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Pour échapper au virus, les Amérindiens retournent à la forêt

Anne Proenza, Bogota
Pour échapper au virus, les Amérindiens retournent à la forêt

Les peuples autochtones de Colombie, déjà décimés par plusieurs vagues d’épidémies depuis l’arrivée des conquistadors, quittent les villes pour survivre

«Ce n’est pas la première épidémie que nous devons affronter et, à chaque fois, nous devons nous éloigner des centres urbains», remarque Armando Valbuena, porte-parole de l’Organisation nationale indigène (ONIC) et sage Wayuu qui énumère tristement «grippe, choléra, rougeole, encéphalite équine»… Or, pour la plupart des Amérindiens de Colombie, la menace de l’arrivée du Covid-19 sur leurs territoires s’ajoute aux difficultés habituelles: peu d’accès à l’eau, à l’alimentation, aux centres de santé pour certains, violences des groupes armés et incendies de forêt dévastateurs pour d’autres, quand ce n’est pas tout en même temps.

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Mais c’est sans doute la première fois depuis longtemps qu’une même épidémie menace à la fois les 115 peuples amérindiens de Colombie qui vivent dans des conditions très différentes (nomades, semi-nomades, sédentaires, ruraux, urbains), de la forêt amazonienne au désert de la Guajira, des hauts plateaux andins aux plaines de l’Orénoque, des hauteurs de la Sierra Nevada aux forêts du Pacifique. Dans son bulletin du 3 avril, l’ONIC estime que plus de «177 805 familles indigènes sont en situation de risque» et enjoint «les peuples Kokonuko, Nasa, Pubense, Arhuaco, Zenú, Pasto, Wayuu et Kankuamo à renforcer et à consolider leurs systèmes de contrôles territoriaux». Conscients de leur fragilité aux maladies importées par les Blancs qui les ont décimés à différentes périodes de l’histoire, la plupart ont décidé de s’isoler avant même les mesures de confinement obligatoire décrétées par le gouvernement le 25 mars.

«Système immunitaire très faible»

Dans le département du Guaviare, aux portes de l’Amazonie, plusieurs groupes de Nukaks ont ainsi demandé de l’aide aux autorités pour retourner «s’interner en forêt». Une partie de ce peuple de tradition nomade en voie d’extinction a été déplacée ces dernières années de son immense territoire par la violence, la déforestation, la colonisation et vit dans des conditions précaires à la lisière de San José del Guaviare, la capitale du département. Un groupe d’environ 200 personnes a fui l’épidémie de Covid-19 dès le 18 mars. La mairie les a conduits à trois heures de voiture par des pistes, puis ils se sont éloignés à pied dans la forêt. «Ils ont un souvenir très douloureux de la grippe qui les a décimés lorsque les colons sont pour la première fois entrés en contact avec eux en 1988», explique Kelly Peña, une sociologue qui travaille avec eux et les a accompagnés aux portes de la forêt. «Tous ont vu leurs parents et leurs grands-parents mourir à cette époque, et ils conservent un système immunitaire très faible.»

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En s’éloignant de la ville et de ses centres de santé aux moyens très insuffisants, les Nukaks s’exposent cependant à d’autres dangers: les mines antipersonnel qui parsèment leur territoire, les feux de forêt qui brûlent pour étendre la frontière agricole, l’extension des cultures de coca et les différents groupes armés qui contrôlent la région. «Cette épidémie est mortelle pour les Nukaks, la meilleure solution est de s’enfoncer dans la forêt et de couper tout contact», tranche cependant Manuel, un des porte-parole du Mauro Munu, le Conseil des autorités traditionnelles de ce peuple.

«Nous allons nous défendre»

La Colombie est un des pays de la région qui compte le plus de communautés amérindiennes, aux langues et aux cultures très différentes, même si elles ne représentent qu’un peu plus de 3,4% de la population. «Les anciens, les sages, les médecins traditionnels sont sur le qui-vive depuis près d’un mois pour donner des orientations», affirme Marcos Kuetia, le chef Nasa joint par téléphone dans la réserve de Jambalo, dans le département du Cauca. Un de ses compagnons, Mariano Pilcue, sage de 55 ans, explique: «Notre médecine traditionnelle est basée surtout sur la prévention, c’est une discipline complexe, personnelle, qui commence dès la naissance. Nous sommes conscients de ce qui est arrivé à nos ancêtres, et, une fois de plus, nous allons nous défendre.»

Ainsi, le peuple Nasa a restreint dès la mi-mars l’écotourisme, interdisant aux étrangers de se rendre sur leurs sites sacrés. Quinze jours plus tard, la plupart des territoires indigènes du pays sont confinés et la garde indigène veille 24h sur 24 aux entrées et sorties, qui ne sont autorisées que pour des motifs médicaux ou alimentaires. «On est en résistance, en confinement, en protection, pour éviter que la pandémie ne prenne des vies», affirme le député amérindien Feliciano Valenciano depuis Caldono, dans le Cauca, où il s’est filmé à une barrière avec des membres de la garde indigène.

«Chaque peuple a sa propre médecine, ses plantes, ses protections», remarque Rosendo Ahue Coelho, du peuple Tikuna et conseiller pour la santé de l’ONIC, joint à Puerto Nariño, sur les bords de l’Amazone. «Mais ce qui est sûr, c’est que le danger vient de dehors et qu’il faut s’isoler pour prévenir la contagion.» «C’est un moment difficile pour tout le monde. Espérons que cela va permettre une réflexion à l’échelle de l’humanité», souhaite Marcos Kuetia.

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