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MÉTISSAGES AUTOBIOGRAPHIQUES ET FICTIONS IDENTITAIRES CHEZ AZIZ CHOUAKI ("LES ORANGES") ET RAPHAËL CONFIANT ("LA SAVANE DES PÉTRIFICATIONS")

par Mourad Yellès
MÉTISSAGES AUTOBIOGRAPHIQUES ET FICTIONS IDENTITAIRES CHEZ AZIZ CHOUAKI ("LES ORANGES") ET RAPHAËL CONFIANT ("LA SAVANE DES PÉTRIFICATIONS")

En explorant les tatouages, j'y ai trouvé des signes, cosmos, saisons, nature. Tout baigne. Mais alors, ça déconne où ?
Aziz Chouaki, Les Oranges

Pardon, je ne suis que le greffier d'un imaginaire débridé ! Raphaël Confiant, La Savane des pétrifications

Le prétexte de ce travail m'a été fourni par une observation fortuite concernant deux œuvres publiées à quelques années d'intervalle. Il s'agit de La Savane des pétrifications (1995) et Les Oranges (1998). Outre le fait que l'on a à faire dans les deux cas à des sortes de mini-romans ou de maxi-nouvelles, leurs auteurs sont de plus originaires des colonies (anciennes ou actuelles), appartiennent à la même génération et publient chez le même éditeur parisien . Comparativement à Raphaël Confiant, devenu en une décennie l'un des auteurs-phares de la nouvelle littérature antillaise et chantre attitré de la créolité, Aziz Chouaki fait encore figure de "jeune" écrivain. Certes, il a commencé à publier dans les années 80 où il se fit alors remarquer par une écriture poétique aux antipodes des canons réalistes ou lyriques qui prévalaient à l'époque dans le domaine déjà sinistré des lettres algériennes. Pourtant, ce n'est que dans le milieu des années 90 qu'il commence véritablement à faire entendre sa voix en France où il s'est installé.

C'est donc à partir de deux expériences littéraires à la fois proches et certainement singulières que je me propose de traiter de la question de l'autobiographie en situation d'interculturalité. Sans préjuger des conclusions de la présente analyse, il importe de souligner dès à présent que ces deux écritures nous arrivent d'une galaxie post-coloniale où les ombres et les lumières se mêlent encore souvent, projetant ainsi sur nos imaginaires des figures contrastées dont nous sommes loin d'avoir épuisé les significations. D'où un certain nombre de questions que je souhaiterais soulever. Ainsi, s'agissant de textes du "Sud", peut-on dire que la problématique du sujet colonial est totalement épuisée ? Comment apprécier la valeur de "témoignage" – et donc de "vérité" – d'écritures "périphériques" qui se placent d'emblée dans un rapport ambigu (de subordination et de dissidence) par rapport au Centre ? Quelle(s) "identité(s)" émergent finalement de ces récits problématiques et peut-on encore parler à leur propos d'"autobiographies" ?

Les fantômes du sujet

On connaît la célèbre boutade de Flaubert à propos de l'une de ses plus belles héroïnes. De fait, en cette seconde moitié du 19ème siècle, Madame Bovary vient signer de la plus scandaleuse des manières la mort de la fiction réaliste et la disparition énigmatique de son porte-parole, le personnage. A partir de ce texte fondateur de la modernité romanesque, rien ne sera jamais plus comme avant et ce n'est certes pas Proust que l'on pourra invoquer pour tenter de renouer le fil d'une fiction littéraire celle d'un "je" omniscient et omnipotent décidément condamnée. Car désormais, pour le narrateur du Temps perdu à l'image des enchaînés de la caverne platonicienne – c'est au feu de la mémoire enchantée que se forgent les chimères et les tendres apparences d'un réel éclaté dont le Sujet est à la fois victime et partie complice.
En fait, il faut sans doute rappeler que, passée l'époque des chroniques et autres épopées médiévales, c'est le roman picaresque qui inaugure véritablement le cycle des écritures (auto)biographiques. Avec Fernando de Rojas (La Célestina, 1499) ou Mateo Aleman (Guzman d’Alfarache, 1599 et 1603) apparaissent les premiers témoignages "romancés" sur la vie de personnages hauts en couleurs. Ces picaros dont la dimension baroque est incontestable présentent tous les stigmates de la dissolution (dans tous les sens du terme) et de l'errance. A leur manière, et dans un contexte historique marqué par des bouleversements politiques et socio-culturels cruciaux, ils pointent une sorte de trou noir de la modernité occidentale où s'abîme déjà la Valeur, et avec elle, le Sujet.

Dans la même perspective, on peut aussi considérer que c'est Montaigne et son narrateur «meslé» qui entament historiquement – mais de manière détournée, oblique – le travail décisif de sape et de remise en cause du dictat du Sujet occidental. Après l'expérience de la chute (de cheval) et celle des Cannibales, le "je" qui organise le discours et prétendrait légitimer son hégémonie n'est manifestement plus crédible. Parce que «c'est un subject merveilleusement vain, divers, et ondoyant, que l'homme» , en pleine période de reconfiguration intellectuelle et idéologique du monde occidental, alors que s'esquissent les grands traits de la modernité politique, philosophique, technologique, l'auteur des Essais refuse déjà de se laisser prendre aux mirages du logos.

