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Nell Irvin PAINTER raconte l’histoire de la blanchité aux Etats-Unis

Marie-Noëlle RECOQUE DESFONTAINES
Nell  Irvin  PAINTER raconte l’histoire de la blanchité  aux Etats-Unis

La blanchité, en anglais whiteness, est l’équivalent de ce qu’on pourrait aussi appeler la condition blanche. Cette condition relève du conceptuel même si son évolution s’inscrit dans une trajectoire liée à l’histoire évènementielle.                              

 

Pour le New York Times, Histoire des Blancs, le livre de l’historienne Nell Irvin Painter est « une histoire intellectuelle de la race blanche » - effectivement -,  « pour un large public » - rien n’est moins sûr. L’abondance des références, le foisonnement des concepts, les biographies détaillées et l’exhaustivité voulue de cette étude demandent au lecteur  une grande disponibilité d’esprit. Vouloir la résumer relève de la gageure. Reste à dire qu’on apprend à chaque page.

On ne devra pas s’étonner d’aborder l’étude de la blanchité états-unienne par une incursion détaillée faite dans l’Antiquité grecque  et romaine puis dans l’histoire des Celtes, Gaulois et autres Germains. L’auteur montre comment l’esclavage dans leurs contrées était répandu. Les Vikings, nous explique-t-elle, ont razzié l’Europe du Nord pratiquant la traite et provoquant d’importants déplacements de populations. Au XIe siècle, le plus important marché d’esclaves de la région était Dublin. D’ailleurs le saint patron de l’Irlande, Patrick, était un esclave qui échappa de façon miraculeuse, dit-on, à la servitude. Au XVIIIe, alors que le commerce triangulaire allait en prospérant, des Européens  (Italiens, Espagnols, Anglais et autres) étaient toujours esclaves en Afrique du Nord. Un exemple littéraire illustre cette évidence, il s’agit d’un personnage mis en scène par Daniel Defoe. En effet son Robinson Crusoé négrier a été lui-même esclave au Maroc. Pour cultiver la canne à sucre dans les colonies vénitiennes de Crète et de Chypre, des hommes et des femmes provenant des Balkans, proximité géographique oblige, ont été mis en esclavage. A noter d’ailleurs que le mot « esclave » résulte de la transformation du mot « slave ».  L’auteur d’insister en rappelant que  « pendant plus de mille ans l’histoire de l’esclavage en Occident a été d’abord celle de l’histoire des Blancs. »

Très intéressante l’explication permettant de comprendre d’où vient la  notion de blancheur présentée comme idéal de beauté. A l’origine, les critères de la beauté blanche sont ceux attribués aux esclaves européennes venues de Géorgie ou autre Circasie. Même quand l’esclavage des Blancs prendra fin, ces canons de beauté qui lui sont attachés vont subsister. En témoignent des œuvres notamment picturales comme La Grande Odalisque de Jean-Auguste Ingres (1814) ou L’Odalisque à la culotte rouge d’Henri Matisse (1921) en passant par Le marché aux esclaves de Jean Léon Gérôme (1866).

Il faut aussi savoir qu’en Europe, le sens donné au fait d’être blanc a longtemps changé au cours des siècles et n’était pas tributaire d’une comparaison avec le fait de ne pas être blanc de peau.  Il était question de plusieurs races blanches – y compris à l’intérieur d’un même pays -  dont les caractéristiques étaient fluctuantes selon les impératifs politiques et idéologiques du moment. Nell Irvin Painter s’attache à lister chronologiquement tous les théoriciens se piquant de définir les races le plus souvent à partir de l’apparence physique liée à un canon préétabli de la beauté blanche - Yohann Winckelman (1717-1768), John Hunter (1728-1793),  Charles White (1728-1813)… Ainsi pour Christoph Meiners (1747-1810), les Allemands ont la peau « très blanche, très éclatante  et très délicate », les Européens non-allemands ont la peau d’un « blanc sale ».  

Les savants préoccupés de classifier les humains (Blancs et autres) en catégories qualitatives s’intéressent à l’étude de cranes collectés de par le monde. Ils les collectionnent, les mesurent, les comparent et en font des descriptions porteuses de sens. La  science tâtonne, les suppositions sont présentées comme objectives avant d’être remplacées par des allégations fantaisistes. De ce gouffre d’ignorance naîtra un terme toujours employé aux Etats-Unis pour désigner les Blancs celui de « Caucasien ».  On le doit à l’Allemand Friedrich Blumenbach (1732-1840) qui attribua curieusement au prototype inégalé de la race blanche, le nom d’une contrée s’étendant au-delà de l’Oural voire jusqu’en Inde. D’autres plus tard parleront, sans remettre en question ce paradoxe,  d’Indo-européens ou Aryens.

