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Port-Louis, parmi les meilleures villes street-fooders du monde

Khal TORABULLY
Port-Louis, parmi les meilleures villes street-fooders du monde

Je viens de lire que ma ville natale vient d’être classée par CNN parmi les 23 villes du monde où il fait bon manger dans la rue. Je salue ce classement et je confirme, qu’en effet, la cité mauricienne est un espace déambulatoire où l’on déguste de bonnes choses à quasiment chaque dix pas…

Retour sur le manger port-louisien…

En natif de la capitale, je me permets de me remémorer les dégustations de bons plats ou « gâteaux » que l’on offre depuis longtemps dans la ville portuaire, et ce sur un mode proustien. En effet, certains d’entre nous doivent encore se souvenir des célèbres macaronis à la viande, à la sauce tomate et gratinés de biscuit cabine et de fromage kraft de bhai Abou, jadis servis à la place des charretiers devant la poste centrale, sous l’arbre lafouche désormais coupé pour laisser passer la nouvelle route qui longe le Caudan. Son halim (épaisse soupe de lentilles jaunes avec viande ou poulet) était proverbial aussi. Rappelez-vous, il était servi dans un catora en fer blanc, arrosé de coriandre et de menthe fraîches, rehaussé de vinaigre et de son mazavarou à faire saliver un mort. Près de lui, attendant la bouche légèrement embrasée du chaland, un marchand de pudding maïs ou de mitaïs indiens vous guettait, dans le seul but humanitaire d’adoucir votre sort si la pâte piquante rendait la vie difficile à vos papilles pourtant aguerries. Inoubliable bhai Abou, qui est demeuré une référence chaque fois je mange des pâtes italiennes, tant sa cuisine faite pour stevedores et autres gourmands, était fine et savoureuse. Traversons le marché central et ses étals de puri et de dhal puri, confectionnés avec amour, servis avec des brèdes songes parsemées de petites crevettes de rivière, de pois fève, de potiron et d’achard de légumes ou de piment vert. L’amateur averti demandera sa ration de petit piment pour « arranger la bouche », au cas où l’appétit aurait déserté –momentanément – son palais.

A la sortie du grand bazar, après les aloudas, faloudas, dilomor (jus de citron vert) et milkshakes des rois de la soif, viennent les vendeurs de mangues, de corrosols ou de banane zenjli. Puis, rôdent les marchands de confits (fruits au vinaigre, mangue, concombre et samcote ou « patate chinoise »), de puddings de sawaï (vermicelle), de tapioca, de poutou (pudding fait avec la farine de riz, cuit à la vapeur et agrémentée de poudre de coco) ou de oundé, les deux derniers, venant de l’Inde du Sud. Remontez jusqu’à la rue Desforges. Vous croiserez les marchands de pâté, feuilleté, napolitaines, filles d’amour (puits d’amour) et de samoussas de poulet… Je me rappelle un personnage haut en couleurs, tout habillé de noir, affublé du sobriquet de Zorro, qui vendait un dhal puri d’anthologie, serti de sauce pomme d’amour et de cotomili (coriandre) à damner un jeûneur. Certains fourraient ses galettes aux pois cassés dans leur pain maison, tant l’affaire était mari bonne. Par ici, en face des côtelettes et catless de l’hôtel Providence où les amateurs de gâteaux piment ou de badia (beignets) se régalent en buvant le thé au lait, des marchands de pistaches (cacahuètes) grillées et salées (de couleur rouge) ou bouillies, accroupis à même le sol, vous offrent des cornets blancs de ces encas très prisés des port-louisiens vers les 3 heures de l’après-midi. Et puis, près de la maison du père de la nation, Sir S. Ramgoolam, il y avait aka, qui vendait le meilleur gâteau piment de l’univers, oui, craquants à souhait, avec une suave dernière note de tamarin en bouche. Une légende dans le quartier, comme l’autre aka Barlène, dont les marinades aux crevettes, beignets de bringelle (aubergine) et gâteau manioc nous font regretter le passage du temps et la mort des civilisations…

Vous l’aurez compris, tout au long de cette évocation, on mange, on grignote à chaque pas dans la capitale. Le street food fait vraiment partie de la vie de la capitale. Si vous remontez, de nos jours, l’ancienne rue Desforges, surtout le soir, vous serez surpris de voir que les grillades ou brianis foisonnent le long de cette rue principale. Autour de l’hôtel Pakistan, célèbre pour ses halwas, daube, keema (viande hâchée) rotis (galettes indiennes) et son thé au lait, toute une vie nocturne s’organise. Dans ce restaurant à ciel ouvert qui longe l’ancien pont français, vous mangerez aussi des sawmais (boulettes à la chayotte cuites à la vapeur) ou les boulettes au poisson ou au bœuf. La cuisine sino-mauricienne vous offre aussi, avec le célèbre « Béret rouge », ses mines (chow mein, nouilles chinoises) et riz frit, entre viande frite, halim et pain fourré. Si vous descendez vers la rue Royale, à China Town, près des arcades rehaussées des dragons de l’empire du Milieu, asseyez-vous sur le banc en bois de Gros piti, dont les boulettes sont une institution et ses mines font les délices des commuters chaque jour. Ici, vous aurez des gâteaux arouilles, des gâteaux la lune (de cire) ou en forme d’étoiles, parmi les gâteaux au soja ou les teokons (pâte de soja frite)…

Si j’ai parlé de Proust en amont de cette évocation (il y manque la  madeleine, certes), vous aurez remarqué qu’il y aussi un peu de la liste de Prévert dans ma déambulation culinaire et mémorielle… L’article de CNN annonçant le classement de Port-Louis, signale, à juste titre, les savoureux dhal puri à l’angle de la rue Rémy Ollier, à ne pas manquer. Cependant, je voudrais juste signaler l’oubli de Penang dans cette liste. Sa diversité culinaire reflète celle de Maurice (plusieurs régions de l’Inde, du Pakistan, de Chine, auxquelles on peut rajouter Malaisie et Indonésie, principalement) et c’est chaque soir un spectacle et un régal pour les yeux et la panse (et le porte-monnaie aussi). Je me suis régalé de leurs mee goreng, curries, papadum, crevettes géantes et autres dim suns, et je peux témoigner du tourisme gastronomique dans ce coin attachant… Omission que je ne comprends pas pour cette île réputée pour être le plus grand street food market de l’Asie, et, pourtant, déjà couverte par CNN dans une page gastronomique (2).

Sinon, chers gourmands et gourmandes du monde, non, Port-Louis n’a pas usurpé sa place dans ce classement. Ne dit-on pas que l’île offre la meilleure cuisine entre Beyrouth et Kuala Lumpur ? Dernièrement, à Turin, le propriétaire d’un restaurant m’a fait les louanges de nos saveurs et de nos cuisines issues de nos migrations… C’est la première fois qu’un italien me parlait de Maurice sans me rappeler ses plages de sable fin et sa mer turquoise… Et cela a rehaussé la saveur de mon île.

© Khal Torabully

Notes :

(1) http://news.voyage-ile-maurice.info/ile-maurice/ile-maurice-la-ville-de-port-louis-classee-dans-les-meilleures-villes-au-monde-pour-la-nourriture-de-rue/

(2) http://travel.cnn.com/george-town-penang-asias-greatest-street-food-city-657636/

 

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