Par la suite, il faudra attendre la révolution des "Lumières" pour voir Diderot poursuivre cette entreprise de "démolition" philosophique avec une force littéraire et une verve iconoclaste incomparables. Le Neveu de Rameau pose ainsi la question de la fonction du personnage/narrateur et son rapport avec un texte au statut problématique. Il en souligne la fragilité et la vanité compte tenu de l'inachèvement et de la fragmentation de l'expérience humaine. On peut évoquer de même Les Confessions qui introduisent, elles aussi, un nouveau type de narrateur ambigu et rusé, acteur et producteur d'un témoignage ne répugnant pas pour autant à la mise en scène. Face à une société dont il récuse le jugement mais dont il attend néanmoins une forme d'intelligence et d'empathie, le narrateur de Rousseau se pose en victime mais aussi en procureur. La fiction d'un "je" ambigu aux prises avec les contradictions du jeu social se double donc ici d'un réquisitoire clairement politique.

Dans une phase historique encore plus marquée par l'expansionnisme européen, une autre œuvre-phare fait clairement le lien entre fiction, quête identitaire et rapport de domination. Il s'agit d'Atala. Dans ce texte largement autobiographique, Chateaubriand invente une figure double de métis culturel dont les passions et les aventures malheureuses serviront à mettre en valeur le décalage éthique et politique entre les vertus communautaires du christianisme primitif auxquelles adhèrent les Indiens et les vices innombrables de la vieille Europe. Le couple Chactas-Atala demeure l'incarnation d'un "mal du siècle" qui connaîtra de nombreux avatars littéraires.
Comme je le signalais en évoquant Flaubert, il faudra néanmoins attendre l'avènement de la révolution capitaliste du 19ème siècle et les premières manifestations spectaculaires de l'aliénation socio-culturelle du Sujet moderne pour voir s'accomplir le destin d'un genre qui s'enracine pourtant historiquement dans une esthétique de la quête individuelle. Avec la modernité, le Sujet occidental est littéralement «lâché», pour reprendre le mot de Sartre. Le Roquentin de La Nausée fait ainsi l'expérience terrifiante de l'indifférence, voire de l'hostilité d'un monde où l'homme n'est plus qu'une conscience douloureuse livrée au doute et à l'insignifiance. Même l'écriture fait les frais de l'absurde qui envahit insidieusement le réel : le texte explose en micro-récits et le narrateur n'est plus qu'une marionnette qui tente désespérément de s'inventer un destin à partir de bribes d'existence.

On se rappelle peut-être qu'au début de son roman, le héros de Sartre revient d'un séjour de six ans dans les "colonies" (entre autres en Indochine). Ce détail ne me semble pas fortuit et éclaire d'un jour particulier la relation de Roquentin à la bonne société provinciale de Bouville. En effet, comme c'était précédemment le cas avec Chateaubriand, il semble bien que la crise du Sujet occidental et sa traduction en termes littéraires ait quelque chose à voir avec l'entreprise coloniale et la confrontation éthique, esthétique et politique avec l'Autre.

Dans cet ordre d'idée, on peut voir dans le Meursault de Camus l'expression symbolique et paroxystique d'un absurde "solaire" dont la signification ultime renvoie à la Relation, pour user d'un concept emprunté à Edouard Glissant . Le poète et essayiste martiniquais entend par cette métaphore le rapport historique de violence et de domination qui s'établit historiquement à partir de la Renaissance européenne entre l'Occident et le reste du monde. La Relation ne fonctionne pas à sens unique mais établit progressivement les conditions d'un métissage planétaire dans lequel les valeurs, les biens, les personnes circulent et se combinent de manière de plus en plus intense et élargie.

C'est précisément dans ce contexte idéologique qu'il faut interpréter les premières tentatives littéraires en provenance des colonies. Comment le sujet colonial peut-il se dire alors que le modèle d'écriture qu'on lui propose implique une vision du monde et une conception de l'homme largement étrangères et même opposées à sa propre expérience historique ? D'autre part, comment ce même sujet pourrait-il se penser (et s'exprimer) comme sujet alors que la relation coloniale fait de lui un sous-homme ? Cette double détermination explique les impasses du roman "indigène" et les contradictions de ses héros. Qu'il s'agisse de Feraoun ou Dib, pour l'Algérie, de Chraïbi pour le Maroc, l'écriture déambule inlassablement, avec plus ou moins de hargne et de nostalgie aux confins d'un univers enchantée où circulent les fantômes de l'identité. Que l'on évoque Fouroulou du Fils du pauvre ou Alexandre Mordekhaï Benillouche de La Statue de sel , ils apparaissent tous comme de lointains cousins exotiques d'un certain "Charbovari", personnage énigmatique et désolé, pris dans les rets de «la Bêtise au front de taureau», pour reprendre la célèbre expression de Baudelaire.

