" Rien ne se fait sans cause, sans raison."
Un proverbe Bambara (un peuple du Mali)
Après ce précepte africain, j’ai envie d’ajouter comme on l’aurait fait chez nous
« Sa ki pou’w, lariviè pa ka chayé’y »
Mon histoire avec le Mali a commencé, il y a presque quarante ans, à Paris, j’en avais vingt-deux. Si mon entourage familial vivait son antillanité dans une hexagone prébumidom moi, puisque j’avais quitté mon île depuis ma cinquième année d’existence, désormais habitante du quinzième arrondissement, j’avais pour horizon le métro parisien et la tour Eiffel (je les voyais du petit appartement de mes parents). L’Afrique, pas plus que les Antilles, ne m’interpellait dans un sens, ni dans un autre. C’est à cette époque et au hasard de mes lectures que je découvris ce poème mexicain d’Octavio Paz, « Piedra del sol » La musique ibérique de ses mots résonnent en moi depuis ce jour.
« Me chercher parmi les autres,
les autres qui ne sont pas, si moi je n’existe pas,
les autres qui me donnent pleine existence,
je ne suis pas, il n’y a pas de je,
nous sommes toujours nous autres»
Un jour de juillet de l’année 1972, en quête d’un job de vacances, j’arrivai dans une maison d’édition : Afrique Biblio Club, avec en poupe une collection qui au lendemain des indépendances, parlait d’elle-même « l’Afrique en Marche ».
ABC créait aussi des manuels scolaires pour des pays de l’Afrique du nord et de l’Afrique noire. Dans cette grande maison sise rue Daubenton à Paris, ceux qui y travaillaient étaient français, algériens, africains, enseignants, journalistes pour la plupart, chercheurs, historiens, écrivains. On était loin des systèmes de pensée et des doctrines élaborés par l’Occident. Dans ce laboratoire des savoirs, j’étais tel l’enfant qui vient de naître et je n’imaginais pas tout ce que j’allais apprendre et découvrir. J’étais surtout ravie d’avoir trouvé un job qui allait me permettre de gagner un peu d’argent pour ma deuxième année pour la rentrée à la fac des lettres.
Commença alors pour moi quelque chose que jusqu’ici je n’avais pas ressentie depuis mon arrachement de mon île. A ABC, j’existais, on me voyait, on me parlait, on me parlait d’autres choses que de « mes cocotiers » dont je n’avais pas le souvenir. Mon premier boss de l’époque était Buana Kabué, jeune rédacteur en chef d’un quotidien zaïrois. Il fut l’un des premiers journalistes de Jeune Afrique, à Paris et à Bruxelles. Je passais mes journées devant une machine à écrire où je transcrivais ses analyses, ses écrits sur le Zaïre. Avec Kabué, je devins savante de l’expérience zaïroise, du casque colonial et de la toque de Léopard de celui qui le portait : Mobutu Sèse Seko.
Dans le même temps, j’étais la secrétaire d’un groupe d’enseignants algériens. En trois mois et au grand désespoir de mes parents, moi qui n’avait jamais eu aucun lien avec la communauté antillaise, je passais de miss Yéyé, à une personne encore plus compliquée que je ne l’étais à mon adolescence. Installés depuis plus de quinze ans en l’Autre Bord , plus français que les français d’alors, mes parents avaient déjà vécu 1968, les révoltes larvées de ma sœur aînée et de mon jeune frère, quand j’ai commencé à porter des tresses et que je leur ai appris que ma rentrée en Fac serait repoussée, alors que j’étais en deuxième année. S’ils n’étaient pas de vrais martiniquais et que je n’étais pas leur « yish », ces braves gens m’auraient foutue dehors du nid familial. A mon sens je n’avais pas le choix, j’étais prête à tous les sacrifices du moment qu’on me laissait faire mes expériences et travailler dans la maison d’édition. Mon père ayant compris ma détermination me laissa faire. Avec du recul, je crois qu’il était assez content, mais il n’osait pas contredire maman.
Après Buana Kabué, installé à Bruxelles. ABC me confia à Ibrahima Baba Kaké, guinéen de son état, qui avait fuit le régime de Sékou Touré. Historien brillantissime, face au grand homme je n’étais pas très douée, je savais presque tout de l’Histoire de France, de ses rois, de ses principautés, et de ses duchés, de ses serfs, de ses guerres de religion, mais j’ignorais presque tout de mes origines, encore moins de celles de mon île. C’est pourtant l’une des raisons je crois, qui fit que je fus engagée dans mes fonctions. La générosité du professeur Kaké commençait par l’éducation. Je l’assistais pour la préparation d’une collection dont il était le directeur « Mémoires de l’Afrique » et la vulgarisation de la grande histoire du Continent noir, qu’il traduisait du dialecte mandingue écrit en alphabet n’ko.
Pour ma part, si aujourd’hui je suis auteur, metteur en scène, je le dois à Ibrahima Baba Kaké. Grace à lui, j’ai pu découvrir des grandes figures et des grandes villes de l’Afrique. J’ai gardé beaucoup d’affection et d’admiration pour Makéda , reine de Saba , l’almamy Bokar Biro , Anne Zingha d’Angola ou encore Yennenga l’amazone. Tous partagent mes rêves et ma vision sur la vie, sur ce que nous sommes nous les noires du continent Afrique.
