En ce début du mois de janvier, comment ne pas songer à toi et à ce "goudougoudou" qui a frappé notre "Ayiti chérie" et a brisé la trajectoire d'une vie, la tienne ?
Tu étais, toi de Doyen de la Faculté de Linguistique appliquée de Port-au-Prince, d'une affabilité et d'une modestie rares dans un monde où la seule possession d'un diplôme, surtout d'un doctorat, amène certains (es) à se hausser du col. Tu avais repris le flambeau des grands créolistes haïtiens tels que Jules Faine, S. Comhaire-Sylvain et Pompilus Pradel et tu t'étais employé des décennies durant à décrire le kréyol ayisien aux plans phonétique et syntaxique, participant aux difficiles efforts de standardisation de la langue avec une abnégation elle aussi rare.
Au moment où le sinistre grondement s'est élevé de la faille qui se trouve sous la région de Port-au-Prince et a lancé son terrible "goudougou", tu te trouvais dans une salle de ton institut avec bon nombre d'étudiants. Une soixantaine, avons-nous appris. J'imagine la stupeur qui vous a saisi mais j'aime à supposer que vous n'avez pas eu le temps de comprendre ce qui était en train de vous arriver. Que l'écroulement des murs et des poutres en béton a été si soudain qu'aucun d'entre vous n'a pu réaliser qu'il vivait ses derniers instants.
Tu étais notre ami, celui des créolistes des Petites Antilles et de la Guyane. Celui de feu Jean Bernabé en particulier avec lequel tu avais tissé des liens de collaboration fructueux. Jamais tu n'hésitais à quitter ton île pour venir discuter avec nous du devenir de notre à la fois jeune et vieille langue créole.
Pierre Vernet, sous les décombres, en ce jour sinistre de janvier 2010, ta voix s'est tout soudain tue. Mais sache qu'aucun d'entre nous ne l'a oubliée !