De fait, outre l'exil provincial, les héros maghrébins de ces premiers romans autobiographiques souffrent surtout de ce que Frantz Fanon désignera – reprenant la terminologie consacrée dans le milieu de la psychiatrie coloniale – comme «le syndrome nord-africain» . Ce dernier se manifeste en situation de violence coloniale et se caractérise par une forme de (dé)perdition de la personnalité et par un ensemble de comportements aberrants. Parmi ceux-ci, il faut évoquer la tendance marquée à l'affabulation et au «délire verbal». L'auteur de Peau noire, masques blancs avait déjà observé ce phénomène chez ses compatriotes et, à près de trente ans d'intervalle, Edouard Glissant le retrouve dans une Caraïbe en proie plus que jamais au désordre identitaire.

Car le passage de l'ère moderne à celle de la post-modernité n'a pas résolu tous les problèmes. Loin s'en faut. A l'âge post-colonial, les anciens colonisés traînent toujours les séquelles de dominations souvent féroces et d'indépendances non moins cruelles. Dans nombre de récits venus de ces contrées désolées, le sujet n'est plus qu'un zombi, un mort-vivant, survivant grotesque d'une série ininterrompue de cataclysmes en tous genres. Que l'on pense à Khaïr-Eddine, Mimouni ou Sony Labou Tansi et tant d'autres écrivains de ce Sud en déshérence et aussitôt nous revient en mémoire un univers de cauchemar où s'agitent des êtres difformes ou éclatés, livrés en pâture à des monstres sanguinaires. Dans ces conditions, comment est-il encore possible de dire, et à plus forte raison de se dire ? Alors que s'exaspèrent les conflits internes (ethnico-religieux) et externes – conséquences d'une mondialisation galopante -, comment le "je" romanesque peut-il encore espérer se recomposer ? Et pour intégrer quelle fiction quand la simple lecture des journaux est déjà un défi à l'imagination ?

Mètis in fabula

De façon évidemment provocatrice, La Savane des pétrifications nous installe dès l'incipit dans l'absurde d'un monde où la violence de l'information rivalise avec celle du cinéma. Abel, le héros-narrateur a choisi de s'abonner à la chaîne américaine CNN car ce qu'il recherche, c'est «du live, du réel et surtout du saignant». Nous avons alors droit à une scène hautement symbolique où le lien entre fiction et politique est clairement établi :

J'avais donc installé un second poste de télé au bord de ma baignoire où, vautré dans un liquide quasi-amniotique composé de feuilles de corossolier, de muscade pilée, de bois bandé et de monoï tahitien, mini-Davidoff au bec, je partageais mes yeux d'astigmate entre les images de CNN et le dernier manuscrit absolument génial du romancier méconnu qu'était Hubert Badineau, texte rejeté pour la cinquante-troisième fois par ces sadiques de lecteurs de maisons d'édition germano-pratines qui ne mesurent pas la souffrance inouïe que cela nécessite pour parvenir à pondre ne serait-ce que cinq misérables pages dans un milieu ambiant où la température descend rarement au-dessous de 27° C et où le taux d'hygrométrie est plus ou moins égal, sinon supérieur, à celui d'une serre.

Le ton est donné. Il s'agira de dénoncer par tous les moyens – et l'ironie, la parodie et l'outrance sont ici particulièrement mobilisées – la situation d'«un sous-citoyen d'un sous-pays lilliputien et doté d'une forme de pois rouge en plus !» soumis à l'hégémonie de la pensée, de l'économie et de la technologie occidentales. Ainsi, La Savane des pétrifications nous propose un périple fantastique à travers la géographie socio-politique et la mémoire sinistrée d'une Martinique en proie à une étrange épidémie. Entre deux interminables digressions, un narrateur désabusé et jouisseur, «écriveur à la notoriété interplanétaire» , nous fait le récit de ses amours tumultueuses avec la descendante de Christophe Colomb, de ses démêlées avec le milieu littéraire de Fort-de-France (et accessoirement de "Métropole") et plus généralement avec une «société martiniquaise (…) en voie d'européanisation accélérée» . Comme dans un conte, la morale est finalement sauve et le fléau est stoppé miraculeusement. Mais l'Histoire, elle, continue avec son lot de problèmes et d'interrogations.