Parmi ces grandes figures de l’Histoire de l’Afrique du Moyen âge, Ibrahima Baba Kaké, me fit travailler sur la personnalité de Salou Casais, la fille d’Ali Aber de la cité des Askias, celle qu’on appelait la Perle de l’empire Songhay. Ce personnage féminin du XIVeme siècle me toucha particulièrement. Sa rencontre fortuite avec le chevalier français, Anselme d’Ysalguier, fils d’un capitoul, leur histoire d’amour et la fin tragique de ce couple que tout opposait, m’amena à faire des recherches personnelles à Toulouse. Si je trouvais les traces des d’Ysalguier, dans la cité rose, l’histoire franco-malienne demeurait à tort ou à raison ignorée.
J’ai travaillé quatre ans à Afrique Biblio Club, je suis allée plusieurs fois en Afrique du Nord (Algérie-Maroc-Tunisie). Je n’ai pas cessé de travailler personnellement sur l’Histoire de Salou Casais. Entretemps, je suis retournée à la Fac, puis j’ai embrassé une carrière à la radio et à la Télé et je suis rentrée en Martinique. Amie d’Ina Césaire, ethnologue et spécialiste de la culture peule, je lui ai demandé son aide. Avec sa collaboration, j’ai pu écrire le récit de Salou Casais que j’ai intitulé « Noire est la Marquise ». Depuis, lorsque j’ai la nostalgie de mon ancienne vie parisienne, j’aime à me plonger dans mon ouvrage, sur Salou, sur Gao et le Mali.
Trente ans plus tard à la Martinique, incapable de me résoudre à une retraite tranquille, lorsque le maire de Case Pilote me proposa une collaboration dans ses services d’animation culturelle de la ville, j’ai accepté. Il s’agit de ma commune, c’était mon métier et j’aime me rendre utile.
En 2013, dans le cadre de mes fonctions, à la demande de monsieur le maire, j’ai reçu une sociologue en ingénierie sociale. Donnons-lui les initiales de CTP. Elle est chargée du volet déconcentré à la Martinique d’un programme opérationnel pour la mise en œuvre de l’initiative européenne pour la jeunesse, (IEG). « Elle est installée depuis peu à Case Pilote … elle va t’intéresser car elle est africaine ! » me dit le maire.
Comme demandé, je reçois la personne, et tandis qu’elle m’explique le but de sa visite je l’observe. C’est une jeune femme intelligente, d’une quarantaine d’année, belle sans fard, ses cheveux crépus n’ont jamais vu un fer à défrisé, ses yeux brillent dans un visage sombre et lisse.
« - Je suis malienne » me dit-elle. Ma réponse ne tarde pas
« - Vous êtes donc une arrière petite-fille de Salou Casais »
Elle me regarde ébahie quand je lui parle du Mali du moyen-âge, de Gao, de la cité des Askias, de Tombouctou, de Djenné, de l’Empire Songhay, des dialectes mandingues, d’Ali Aber et des Mossis. En quelques phrases, je lui conte l’histoire de Salou Casais, celle qu’on nommait « la Perle du Songhay ».
Elle est sans voix, et finit par me dire qu’elle connaît mieux l’histoire de France que celle de son pays. Le sujet premier de notre rendez-vous passe en second plan car visiblement son esprit n’est plus disponible. Nous nous promettons de nous revoir, la belle africaine disparaît.
A quelques temps de cela, je reçois un appel de notre sociologue malienne. Elle souhaite me revoir afin de mettre en place à travers IEG, un projet pour la jeunesse du Nord de la Martinique. Elle conclue toutefois en me faisant une requête, celle de lire mon ouvrage sur Salou.
Avec l’accord de la Mairie, nous entamons une collaboration qui se révèle fructueuse. C.TP est une personne charmante et généreuse. J’apprends qu’elle travaille en étroite coopération avec le ministère du même nom et qu’elle a eu quelques fonctions de conseillère du président de la République au sein de l’ancien gouvernement du Mali. Elle me rend mon ouvrage au moment où les combattants du mouvement islamiste nigérian Boko-Haram ont envahi Gao, au nord du Mali. Ces derniers ont déjà détruit de nombreux lieux saints à Tombouctou, les préoccupations du pays sont entre autres la sauvegarde des tombeaux des Askias. Si les islamistes parviennent à détruire quelques édifices publics et des structures de la ville, la jeunesse de la commune de Gao est déterminée à protéger au péril de leur vie, leur patrimoine historique. Pendant tout ce temps, CTP passe son temps entre Paris/Bamako/ Case Pilote (où vit aussi sa famille).
En octobre 2014, la dame commence à me parler de la nécessité de ma présence à Bamako à l’occasion d’un forum qui a lieu chaque année depuis 15 ans et qui réuni plusieurs pays traversés par le fleuve Niger. Selon CTP, en regard à ce qui se passe au Nord du Mali et aux menaces de destruction du patrimoine historique, Hibrahima Baba Kaké, n’étant plus de ce monde, il est important que je présente mon ouvrage sur Salou et sur le Mali du 14ème siècle. Je crois rêver et j’accorde peu d’importance à ses dernières annonces, mais la personne est têtue et reviens souvent à la charge. Elle fait envoyer à la mairie de Case Pilote deux invitations l’une pour l’adjointe à la Culture et une pour moi.
Armée de mon époux, nous arrivons pour une première fois sur la terre africaine
A suivre …