Qu’en est-il  maintenant des premiers Blancs états-uniens ? Au début du XVIIIe siècle, en Amérique,  les recensements montraient que blanc n’était pas synonyme de libre. Plus de la moitié des personnes asservies étaient blanches.  Puis avec l’augmentation du nombre d’Africains réduits en esclavage sur les plantations, le mot « noir » devint synonyme d’ « esclave ».

Jean de Crèvecœur (1735-1813) définit l’Américain comme un homme nouveau d’ascendances hétérogènes mais toutes européennes. Pour Thomas Jefferson (1743-1826), accroché au mythe faisant des Américains les héritiers de l’Angleterre qu’il considère à tort comme exclusivement saxonne, les Blancs issus d’autres régions d’Europe ne semblent pas pouvoir être assimilés à d’authentiques Américains. Quant aux Américains-natifs et aux Africains, pour lui la question ne se pose pas à leur sujet, ils ne sont pas américains, quand bien même seraient-ils métissés comme le sont les sept enfants qu’il a eus avec l’esclave Sally Hemming. Le Français Alexis de Tocqueville (1805-1859) note l’hétérogénéité raciale et pressent les conflits à venir.

Mais le racisme exercé à l’encontre des Américains-natifs et des Noirs n’exclut pas la haine éprouvée par les Américains d’origine anglo-saxonne à l’égard d’autres Blancs. Des millions d’Irlandais vont en faire les frais, traités de sauvages, de porcs, de chimpanzés, ils ne seront pas reconnus d’emblée comme caucasiens d’autant plus qu’ils sont catholiques et surtout miséreux. Bientôt les Irlandais se prévalant de leur couleur de peau utiliseront la ségrégation raciale pour se hisser au rang des autres Américains blancs quitte à lutter contre l’abolition de l’esclavage et donc au prix du racisme. Petit à petit les  Irlandais forts de leur blancheur acquise de haute lutte s’opposeront avec les Anglo-saxons à une nouvelle vague migratoire européenne stigmatisée comme racialement inférieure (Italiens, Syriens, Grecs, Arméniens, Juifs …). La venue de populations à la peau sombre crée l’angoisse car dit-on « les nouveaux Américains seront basanés ».

L’auteur s’intéresse dans le détail à toutes les théories ayant  influencé les conceptions racistes des Blancs se définissant comme les seuls Américains.  Elles sont nombreuses souvent contradictoires et au XIXe et XXe, leurs défenseurs prolixes de Josiah Nott (1804-1873) à  Edward Ross (1866-1951) en passant par William Ripley (1867-1941) ou Vacher de la Pouge  (1854-1936). Influencé par le racialisme allemand, le mythe saxon lié à l’idée de supériorité raciale des Blancs s’implante alors de façon durable aux Etats Unis. La hiérarchisation des races élaborée au fil du temps de chaque côté de l’Atlantique repose pourtant sur des théories abracadantesques forgées par une obsession narcissique presque morbide à lui donner des fondements (pseudo)scientifiques relevant en fait d’intérêts idéologiques, politiques ou sociaux. Puis apparait une évidence déstabilisante qu’il ne sera plus possible d’occulter : on trouve des Blancs d’origine anglo-saxone parmi les vagabonds, les pauvres, les marginaux. La blanchité devra donc  maintenant être liée à une affirmation de classe sociale supérieure. Les pauvres seraient pauvres par un déterminisme à l’être et ne seraient donc pas vraiment «  blancs ». L’idée d’un eugénisme salvateur - Francis Galton (1822-1911), Charles Davenport (1866-1944) - et d’une stérilisation obligatoire pour limiter la reproduction des Blancs dégénérés fait son chemin. Au XXe siècle, aux Etats Unis comme en Allemagne, les personnes stérilisées de force sont d’abord des pauvres (encore 65 000 personnes aux USA en 1968). Puis toujours obsédés par le besoin de classer et de hiérarchiser les groupes humains, des tests dits d’intelligence sont soumis notamment aux nouveaux migrants catalogués forcément et en grand nombre comme débiles. La propagation des idées communistes dans les milieux ouvriers augmente encore la répulsion contre les travailleurs immigrés et contre les Juifs accusés de les manipuler. Puis la hantise d’une nouvelle race abâtardie « composite totalement différente des Américains d’aujourd’hui » se fait jour.