Dans l'univers non moins magique des Oranges, un narrateur polymorphe entreprend de raconter à sa façon l'histoire de l'Algérie depuis le débarquement de Sidi Ferruch jusqu'à l'arrivée du FIS sur la scène politique. Investi d'une mission sacrée par la première victime de l'invasion militaire française – une orange -, il doit enterrer la balle responsable de sa mort «le jour où tous les enfants de cette terre d'Algérie s'aimeront comme s'aiment les oranges» . Le récit s'organise en courtes séquences alternées qui combinent passé (en trois «parties») et présent (sur le mode délibérément camusien du «balcon») au rythme des rencontres et des conflits personnels ou historiques. Au bout du voyage, la balle n'est toujours pas enterrée mais l'aventure se poursuit…
A une première lecture des deux textes, une constatation s'impose qui concerne la situation du narrateur. Contrairement à l'usage "traditionnel" qui veut pour une narration à la première personne un "récitant" aussi crédible que possible, dans le cas qui nous occupe, tout est fait pour le décrédibiliser et introduire dans l'esprit du lecteur un sérieux doute sur son statut et ses compétences. Ainsi, s'agissant du narrateur des Oranges, la surprise commence avec l'âge qui lui est attribué : il semble que l'on ait à faire à un personnage quasiment immortel. Le début de la "Première partie" nous apprend que «sept printemps brodent [son] âge, en ce juillet 1830» . Or nous le quittons dans les années 90, alors que le pays connaît les grandes vagues de massacres collectifs et d'assassinats d'intellectuels et d'artistes. De même, au fil du récit, nous découvrons différentes facettes contradictoires du narrateur. Entre autres qualifications, il se présente d'ailleurs lui-même comme un «bonimenteur de souks, musicien-magicien, colporteur» . Autant dire, quelqu'un de peu fiable et dont le discours ne peut qu'être tenu en suspicion.

Par la suite, l'évolution du narrateur accentue encore le sentiment de malaise provoqué par une succession de "rôles" souvent ingrats, contestables, voire condamnables. Nous apprenons ainsi que dans les années fastes de "l'ère Boumediène", le narrateur n'hésite pas à se mettre au service de la Révolution, au risque de se transformer en suppôt d'un régime dictatorial :

Je traque, j'espionne, je gaffe, je cafte, tout ce qui bouge : colonisés mentaux, dépravés, drogués, homosexuels, trotskystes, tout ce qui déviationne. Surtout les intellectuels, ça c'est mon affaire. Au bout de trois phrases je le sonde laser, et je sais exactement à quel stade le mec qui est en face de moi est infecté par la contre-révolution.

Si la présentation des faits laisse toujours une place, même minime, à l'explication ou à la justification, le constat reste pourtant sévère et l'image du narrateur sérieusement ternie. Ce ne sont pas les épisodes ultérieurs – au cours desquels il sera tour à tour un «ange», c'est-à-dire émule du FIS, et un «officier Ninja» qui pourront contribuer à rétablir le crédit d'une instance narrative qui se demande elle-même ce qu'elle est devenue.
Même constat négatif pour ce qui est d'Abel, le héros "problématique" de Confiant. Il se définit lui-même tour à tour comme une «vipère lubrique» , comme «con et satisfait» et avoue sans ambages que

Bassin des ouragans, [est le] seul ouvrage dans lequel je fais montre d'une certaine sincérité envers moi-même et où je ne joue pas à l'écrivain.

Finalement, le qualificatif qui lui convient le mieux mais qui place derechef tout son discours sous le signe du soupçon et de l'équivoque – est celui de «provocateur». En effet, Abel semble passer le plus clair de son temps à provoquer par le geste et par la parole (surtout) ses différents interlocuteurs : hommes politiques, littérateurs, universitaires, turfistes, sportifs, intégristes de tous bords et de toutes confessions, féministes, et la liste est encore longue des cibles favorites du narrateur de Raphaël Confiant. Témoin cette diatribe virulente à l'endroit des

«La-craie», terme par lequel la populace désignait l'espèce la plus abominable qui ait jamais été crée par l'expansion coloniale française, tous continents confondus. Les manieurs de craie, «instititères» et «professères», n'avaient de rivaux dans la bêtise et l'abjection que les «doctères» généralistes retombés au bout de dix ans de pratique de planche à voile ou de sun fish dans une sorte de semi-illetrisme qui les conduisait à prescrire l'aspirine, toujours l'aspirine, rien que l'aspirine.

On appréciera la véhémence du propos et la dureté de l'accusation. En réalité, il convient d'interpréter cette explosion de violence verbale avant tout comme une réponse à celle, historiquement attestée, de l'ancienne puissance esclavagiste et actuelle métropole. De plus, «au moment où le vingtième siècle est au stade terminal et où une ère nouvelle de prospérité, de bonheur et de paix s'apprête à régner sur l'humanité» , les séquelles de la Traite ne sont pas encore résorbées qu'il faut déjà se plier à un nouvel ordre mondial non moins destructeur…
La hargne du narrateur des Oranges s'exerce, quant à elle, essentiellement sur les responsables politiques qui ont conduit le pays dans une impasse sanglante :

Oh oui, j'ai vu la gabegie riant fauve devant misère nue. J'ai vu la ventripotente suffisance des potentats de l'Etat, monarques absolus, gras petits Nérons de province. Et je les ai vus : eux ! Fumer des Marlboro, boire du whisky, s'échanger des dollars, tripoter des putes, des jeunes garçons, des animaux domestiques, des objets…

