Cette pièce écrite en 1 acte et qui comporte 15 scènes est en effet un drame. (La conception idéale du théâtre chez Aristote, c’est la tragédie et elle doit s’écrire rigoureusement en 5 actes). Georges Mauvois ne respecte pas le canon, soit le canevas traditionnel aristotélicien du théâtre comme bcp d’écrivains français qui ont abandonné cette perspective depuis le XVIIIème siècle, au profit d’une écriture dramatique qui choque par la remise en question de la règle des trois unités classiques du théâtre (unité temps = une révolution de soleil, unité de lieu = un seul espace, le palais, l’unité d’action = pas d’intrigues secondaires, une action unique).
Pour reprendre ce qui dit Victor Hugo dans sa préface de Cromwell : « Le drame fond sous un même souffle le grotesque et le sublime, le terrible et le bouffon, la tragédie et la comédie… ».
Il y a une recherche de la liberté dans l’écriture, un désir profond de l’intuition créative et en même temps une quête identitaire de fondation esthétique représentative de notre Martinique mais aussi de notre Caraïbe. Il s’inspire de ses classiques (Poétique d’Aristote étant son bréviaire) et n’hésite pas à subvertir les règles pour créer une esthétique plus en phase avec nos réalités antillaises, notre histoire.
La force de cette pièce réside bien dans l’engagement de l’auteur avec son siècle, et cela transparaît:
Georges Mauvois : un auteur engagé, un militant
Georges Eleuthère Mauvois (né le 22 janvier 1922), en effet, est un homme emblématique. Il fait partie de la petite bourgeoisie foyalaise. Il fut cadre à l’administration des PTT et a mené une intense activité politique et syndicale. Il a été membre du Comité central du Parti Communiste martiniquais. En 1962, il démissionne de sa fonction pour ne pas subir l’exil forcé en métropole prévue par l’Ordonnance du 15 octobre 1960 comme d’autres fonctionnaires de Martinique (Walter Guitteaud, Guy Dufond, Armand Nicolas) et des autres DOM (9 Guadeloupéens, 13 Réunionnais, un Guyanais). Cette ordonnance prévoyait le rappel d’office en métropole des fonctionnaires de l’Etat en service dans le DOM pour une nouvelle affectation, dont le comportement était de nature à troubler l’ordre public. Le premier ministre de l’époque est Michel Debré, un des barons du Gaullisme chargé de la rédaction de la 5ème république. Le contexte international en lien avec cette ordonnance est celui de la Guerre d’Algérie (1954-1962). Cette mesure forte permettait à l’état français de sauvegarder ses prérogatives et d’éviter l’effet papillon dans ces quatre vieilles colonies (Antilles, Guyane, Réunion).
Forcément, le théâtre de Mauvois est engagé, il glisse vers le drame socialiste.
Justement ce qui fait la particularité de ces pièces de théâtre écrites en contexte dominé pour reprendre la formulation paratextuelle chère à P. Chamoiseau dans son ouvrage Ecrire en Pays dominé, c’est cette pulsion, ce besoin profond qui consiste à extérioriser, telle une catharsis (Freudienne) des évènements du passé afin de corriger les versions imposées, voire faussées, du discours officiel. Il s’agit bien là de faire revivre de façon ludique et fictive des scènes angoissantes, des rapports encore pénibles, longtemps refoulés dans la mémoire, aussi bien de ceux qui ont souffert l’esclavage que de ceux qui l’ont imposé. C’est une littérature anthropologique en ce que la fiction sert de mode exploratoire à l’identité, l’Histoire, la place des dominés dans le monde, quête de l’origine, des mythes et héros fondateurs d’une autochtonie difficile à réaliser.
On sent bien avec Georges Mauvois le rapport du dominé face au dominant, cette lutte acharnée, qui malgré les mesures coercitives et injustes prises à son encontre par le gouvernement de Debré, il met sur le papier, une idéologie, voire une utopie refondatrice du théâtre, qui au gré du temps, est censé cheminer dans l’esprit des lecteurs/spectateurs soit dans leur imaginaire pour refonder les réalités qui sont encore empreintes de cette chape colonialiste. Et tout cela trouve sa cohérence dans l’œuvre et rejoint parfaitement l’action de l’homme engagé politique, le communiste, le marxiste. Remarquez bien, que symboliquement, cette œuvre reçoit en 2004 le Prix Casa de las Américas, un des prix littéraires les plus prestigieux en Amérique Latine, décerné à Cuba, qui existe depuis 1959, sous l’égide de la politique révolutionnaire de Fidel Castro, décédé en novembre 2016.
Gérald DESERT