Accueil
Aimé CESAIRE
Frantz FANON
Paulette NARDAL
René MENIL
Edouard GLISSANT
Suzanne CESAIRE
Jean BERNABE
Guy CABORT MASSON
Vincent PLACOLY
Derek WALCOTT
Price MARS
Jacques ROUMAIN
Guy TIROLIEN
Jacques-Stephen ALEXIS
Sonny RUPAIRE
Georges GRATIANT
Marie VIEUX-CHAUVET
Léon-Gontran DAMAS
Firmin ANTENOR
Edouard Jacques MAUNICK
Saint-John PERSE
Maximilien LAROCHE
Aude-Emmanuelle HOAREAU
Georges MAUVOIS
Marcel MANVILLE
Daniel HONORE
Alain ANSELIN
Jacques COURSIL

Pour Georges, Jacques et les autres

Lyonel Trouillot ("Le Nouvelliste")
Pour Georges, Jacques et les autres

L’anniversaire de la mort de Georges Castera est une occasion de souligner la nécessité de développer une réflexion profonde sur la place de la littérature dans l’histoire politique et intellectuelle d’Haïti. C’est sans doute le meilleur hommage qu’on puisse lui rendre.

Faut-il rappeler que Georges, c’était la modernité esthétique alliée à la conscience sociale. Un art pensé dans son rapport aussi bien au langage qu’à la réalité sociale. Un art, sans jamais être réductible à la platitude du slogan, toujours dénonciateur de tout ce qui peut faire obstacle à la pleine liberté vue comme la réalisation de soi dans un collectif lui-même désaliéné et producteur de bonheur et d’égalité. L’idéal communiste au sens premier du terme.

(Pardonne-moi, frère, si la citation est inexacte) Faubert Bolivar a écrit une fois quelque chose comme : « Je n’écris pas pour me faire un nom mais parce que j’ai un nom. » Il faut entendre par nom quelque chose qui me désigne dans mon désir d’être, mes choix, une subjectivité qui se pense, se place, s’active dans le tissu des rapports humains. Écrire est ainsi voix de mon être, le lieu où, fragmenté, je me rassemble.

Georges savait que vivre pouvait être une impasse : « Mwen ki tankou on riyèl wòch ki pa mennen okenn kote. » Parler, c’était se frayer un chemin. Par une négativité sans concession envers ce qui fait que « le pain s’enveloppe de mouches », en étant complice de la beauté concrète de l’aimée qui va « sous la pluie, sous la phrase ». Et aucune peur d’utiliser une notion, un mot qui fait peur aux blasés qui se prennent pour des génies. Un mot tout simple, venu du temps des toupies et des cerfs-volants. Un mot sorti de l’enfance : la bonté.

C’est idiot de croire que la bonté se passe de la critique radicale. Bon ne veut pas dire bête, gnangnan, débonnaire. Critique, Georges l’était. De certaines pratiques d’écriture. De certains poncifs de la critique traditionnelle. De certaines idéologies de la littérature. Cela ne l’empêchait point d’être présent dans la vie littéraire : interventions publiques, rencontres publiques et privées avec les jeunes, comité de rédaction de périodiques…  Prenant des notes sur ses petits bouts de papier et dans ses petits carnets. Ne jamais oublier son dynamisme, lorsque lui, Yanick (Lahens) et moi, nous dirigions l’association des écrivains haïtiens : les publications, les projets collectifs, dont cet inoubliable « voyage à l’intérieur de nous-mêmes », la discussion permanente sur les esthétiques, les « périodes », la poésie de langue créole, les genres, les thématiques…

En animant ce matin un atelier pour des étudiants dans le cadre du Festival Rezistans, je l’ai beaucoup cité. J’étais frappé par le désir de ces jeunes de « dire des choses ». Les mots « combat », « résistance » sont souvent revenus. La conversation entre la qualité littéraire et la conscience sociale aiguë est une composante de l’histoire de la littérature haïtienne du XXe siècle. « L’analyse schématique » et le « manifeste du parti de l’entente populaire » sont écrits par deux écrivains. Il faut redonner vie. Les jeunes – dans leur majorité – le souhaitent, le réclament. Les travaux de Castera, Alexis, Roumain, Lespès, Saint-Amand et bien d’autres indiquent le chemin : oser ouvertement des propositions esthétiques, oser discuter du statut et de la condition de l’écrivain, des spécificités du littéraire et de ses liens avec le réel. Refaire de l’espace littéraire un vrai lieu de débats d’idées où s’argumentent les choix.

Des revues le font (Legs, dEmanbrE…). Mais les « milieux littéraires » font beaucoup plus de « zen » qu’ils ne parlent théorie, histoire et sociologie de la littérature. Cette « première des sciences humaines », selon le mot de Todorov, mérite mieux. Nos grands écrivains méritent mieux. Nos écrivains en devenir méritent mieux. Haïti mérite mieux, puisque, en dernière instance, cachés ou évidents dans nos jeux de mots, c’est toujours de notre rapport à l’humain, aux êtres concrets qu’il s’agit.

Connexion utilisateur

CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain afin d'éviter les soumissions automatisées spam.