La prise de conscience sera tardive mais radicale. Elle entraînera chez le narrateur deux réactions successives mais contradictoires. Dans un premier temps, ce sera «direction West toute» puis, une fois les illusions disparues, retour vers l'«islam des sources, rocailleux et vindicatif» . Entre temps, il aura fallu employer l'arme des faibles pour survivre et résister : la ruse. Car, à l'évidence, la voix qui s'exprime ici, si elle se laisse aller parfois à certains "débordements" lyriques ne se déploie jamais sur un registre majeur, ne donne jamais la pleine mesure de sa colère et de ses émotions. Elle préfère la demi-teinte, l'allusion, l'understatement à la manière anglaise. L'usage d'une langue qui mime à la perfection celle de la rue algéroise, avec son rythme, ses intonations, ses épithètes et ses jeux de mots peut effectivement tromper un lecteur peu au fait des subtilités défensives des "damnés de la terre". Il est pourtant souvent question de combat et de résistance dans un texte qui trace sa trajectoire compliquée à l'image de cette fameuse « première balle» aux multiples ricochets.

D'où les nombreuses références à cette mètis, cette ruse de l'intelligence opprimée, ce recours «tactique» du dominé face à l'oppression du dominant, quelle que soit sa nature et son origine. Sur ce point, de nombreux travaux d'anthropologues et d'historiens ont montré qu'à travers le temps et l'espace, des individus et des communautés confrontés à une situation de violence et de sujétion avaient appris à mettre au point des mécanismes d'auto-défense et avaient su mobiliser leurs ressources psychologiques, morales, intellectuelles et culturelles. De la dissimulation à la feinte en passant par le mensonge et le harcèlement (la guérilla), la mètis du dominé peut prendre de multiples formes comme le montrent les études de Détienne et Vernant pour la Grèce antique, Mikhaïl Bakhtine pour l'époque médiévale ou encore de Richard Hoggart et Michel de Certeau pour le prolétariat des temps modernes.

Quelles que soient ses apparences, la ruse fait donc partie intrinsèque du comportement du dominé et, compte tenu des diverses péripéties de sa Relation (Glissant), il empruntera différentes apparences, interprétera plusieurs personnages. Les textes qui nous occupent ne font d'ailleurs pas mystère de cette «tactique» (De Certeau). A commencer par Les Oranges où le narrateur insiste à de diverses reprises sur le caractère nécessaire de son apparente "duplicité". S'identifiant aux premiers résistants algériens contre l'envahisseur français, il détaille les étapes d'un processus inéluctable :

Ça commence par désobéissance civile, gentil au début. Après, c'est subversion, et puis, si ça marche pas : allez on devient con, c'est le maquis, les attentats, le croche-pied, le lance-pierre, n'importe, n'importe, pourvu que… Œil pour dent, oreille pour nez. Le premier qui… eh ben il se fait l'autre.

Dans le même contexte de violence physique ou symbolique, un autre aspect de la «tactique» du dominé concerne son besoin vital de fabuler. Comme le montre Michel de Certeau, l'activité fabulatoire répond alors à une nécessité dans la mesure où, c'est à travers la parole et le récit que le dominé crée un espace de survie à l'intérieur même du système dominant. Dans la pratique du récit, où qu'elle s'effectue rue, café , stade, réseau Internet, etc. -, le monde reprend sens et les rapports humains se reconstruisent sans cesse suivant une autre logique que celle du plus fort. C'est dans cette optique, me semble-t-il, qu'il convient d'interpréter l'une des métaphores les plus intrigantes des Oranges. Je veux parler de cet «œuf» qui n'en finit pas de rouler tout au long du texte de Aziz Chouaki. Il est clair que ce symbole de fécondité renvoie ici à la profusion fertile du langage, à la miraculeuse prolifération des dires algériens, à la persistance de la mémoire à travers l'espace et le temps :

Chaque brin d'alfa, chaque lit d'oued asséché, le chant, l'œuf, des oranges, le mot, roulé, parfumé, bercé par le vent, qui traversant les gorges de la Chiffa, les roseraies de Blida, les cuisses des toutes jeunes filles, le serment des oranges.

Sur un registre certes bien moins poétique mais non moins véhément, le narrateur de Confiant revendique lui aussi les pouvoirs de l'imaginaire et l'urgence de la parole :

Un écriveur, ça imagine, tonnerre de Brest ! Ça invente, ça déforme, ça raconte des loufoqueries pas possibles ou alors ça n'a plus qu'à tirer sa révérence le plus dignement possible.

D'une certaine manière, celui qui se présente, sur un mode évidemment parodique, comme «le maître de la Parole ancestrale venue des fins fonds de notre mère l'Afrique» confirme par le style même de son propos et par le vertige qu'il cherche à provoquer chez son lecteur l'analyse d'Edouard Glissant qui analyse longuement les figures du «délire verbal» chez ses compatriotes martiniquais comme autant de marques d'un «détour» problématique. Il considère en effet que la propension des Antillais à entretenir un discours foisonnant et souvent labyrinthique témoigne du traumatisme de la Traite, de la nécessité du secret et du besoin pour les descendants d'esclaves africains de préserver une forme de liberté par l'usage outrancier d'une parole débridée face à un maître tout-puissant.

