Deux textes poétiques pour manifester ma très vive réaction de colère au projet de la CACEM de la destruction annoncée de cet éco-système si précieux qu'est la mangrove de Port-Cohé au Lamentin (commune où par ailleurs je demeure).
du sol de ce pays que, très humble, je baise.
Le foulant de mes pieds, je m’y sens à mon aise
et je suis en son sein tel tenon en mortaise.
Je dirai sans pudeur ce profond sentiment
qui, comme au premier jour, à nouveau me reprend
chaque fois que j’arpente la verdeur de ses champs.
La fraîcheur des rivières murmurant leur doux chant,
le parfum enivrant de ses fleurs chamarrées,
le spectacle des vagues et l’odeur des marées,
la chaleur du soleil qui fait ma peau bronzée…
tout ça peut paraître aux hommes billevesées.
Contre le bleu du ciel, de grands arbres dressés
à la cime ondulant sous l’alizé léger,
peuplés de chants d’oiseaux mélodieux et variés,
bordent la ravine discrète, un peu cachée.
Au fond s’écoule à l’ombre un frais filet d’eau claire
unissant son babil à celui des moineaux
qui viennent affranchir leurs ailes de la poussière
et mêler leurs couleurs aux rouges balisiers.
La plaine à l’infini son au-delà étale,
friselant de lumière, océan végétal :
tiges de canne fières où fond l’or du soleil
au zénith, épandant sur l’île son sommeil.
Le silence est parfois brusquement déchiré
par le long beuglement d’un taureau solitaire.
Derrière ce plateau respirant sans bouger,
cerclé par l’horizon de nombreux mornes verts,
on devine à l’odeur transportée par le vent
poussant vers les terres quelques nuages blancs,
invisible berger rassemblant son troupeau,
l’infini d’émeraude salée de la mer…
Accoudé au chambranle, y passant ma journée
comme en méditation, contemplant ces beautés
j’oublie tous mes soucis, j’oublie le temps qui passe
devant ces merveilles qui jamais ne me lassent !
La nuit tombe au rythme de tambours effrénés :
vertiges de madras des jupons relevés,
la danse révélant de noires nudités
des arômes du rhum et de sueur parfumées…
Au sein de la forêt mystérieuse et profonde
est un havre de paix à la splendeur magique
dans la lumière bleue du grand ciel des tropiques
que renvoie dans nos yeux le clair miroir de l’onde.
Le silence est troublé par les seuls chants d’oiseaux,
contrepoint harmonieux au murmure des eaux.
Des tourbillons d’écume accouchent d’arcs-en-ciel
dans la brume irisée par les feux du soleil.
Y butinent alentour colibris, papillons,
ajoutant au milieu de pourpres balisiers
la richesse infinie de leurs points colorés
comme touche finale à cette perfection.
Enivré des senteurs de ce jardin d’Eden,
je sens monter en moi une bouffée de peine
en songeant que bientôt, d’après ce qu’on m’a dit,
l’homme y fera pousser l’affreux béton maudit !
À ceux qui, surpris, font mine de s’étonner,
me voulant dans le rôle du poète cantonner,
à voix haute je n’ai qu’un conseil à donner :
“Messieurs les promoteurs, cessez de bétonner !”
Alors, dans le secret et la fraîcheur de l’ombre,
je me fais le serment, en dépit de leur nombre,
de contrer sans répit ces promoteurs immondes
afin de préserver la beauté de ce monde…
Patrick MATHELIÉ-GUINLET
MANGROVE
en semant à tous vents leurs pousses vagabondes
Mangrove où toute vie abonde
Marais chamarrés amarrés à la terre féconde
qu’un éternel remous de marées amères inonde
J’admire la lumière d’un soleil d’or blanc
qui se mire dans la mer-miroir peu profonde
Ecoute le chant d’amour que te murmure le vent
ramage dans les rameaux
marais-cage pour oiseaux
crabes et coquillages
paludéenne faune et palétuviers sages
où le naissain essaime
et où les poissons s’aiment
en son sein salvateur
Des nuages comme des anges de passage
flocons blancs allongeant leurs cocons
en longs bancs de coton
lambeaux et filaments
s’étirent infiniment
comme de jeunes chatons
que l’on a réveillés
d’une caresse d’alizé
d’une paresse alitée
le pur effleurement
d’une fleur de vent…
Patrick MATHELIÉ-GUINLET