Il faudra attendre Franz Boas (1848-1942), Ruth Bénédict (1887-1948) ou Otto Klineberg (1899-1992) pour que l’on commence à remettre en question les préjugés d’ordre raciaux. Les chercheurs notamment africains-américains comme Horace Bond (1904-1972) s’attachèrent aussi à montrer que  les résultats des tests étaient en corrélation non pas avec la race mais avec l’éducation et l’environnement. Sinon comment comprendre le fait que des hommes noirs du nord puissent obtenir de meilleurs résultats que des hommes blancs du sud.

L’essor de l’idéologie nazie provoqua aux USA un sursaut chez certains  intellectuels prenant conscience des crimes commis en relation avec les théories racialistes même s’il ne leur était  pas facile  de renoncer aux classifications  (la race caucasienne, la mongoloïde et la négroïde), y compris en ce qui concernait la blanche  (nordique, alpine, méditerranéenne). Quant à définir avec précision et de façon définitive les populations relevant de l’une ou l’autre des espèces, l’entreprise  leur paraissait  impossible car la plupart d’entre elles étaient, expliquaient-ils, d’ « une peau entre deux couleurs ».

Des voix s’insurgèrent à l’idée d’un melting post funeste. Pour le journaliste George Lorimer (1868-1937) ou l’écrivain Kenneth Roberts (1885-1957) « les races ne peuvent pas être croisées sans bâtardisation, tout comme chez les chiens ». Dans les années 30, Louis Adamic (1898 ou 99-1951) s’intéressa aux dernières générations d’Américains nés d’immigrants, les jugeant capables – mais seulement à la longue- d’apporter leur contribution à la société.

Dans les années 60, le combat pour les droits civiques et par ailleurs  la montée en puissance du nationalisme noir bousculèrent la représentation de l’identité raciale aux Etats-Unis. Malcolm X (1925-1965) déclara les Blancs dans leur ensemble « race maléfique » dont le temps était en passe d’être révolu. Il vulgarisa l’idée d’une blanchité malfaisante. Le mouvement du black power et les Black Panthers enfoncèrent le clou L’écrivain James Baldwin (1924-1987) montra comment les dernières générations d’immigrés reniaient leurs origines pour être reconnues comme « blanches ». Les Noirs se proclamèrent désormais noirs et fiers de l’être et s’attachèrent à culpabiliser les Blancs stigmatisés comme appartenant, tous, à un même peuple, un peuple esclavagiste, un peuple diabolique. En réaction, les Blancs se réclamèrent de leur origine, Juifs-Irlandais-Italiens …Américains. 

Compte tenu de la complexité des relations humaines, toutes origines anciennes et nouvelles confondues,  l’habitude américaine de recenser la population par catégories releva de plus en plus de l’imbroglio. C’est ainsi que 42 % de ceux qu’on a appelés de façon aléatoire « Latinos » sommés de préciser leur catégorie d’appartenance et ne se reconnaissant ni blancs, ni noirs se dirent curieusement, en 2000, appartenir à « une autre race ». Puis coexistèrent dans une classification pléthorique les races, les ethnicités et même les nationalités – bien souvent entremêlées, ce qui en revenait à reconnaître, en fait, l’impermanence des races. Aujourd’hui la science de la génétique moléculaire a montré qu’en termes biologiques les races humaines n’existaient pas. L’essai s’achève sur les données concernant l’origine et l’évolution de l’humanité telles que les scientifiques de ce début du XXIe siècle les décrivent.  

L’auteur  a étudié dans son ouvrage les différentes grandes étapes de définition de la blanchité qu’elle appelle « élargissements des Américains blancs »  et qui sont pour elle au nombre de quatre (1. Les Anglais, 2. Les Irlandais, les Allemands…, 3. Les Italiens, les Mexicains…). La quatrième correspond notamment à l’ère Obama. Un noir peut désormais accéder au privilège de cette blanchité normée à condition d’être riche, séduisant et puissant. Mais l’essai s’achève sur une évidence : « Il n’en demeure pas moins que la pauvreté à peau noire continue d’être l’opposé d’une blanchité, mue par ce vieux désir social de caractériser le pauvre comme un être définitivement autre et intrinsèquement inférieur. »

 

Dans une prochaine publication je m’entretiendrai avec Nell Irvin PAINTER concernant ses motivations à écrire cet essai intitulé Histoire des Blancs publié par les Editions Max Milo (2019).

 

Marie-Noëlle RECOQUE  DESFONTAINES

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