Il s'agit donc ici de ne jamais perdre de vue les avatars d'une histoire tourmentée à laquelle fait d'ailleurs référence Abel lorsqu'il évoque ce qu'il appelle joliment un «infarctus ontologique» ou encore le narrateur des Oranges lorsqu'il compare l'histoire de l'Algérie à un «mégabordel Babylonien» . C'est précisément de ce contexte socioculturel marqué par la violence mais aussi par l'échange qu'il s'agit à présent de s'intéresser afin de pister dans nos textes les traces d'un véritable métissage textuel.

Fictions identitaires et écritures métisses

En une formule particulièrement heureuse, le narrateur des Oranges se dépeint – entre autres portraits – comme un «jongleur de visages, créateur et faussaire de légendes inédites» . Dans un autre passage consacré à la période de la guerre de libération, il persiste et signe en usant d'une métaphore qui reviendra, elle aussi, bien souvent. Il s'agit du masque :

Après le travail, j'aime bien flâner rue Michelet : les belles boutiques, les cinémas, les filles. Pas de problème, je passe, tête d'Européen. Normal, avec mes dix mille visages et mes sept cent cinquante masques… Bon raton, bien net, cartable, lunettes, cravate. Un homme blanc. Circoncis, la Hache d'Allah, la Bague de la Race, le Signe d'Alliance, allez au suivant…!
Derrière mon air urbain, se cachent le chacal, le couteau, et la ruse.

Dans un contexte similaire, alors que sévit la culture du "Parti unique" et de la pénurie, «le visage se réagence, le vrai. Celui de la ruse et de la désobéissance civile» . En fait, nous avons déjà observé que la "tactique du masque" obéit à l'urgence d'une situation dramatique où le narrateur fait figure de Candide. On pourrait d'ailleurs établir certains parallèles avec le héros de Voltaire, surtout dans les épisodes qui décrivent les horreurs de la guerre.
Abel, quant à lui, use d'un procédé similaire pour déstabiliser son lecteur mais aussi pour afficher ostensiblement les stigmates d'une identité ambiguë. Lui aussi s'avance "masqué" quand il tente de définir son statut de chabin d'une manière évidemment paradoxale et provocatrice :

Quelle que soit la véritable étymologie de son nom, ô lecteur d'ailleurs qui me fait l'honneur de me lire, sache que le chabin est de toutes manières un mélange insensé de nègre fou et de Caucasien barbare, un être qui a hérité des pires défauts des deux ethnies les plus antagonistes de l'univers (…) et qui, pour son malheur, n'a généré, ou autogénéré, aucune qualité humainement et papalement reconnue comme relevant de la charité, de la compassion, de la tendresse ou de la patience.

Le chabin serait donc l'incarnation du mal et son métissage (raté) lui aurait conféré une capacité de nuisance exceptionnelle… Ce jeu de rôle est évidemment à apprécier pour ce qu'il peut provoquer comme réactions salutaires chez le narrataire abasourdi.
Hormis la mauvaise foi érigée en règle de conduite, une autre caractéristique de ce narrateur concerne sa propension étonnante à l'outrance verbale. Il n'hésite pas en effet à saturer son discours de jeux de mots, de blagues plus ou moins "épicées", de considérations retorses, de fausses confidences, le tout dans une atmosphère délétère faite de cynisme morose, de désespoir discret et d'autodérision adroitement maniée. L'objectif est en fait de nous donner une image détestable de lui-même, et, à travers lui, d'une certaine humanité. Pourtant, il est clair que le portrait dans le miroir est bien le nôtre… Ce voyeur incorrigible, ce hâbleur intarissable, cet obsédé du live et du «saignant» nous ressemble comme deux gouttes d'eau. Sous les masques du joyeux noceur et de l'écrivain à succès se cache un être désemparé et plein d'une colère qui s'auto-alimente au spectacle des ravages de la "départementalisation" et des séquelles de la mondialisation sur la société martiniquaise.

Finalement, qu'il s'exprime à partir d'Alger ou de Fort-de-France, les ruses du narrateur en situation post-coloniale ne sont que l'expression d'une condition historiquement déterminée qui voit perdurer les mécanismes de la dépendance et de la destructuration socio-culturelle. Pris entre deux déterminations contradictoires – témoigner des vices d'un système tout en s'inscrivant dans sa logique – le narrateur choisit le détour (Glissant) pour rendre compte d'un vécu tragique et d'une identité problématique. L'ironie et la parodie sont des armes qui lui servent à illustrer une nouvelle réalité liée à la Relation et au développement rapide des métissages planétaires.

