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NI PRINTEMPS ARABE, NI REVOLUTIONS

par Tariq Ramadan
NI PRINTEMPS ARABE, NI REVOLUTIONS

Après l’euphorie, l’optimisme et l’espoir, il est temps de revenir à la réalité et d’évaluer les événements du Moyen Orient et d’Afrique du Nord (MENA*) en gardant la tête froide. La vitesse avec laquelle se sont produits les soulèvements successifs a été si grande qu’il était légitime de conclure que nous étions en train d’entrer dans une ère radicalement nouvelle. Aujourd’hui, plus de six mois après la chute des dictateurs tunisien et égyptien, des questions cruciales se posent. Il est également légitime de se demander ce qui est réellement en train de se passer dans ces deux pays. Partout, la confusion règne : plus de 110 partis politiques se présentent aux prochaines élections législatives tunisiennes, tandis que l’Egypte assiste à des négociations secrètes afin de protéger des membres de l’ancien régime - en particulier des commandants de l’Armée. Le paysage politique en Tunisie est devenu trouble et en Egypte, on a le sentiment que l’armée est en train de récupérer le soulèvement ; que certains dirigeants sont en train de jouer un double jeu. “Il faut du temps aux révolutions”, nous dit-on, ne nous pressons pas. L’Histoire révèle que la liberté a un prix. Cela est vrai. Nous devons demeurer engagés, impliqués et optimistes, sans toutefois être excessivement idéalistes ou naïfs. La situation en Tunisie, et plus encore en Egypte, suscite des inquiétudes : dans les deux pays, le paysage politique ressemble de près au chaos. La polarisation entre des courants laïques et islamistes empêchent toute discussion sérieuse relative aux défis sociaux et économiques majeurs auxquels les pays respectifs font face. Les Forces Armées regardent, si ce n’est surveillent, les développements au sein de la société tunisienne et égyptienne, tandis que des pays étrangers réajustent leurs positions et leurs stratégies. Il se pourrait, certes, que nous ne retournions pas aux anciennes dictatures, mais nul ne sait quel type de démocratie nous obtiendrons. Certains pensent qu’il est tout simplement trop tôt pour le dire. Nous ne pensons point qu’il s’agisse d’une question de temps, mais plutôt d’un problème d’influence et de considérations géopolitiques. Ce à quoi nous assistons est loin d’être « un printemps arabe ». En regardant de près la Libye, ces questions deviennent encore plus critiques et la confusion plus profonde. Que réservera l’avenir après que la France, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis - agissant à travers l’OTAN - l’ont libérée de Mouammar Kadhafi ? Qui sont ceux qui composent le Conseil National de Transition (CNT) ? Comment peuvent-ils prendre des décisions aussi rapides au sujet de la distribution de la production pétrolière du pays, favorisant de manière aussi ostentatoire et sans gêne les pays occidentaux ? Derrière les belles paroles de démocratie, de liberté et de dignité libyenne, quels jeux joue-t-on afin de contrôler et s’emparer des richesses du pays ? Le scénario nous rappelle l’Irak : la situation demeure instable, Kadhafi a disparu, et très rapidement le pays sera sous contrôle. Ce dernier sera économique et géopolitique au lieu d’être une voie démocratique vers la liberté. De la confusion, en effet - mais clairement pas une révolution. Les Grandes Puissances semblent être en conflit au sujet de l’avenir du régime syrien. Il a fallu six mois à la France, à la Grande-Bretagne et aux Etats-Unis pour demander à Bashar al-Assad de se retirer du pouvoir. Alors qu’ils lui demandent, assez timidement, de partir, la Chine et la Russie semblent les aider à ne rien faire. Pas de résolution de l’ONU, pas de déclaration explicite ; il n’y a pas de soutien clair au soulèvement syrien. Une fois de plus, il ne s’agit pas d’une question de temps, ni d’une question de démocratie : les considérations géopolitiques sont ici les facteurs décisifs. Le sang syrien reflète la valeur de la position géographique du pays : il peut être versé et sera versé au nom de calculs politiciens. Le Conseil National Syrien nouvellement établi ne réclame pas, à juste titre, une intervention internationale, mais demande un soutien international et diplomatique : au delà des mots, ils n’obtiennent rien. L’Occident, la Chine et la Russie sont inquiets, nous dit-on, du rôle des islamistes syriens, et en cela, ils prouvent une fois de plus que rien n’a changé. Les Grandes Puissances se moquent au fond de la démocratie : aussi longtemps que leurs intérêts sont protégés, elles demeureront silencieuses même si des milliers de civils sont massacrés. Les peuples yéménites ou bahreïni peuvent bien se sentir oubliés : ils le sont en effet, car leur cause, leur espoir, leur sang ne méritent pas les sacrifices des puissants. Le gouvernement turc tente de s’impliquer davantage. Il a organisé des conférences, des ateliers de travail et des rencontres avec des dirigeants et activistes arabes. Mais agit-il avec une vision politique et géopolitique nouvelle ou bien recherche-t-il une influence économique ? La question clé est d’évaluer de quelle latitude jouit le gouvernement turc aujourd’hui afin d’initier de nouvelles alliances et des dynamiques originales au sein du MENA. S’agit-il d’un acteur indépendant qui tire profit de la compétition entre les Etats-Unis, les pays européens, Israël, la Chine et la Russie ? Est-ce que la Turquie a le potentiel d’apporter davantage de clarté à la confusion régnante ? La réponse est loin d’être évidente : La Turquie semble tenter de réconcilier sa “bonne volonté” avec des intérêts économiques significatifs et des alliances géopolitiques. Voici venir des temps décisifs. Il importe d’œuvrer en défendant une approche régionale holistique, en gardant à l’esprit, ensemble, les dimensions politiques, économiques et géopolitiques du problème. La situation est moins rose et plus difficile qu’il pourrait sembler à première vue et dans l’engouement émotionnel. Ce qui nous voyons se produire autour de nous n’est ni un “Printemps Arabe” ni des “Révolutions”. Quelque chose est en train de changer au sein du MENA et ce de manière bien étrange. Le « Réveil Arabe » demeure une réalité confuse, une énigme. Il n’est pas facile, à la fois, de partager et de respecter les espoirs et l’optimisme des populations tout en évaluant froidement les calculs cyniques des gouvernements et des hommes politiques. L’attitude la plus sage semble consister à marier cohérence et étude approfondie en adoptant une position éthique qui valorise les rêves sans oublier de dénoncer les vérités qui dérangent, les mensonges et la corruption. Ceux des dictateurs, comme ceux des libérateurs ; ceux des ennemis comme ceux des amis. *MENA est l’acronyme de “Middle East and North Africa” Aimable traduction de S.H.

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