfaitement que l’œuvre d’art est ainsi produite non seulement pour être contemplée par un public très varié, de l’indifférent à l’expert, mais aussi critiquée, c’est-à-dire confrontée à l’appréciation d’un spectateur parmi lequel peut figurer le collectionneur, le marchand d’art, le galeriste, le commissaire d’exposition, le critique d’art, l’historien de l’art, le philosophe, etc. Il pourrait être ajouté à la liste de l’auteur la figure de l’artiste lui-même, certes créateur, mais aussi spectateur du dialogue émotionnel et intellectuel entre son œuvre et le public.

À partir de l’idée que le regard du spectateur, particulièrement celui du critique d’art, nourrit et renouvelle perpétuellement l’œuvre d’art, Pour une critique d’art engagée propose, en s’appuyant sur la pensée des grands théoriciens et philosophes de l’art de l’époque moderne à l’époque contemporaine, une réflexion sur les enjeux du discours critique perçu en tant qu’écriture engagée.

Cet ouvrage, semble-t-il, n’a pas la vocation ou la volonté de définir ce qu’est ou ce que doit être pour l’auteur (lui-même critique d’art) une critique d’art engagée, mais plus de proposer au lecteur une réflexion pluri-angulaire sur le discours critique en la replaçant dans une perspective historique, celle de l’histoire de la critique d’art du XVIIIe au XXIe siècle. Cette démarche semble avoir pour finalité d’encourager les critiques d’art contemporains à « s’engager » dans leurs propres discours critiques.

Pour une critique d’art engagée a été perçu comme un formidable outil qui permet d’ouvrir une grande boîte où se trouve une autre boîte et, à l’intérieur, une autre boîte, telles des poupées russes. Toutes ces boîtes permettent de réfléchir, à partir des discours et des regards multiples bien sûr contextualisés par l’auteur dans leurs époques et dans leurs propres enjeux, à un certain nombre d’idées, de questionnements sur ce que sont l’imaginaire, la beauté, l’imitation, l’engagement, etc., remettant en cause perpétuellement notre propre définition et perception de l’œuvre d’art.
Parmi ces boîtes, une paraissait fondamentale pour comprendre le rôle et l’utilité d’une critique d’art engagée : il s’agit de celle qui différencie le critique d’art de l’historien d’art. Pour souligner cette distinction, l’auteur cite Hélène Lassalle. Pour elle, « la tâche du critique se joue dans la proximité et dans l’immédiateté de l’apparition de l’œuvre tandis que l’historien, même des périodes récentes, opère dans la distance, selon une perspective ».

Pour une critique d’art engagée m’a permis de réfléchir sur ma propre méthodologie et mon propre rapport à l’œuvre d’art en tant qu’historienne de l’art. Même si le critique et l’historien de l’art ont finalement le même sujet d’étude, un même engouement pour l’art, leurs méthodologies face à l’interprétation de l’œuvre s’opposent tout en se complétant. Le critique est dans la spontanéité, l’immédiateté, l’actualité, le témoignage, l’émotion, la sensation, le trouble. Il est en contact avec les artistes, le marché de l’art, le public. Sa parole est plus ou moins engagée ; elle peut être politique, voire militante. Le critique peut participer à la construction ou à la destruction d’une œuvre d’art, d’un mouvement. Il peut inventer un langage. Il est lui-même un créateur.

Quant à l’historien de l’art, il peut se rapprocher du scientifique. Il réagit à froid, avec distance, selon une méthode analytique, proche de l’historien, qui consiste à replacer l’œuvre dans son contexte historique, politique, économique, sociologique, philosophique, anthropologique, etc. Sa propre émotion face à l’œuvre d’art ne transparait pas dans son interprétation. Elle est secondaire. L’historien de l’art analyse la parole du critique tout en prenant du recul, de la hauteur, face à cette parole en la contextualisant. Il n’est pas obligatoirement en contact avec les artistes, le marché de l’art ou encore le critique d’art, car l’historien de l’art travaille essentiellement sur le passé ou éventuellement sur le présent, mais avec toujours la distance nécessaire à son analyse. La proximité, les affinités du critique d’art avec les artistes et le marché de l’art interrogent l’historien de l’art sur les enjeux autour du discours critique, particulièrement si cette parole est engagée et militante.