Dans sa dernière livraison consacrée à "L'esthétique de la crise", la revue Naqd publie une contribution du dramaturge yougoslave Milos Lazin. Ce dernier essaie de rendre compte d'une expérience personnelle douloureuse mettant précisément en cause la notion d'identité en recourant à une métaphore à la fois parlante et savoureuse (c'est vraiment le cas de le dire !) que ne récuseraient probablement pas nos deux auteurs :

L'identité me paraît, permettez-moi cette comparaison digne d'un amateur de la pâtisserie de Mittle Europa, comme un gâteau appelé chez moi «krempita», en France «millefeuille». Il est fait avec beaucoup de crème et une multitude de feuilles de pâte très fine. Dans ma vision de l'identité, ces feuilles sont de différents goûts, de différentes couleurs, de différentes épaisseurs même. Pour consommer ce gâteau magnifique, il ne faut jamais soulever feuille par feuille, ni les manger séparément. Il faut croquer, la bouche grande ouverte, et savourer le mélange.

Cette identité multiple, cette mémoire "feuilletée" est précisément celle dont se réclament les narrateurs de nos deux "romans". Celui des Oranges nous annonce tout de go :

(…) on est aujourd'hui et je suis moi, hybride chose protéiforme, couscous digital, entre chacal de Carthage et loup des Grands Nords.

Plus loin, il se livrera à une expérience tout à fait étonnante :

Un jour, j'ai pris un mètre cube de terre d'Algérie, et je l'ai analysée avec Djaffar, un copain chimiste, qui a un ordinateur. On a déduit que dans un mètre cube de terre d'Algérie il y a du sang phénicien, berbère, carthaginois, romain, vandale, arabe, turc, français, maltais, espagnol, juif, italien, yougoslave, cubain, corse, vietnamien, angolais, russe, pied-noir, harki, beur. Voilà, c'est ça, la grande famille des oranges.

À rebours d'une certaine doxa toujours prompt à se référer à des «constantes» imaginaires, le narrateur se revendique explicitement d'un pays aux multiples dimensions et aux diverses attaches. Dans le même ordre d'idée, le héros de Confiant s'insurge contre les préjugés de certains universitaires métropolitains qui persistent à entretenir aux Antilles le mythe d'une "négritude" terriblement réductrice. En porte-parole de la nouvelle "créolité", Abel part ainsi en guerre contre Jérôme Garnier, «négrologue» patenté :

Quand les nègres se proclamaient nègres, écrivaient nègre, en un mot se réclamaient d'une écriture noire épidermiquement, noire stylistiquement, noire sémantiquement et tout le bazar, Garnier nageait dans le bonheur le plus parfait. Mais tout cessa lorsqu'une bande d'hurluberlus à peine quadragénaires décréta qu'en plus d'être nègres, ils étaient blancs, amérindiens, indous, chinois et levantins. Non mais ? A-t-on idée d'inventer pareille idéologie macaronique, arlequinesque et patchworkienne ?

A vrai dire, la reconnaissance du caractère pluriel de la société antillaise et l'affirmation volontiers polémique d'un métissage culturel enfin assumé contre l'exacerbation des tendances à l'intégrisme identitaire à l'échelle mondiale figuraient déjà dans la référence – elle-même «arlequinesque» au statut du "chabin". Sur ce point, il est à noter que de façon évidemment non concertée, nos deux auteurs condamne avec la même véhémence le terrorisme de la pensée unique appliquée à un réel uniforme. Abel nous confie :

dès que j'entendais le moindre mot commençant par «mono» ou «uni», je sortais mon revolver car je soutenais mordicus que ces préfixes n'étaient que les deux mamelles du fascisme ordinaire : monothéisme, monogamie, monopartisme, syndicat unique, vêtements unisexe etc.

De son côté, le narrateur de Chouaki, usant d'une métaphore audacieuse, remonte le cours de l'histoire algérienne pour trouver la première manifestation du «fascisme absolu». En effet, c'est à l'indépendance que

Ben Bella, notre président, choisit un chiffre : c'est le chiffre Un. (…) UN parti, UNE langue, UNE religion. Le Phallus national s'érige sous la poussée héroïque de millions de bras musclés. Prêts à tout, savent pas les pauvres, han, tirent les milliers de cordages, oui, le voilà qui se dresse, encore, UN, il monte, oui, là-bas en haut, han, han, tirez encore par là-bas, oui, c'est bon, han, le voilà bien brandi UN, qui lèche la voûte du ciel, et qui défie la pesanteur, han, han, parfait, indéboulonnable UN.

De manière tout à fait logique, cette dénonciation des unitarismes de tous poils et de toutes obédiences s'accompagne d'une critique acerbe de l'impérialisme de la langue, et en particulier de la langue française. Il est à remarquer tout d'abord que nos deux textes font un usage abondant et souvent très créatif de l'oralité, qu'il s'agisse de celle de la tradition ou de celle de la rue. Le recours fréquent à la digression traduit à la fois le rythme et la structuration du récit oral tout en mimant les méandres d'une pensée «macaronique» . Mais le travail le plus important porte sur la réinterprétation/réécriture du stéréotype, dénoncé comme "cheval de Troie" de la culture dominante. De nombreux exemples attestent de cette véritable obsession qui comporte évidemment une part de jeu, de ruse et de provocation. Ainsi, le narrateur de Chouaki, évoquant l'hôtel Aletti à Alger notera :

Fin dix-neuvième, cosmopolitisme de bel aloi, ambiance viscontienne, une Italienne à Alger, exotiques romances entre deux pétales de lune de ramadan, celles des décisions d'odeurs.
Salons privés, salle de jeux, tout y est stylé colonies, lambris pourpre, feutrés. Anisette, moustiquaires, les belles étrangères, ombrelles, et robes blanches, Pépé le Moko.

