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NOTES SUR OVANDO DE Georges Eleuthère Mauvois

Gérald DESERT
NOTES SUR OVANDO DE Georges Eleuthère Mauvois

Cette pièce écrite en 1 acte et qui comporte 15 scènes est en effet un drame.  (La conception idéale du théâtre chez Aristote, c’est la tragédie et elle doit s’écrire rigoureusement en 5 actes). Georges Mauvois ne respecte pas le canon, soit le canevas traditionnel aristotélicien du théâtre comme bcp d’écrivains français qui ont abandonné cette perspective depuis le XVIIIème siècle, au profit d’une écriture dramatique qui choque par la remise en question de la règle des trois unités classiques du théâtre (unité temps = une révolution de soleil, unité de lieu = un seul espace, le palais, l’unité d’action = pas d’intrigues secondaires, une action unique).

Pour reprendre ce qui dit Victor Hugo dans sa préface de Cromwell : « Le drame fond sous un même souffle le grotesque et le sublime, le terrible et le bouffon, la tragédie et la comédie ».

Il y a une recherche de la liberté dans l’écriture, un désir profond de l’intuition créative et en même temps une quête identitaire de fondation esthétique représentative de notre Martinique mais aussi de notre Caraïbe. Il s’inspire de ses classiques (Poétique d’Aristote étant son bréviaire) et n’hésite pas à subvertir les règles pour créer une esthétique plus en phase avec nos réalités antillaises, notre histoire

La force de cette pièce réside bien dans l’engagement de l’auteur avec son siècle, et cela transparaît:

  • sur le plan idéologique de l’écriture :
  • par une conscience éclairée de l’histoire.
  • Ovando le personnage éponyme est dans l’histoire officielle espagnole, Nicolás de Ovando, soldat et noble espagnol (Valladolid, 1460-1511) ami et protecteur d’Hernán Cortés. Dès 1501, il est nommé Gouverneur de Saint-Domingue par la couronne espagnole pour remplacer Francisco de Bobadilla. Il fait partie des Chevaliers de l’ordre de l’Alcantara, confrérie militaire fondée au XIIème siècle un peu comme les Templiers, qui a pour but de défendre la région espagnole de l’invasion des Maures. La pièce de théâtre traite du massacre, du génocide des Indiens par Ovando, lequel les considère comme un véritable danger pour les Espagnols, allant à les considérer comme des démons : C’est des Indiens que suintait le mal. En effet, il veut fonder une ville purement espagnole en épurant et en tuant les Caciques Caonabo et Anacaona son épouse.
  • Mauvois utilise bien évidemment les sources des Chroniques telles que celles de Fray Bartolomé de las Casas, l’Histoire des Indes (qui consacre des chapitres aux 3 premiers voyages de Colomb et autres conquêtes) pour mieux réajuster son œuvre.
  • De même, les sources locales voire régionales consacrées à l’histoire d’Anacaona. Elle est dans l’histoire dominicaine une reine indienne du Xaragua, succédant à Behecio, son frère, au pouvoir. Ce royaume de Xaragua avait rendu de grands services au Royaume de Castille.
  • Cette obsession pour l’histoire se vérifie aussi dans l’œuvre à la scène 5 dans les répliques de Volvéro (le magicien, le revenant, l’érudit, le cartographe, le paresseux, le hâbleur, le copiste et bouffon du gouverneur, personnage énigmatique de l’œuvre qui prétend vivre dans le futur) à Diégo Méndez (compagnon de Christophe Colomb):
  • Peut-être devrais-tu t’occuper de te juger toi-même, dit Méndez
  • Moi, je ne présente aucun intérêt. C’est vous qui méritez d’être étudiés. Vous êtes de la matière historique. On vous exhume. On vous réveille. On vous pioche, dit Volvéro

 

 