Cet ouvrage permet justement de saisir les enjeux et les évolutions de l’histoire de la critique d’art, puisque l’auteur fait le choix de mettre en valeur les premières figures de cette pensée critique, Lessing, Diderot, Baudelaire, Walter Benjamin, J.-P. Sartre, ainsi que des critiques plus contemporains. Par le découpage de son livre en chapitre consacré à chaque fois à un critique particulier, de Lessing à Sartre, il permet au lecteur à la fois de mieux comprendre qui étaient ces critiques et la nature de leurs relations avec les artistes de leur temps, et, à la fois de permettre au lecteur de bien saisir la portée de leurs discours engagés.

En interrogeant le lecteur dans les derniers chapitres de son livre sur ce qu’on peut ou doit attendre de la critique d’art au regard de l’art contemporain, on s’interroge inévitablement sur les propres engagements de Dominique Berthet en tant que critique d’art.

{{Pratiques artistiques contemporaines en Martinique}}

Cette réflexion m’amène à faire un lien avec son ouvrage Pratiques artistiques contemporaines en Martinique qui présente, pour reprendre les propos de l’auteur, « un certain nombre d’expériences plastiques » à travers lesquelles on peut lire, dans un second niveau de lecture, l’histoire des idées esthétiques qui, depuis les années 1940 (plus précisément à partir de la création la revue Tropiques), ont servi de cadre aux travaux des artistes martiniquais. Ce second ouvrage apparaît comme une mise en pratique de ce que l’auteur théorise dans Pour une critique engagée : à savoir sa volonté d’être un critique engagé.

Son engagement, en tant que critique d’art, semble être, en effet, multiforme :

- il est dans son contact permanent avec les artistes antillais et le marché de l’art depuis plus de 20 ans (l’acolyte).

- il est dans sa volonté de donner enfin par l’écriture, la voix ou l’image, une visibilité internationale aux artistes locaux et de manière plus générale, aux pratiques et aux débats artistiques caribéens afin d’en montrer leurs richesses et leurs diversités.

- il est aussi dans sa volonté de prendre en compte, dans son discours critique, l’histoire spécifique des Antilles qui est fondamentale pour comprendre la réalité présente et la démarche des artistes antillais – c’est-à-dire de déterminer les conditions qui ont rendu possible l’existence d’un art contemporain en Martinique – pour mieux en saisir sa richesse, ses enjeux et sa spécificité.

Ce discours est neuf, fort et engagé. Notre recherche en histoire de l’art le confirme : avant la Seconde Guerre mondiale, le discours officiel refusait, voire niait toutes possibilités et toutes capacités artistiques aux populations noires des Antilles. Seuls, lisait-on dans la presse, des esprits éclairés venant ou issus de la France hexagonale pouvaient apporter l’art aux Antilles. Ce discours colonial négationniste trouva son apogée dans l’entre-deux-guerres à travers l’idéologie et la propagande impérialistes de la Troisième République. Il s’est aussi fissuré pendant cette même période grâce aux premiers échanges artistiques entre la Métropole et les Antilles faisant évoluer les regards et les imaginaires.

Aujourd’hui, le foisonnement de cette production artistique aux Antilles montre le chemin parcouru depuis les années 1940. Les travaux de Dominique Berthet permettent de rendre compte de cette richesse tout en mesurant le chemin parcouru pour sa connaissance et sa reconnaissance à l’échelle internationale. Le choix des notions développées dans Pratiques artistiques contemporaines en Martinique – celles de la mémoire, du lieu, de l’héritage, de la trace, de l’identité, de la fragmentation, de l’hybridation, du métissage – montre la perception par l’auteur de la complexité de l’histoire antillaise.

L’approche sensible de Dominique Berthet témoigne encore une fois de sa volonté de produire une critique engagée qui, par cette prise de position militante et forte, ne peut que s’enrichir et nous enrichir.

Post-scriptum: 
Dominique Berthet, Pour une critique d’art engagée, L’Harmattan, 2013. Présentation par Christelle Lozère, historienne de l’art, maître de conférences à l’Université Antilles-Guyane.

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