L'obsession "déconstructiviste" est encore plus nette chez Confiant dont le narrateur ne cesse d'interpeller le lecteur «septentrional» pour le pousser à adopter une posture critique sur la question de la langue française et de la «francocacophonie» en contexte de «démocratie coloniale». A titre d'exemple, on pourra citer tel passage qui met en scène un turfiste en colère :

Le bougre me fixait intensément et si ses yeux avaient été un lance-flamme, il y a longtemps que j'aurais fondu comme neige au soleil (comparaison favorite d'un reporter martiniquais lorsqu'il voulait décrire la diminution d'avance au score d'une équipe de foot sur son adversaire, cela par 30° C de chaleur).

Ou encore cet autre épisode qui nous fait assister à un combat homérique entre Anna-Maria de la Huerta et la statue de Joséphine de Beauharnais :

En moins de temps que la culbute d'une puce (expression créole ringarde remise à l'honneur, on ne sait trop pourquoi par les tenants de la créolité dont la principale préoccupation, semble-t-il, est de déterrer des vieilleries langagières), en une fraction de seconde donc pour causer comme le veut le ministère de la Francocaphonie, les deux princesses entreprirent de s'étriper comme des charbonnières.

Au bout du compte, la revendication d'une écriture métisse débouche ainsi sur une autre langue, une langue "tierce" qui emprunte et mélange sans complexe les différents lexiques d'un monde désormais transculturel, à l'image de ce «bouiboui des Terres-Sainvilles», dans la banlieue de Fort-de-France,

où l'on servait un colombo fameux et qui était une véritable tour de Bab-el-oued : on y jargouinait le pataouète, l'arabe dialectal jordanien, le français balladurien, le corse, le serbo-croate et bien sûr le créole francisé.

Quant au narrateur de Chouaki, il ne peut s'empêcher de nous faire partager sa vision idyllique d'«un pays d'oranges, où langue, religion, couleur, goûts, feraient tous le même bouquet. Celui des vrais oranges, celles d'avant». En attendant, nous pouvons toujours compter sur le génie créateur des poètes, fondeurs d'imaginaires et métisseurs de rêves pour travailler à ce grand œuvre :

C'est fou une langue, hein ! Tu prends un mot, tu le jettes dans les escaliers, il roule tout seul. Comme un œuf le mot, l'œuf quotidien, qu'on roule, boule dans ses mains, en descendant l'escalier quotidien, roule le mot, l'œuf : bonjour Mme Brahimi ! Il sort dehors, comme un grand, l'œuf, le mot, il en rencontre d'autres, plein plein d'autres, des œufs, des mots, il les épouse, ça tisse des donjons, des princesses aux doigts de rosée, partout, partout.

{{Mourad Yelles}}
{{Université Paris 8}}

{ {{Références bibliographiques}} }

Apulée, L'Ane d'or

Bakhtine Mikhaïl, L'Œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Age et sous la Renaissance. (Trad. franç.). Paris, Gallimard, 1970

Certeau Michel de, L'Invention du quotidien. 1. Arts de faire (1980). Paris, Gallimard "Folio", 1990

Chouaki Aziz, Les Oranges. Paris, Editions Mille et une nuits, 1998

Confiant Raphaël, La Savane des pétrifications. Paris, Editions Mille et une nuits, 1995

Détienne Marcel et Vernant Jean-Pierre, Les Ruses de l'intelligence. La mètis des Grecs. Paris, Flammarion "Champs", 1974

Fanon Frantz, Peau noire, masques blancs. Paris, Le Seuil, 1952 ; .Pour la révolution africaine. Paris, Maspéro, 1961

Feraoun Mouloud, Le Fils du pauvre. Paris, Le Seuil, 1954

Glissant Edouard, Le Discours antillais. Paris, Le Seuil, 1981 ; Poétique de la Relation. Paris, Gallimard, 1990

Goldmann Lucien, Pour une sociologie du roman, 1964

Hoggart Richard, La Culture du pauvre (1957). (Trad. franç.). Paris, Les Editions de Minuit, 1970

Lazin Milos, "Hybrid identity", Naqd, revue d'Etudes et de Critique Sociale, "L'esthétique de la crise", n° 17, pp. 59-62

Memmi Albert, La Statue de sel. Paris, Corrêa, 1953

Montaigne, Les Essais

Saint Augustin, Les Confessions

Serres Michel, Le Tiers-Instruit. Paris, Editions François Bourin, 1991

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