  • sur le plan esthétique :
  • par une structuration hybride de l’œuvre (il y a une distribution des personnages archétypiquesla notion de héros est déplacée de son contexte historique officiel, les acteurs représentent le chœur, des anachronies discursives, des jeux d’anticipation, des va-et-vient dans le temps..). Unité d’action plutôt aléatoire que linéaire.
  • L’exploration du langage (emprunt au lexique amérindien pour réhabiliter l’Indien, de nombreux décalages langagiers dans les répliques de Volvéro comme : c’est du pipi de chat, il est cinglé  et des mots hors-contexte comme béton, bitume, automobile, bidonvilles touristes … Georges Mauvois adapte le langage aux répliques pour plus de vraisemblance, certes, mais aussi pour troubler l’histoire et secouer le lecteur ou le spectateur.
  • La dimension mythique qui passe par les deux personnages-clé de l’œuvre que sont Volvéro et Anacaona (fleur d’or en Taïno). Volvéro entre dans la tradition du réel merveilleux ou du réalisme magique ; c’est un revenant, un incube qui traverse le temps, il est l’histoire fait homme, pour permettre de réinterroger l’histoire officielle et essayer de changer le fatum d’Anacaona. Avec le personnage d’Anacaona, G. Mauvois réhabilite son statut si galvaudé dans l’histoire officielle occidentale pour lui offrir un statut d’héroïne, de mythe.

 

Georges Mauvois : un auteur engagé, un militant

 

Georges Eleuthère Mauvois  (né le 22 janvier 1922), en effet, est un homme emblématique. Il fait partie de la petite bourgeoisie foyalaise. Il fut cadre à l’administration des PTT et a mené une intense activité politique et syndicale. Il a été membre du Comité central du Parti Communiste martiniquais. En 1962, il démissionne de sa fonction pour ne pas subir l’exil forcé en métropole prévue par l’Ordonnance  du 15 octobre 1960 comme d’autres fonctionnaires de Martinique (Walter Guitteaud, Guy Dufond, Armand Nicolas) et des autres DOM (9 Guadeloupéens, 13 Réunionnais, un Guyanais).  Cette ordonnance prévoyait le rappel d’office en métropole des fonctionnaires de l’Etat en service dans le DOM pour une nouvelle affectation, dont le comportement était de nature à troubler l’ordre public. Le premier ministre de l’époque est Michel Debré, un des barons du Gaullisme chargé de la rédaction de la 5ème république. Le contexte international en lien avec cette ordonnance est celui de la Guerre d’Algérie (1954-1962). Cette mesure forte permettait à l’état français de sauvegarder ses prérogatives et d’éviter l’effet papillon dans ces quatre vieilles colonies (Antilles, Guyane, Réunion).

Forcément, le théâtre de Mauvois est engagé, il glisse vers le drame socialiste.

Justement ce qui fait la particularité de ces pièces de théâtre écrites en contexte dominé pour reprendre la formulation paratextuelle chère à  P. Chamoiseau dans son ouvrage Ecrire en Pays dominé, c’est cette pulsion, ce besoin profond qui consiste à extérioriser, telle une catharsis (Freudienne) des évènements du passé afin de corriger les versions imposées, voire faussées, du discours officiel. Il s’agit bien là de faire revivre de façon ludique et fictive des scènes angoissantes, des rapports encore pénibles, longtemps refoulés dans la mémoire, aussi bien de ceux qui ont souffert l’esclavage que de ceux qui l’ont imposé. C’est une littérature anthropologique en ce que la fiction sert de mode exploratoire à l’identité, l’Histoire, la place des dominés dans le monde, quête de l’origine, des mythes et héros fondateurs d’une autochtonie difficile à réaliser.

On sent bien avec Georges Mauvois  le rapport du dominé face au dominant, cette lutte acharnée, qui malgré les mesures coercitives et injustes prises à son encontre par le gouvernement de Debré, il met sur le papier, une idéologie, voire une utopie refondatrice du théâtre, qui au gré du temps, est censé cheminer dans l’esprit des lecteurs/spectateurs soit dans leur imaginaire pour refonder les  réalités qui sont encore empreintes de cette chape colonialiste. Et tout cela trouve sa cohérence dans l’œuvre et rejoint parfaitement l’action de l’homme engagé politique, le communiste, le marxiste. Remarquez bien, que symboliquement, cette œuvre reçoit en 2004 le Prix Casa de las Américas, un des prix littéraires les plus prestigieux en Amérique Latine, décerné à Cuba, qui existe depuis 1959, sous l’égide de la politique révolutionnaire de Fidel Castro, décédé en novembre 2016.

Gérald DESERT

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