Accueil
Aimé CESAIRE
Frantz FANON
Paulette NARDAL
René MENIL
Edouard GLISSANT
Suzanne CESAIRE
Jean BERNABE
Guy CABORT MASSON
Vincent PLACOLY
Derek WALCOTT
Price MARS
Jacques ROUMAIN
Guy TIROLIEN
Jacques-Stephen ALEXIS
Sonny RUPAIRE
Georges GRATIANT
Marie VIEUX-CHAUVET
Léon-Gontran DAMAS
Firmin ANTENOR
Edouard Jacques MAUNICK
Saint-John PERSE
Maximilien LAROCHE
Aude-Emmanuelle HOAREAU
Georges MAUVOIS
Marcel MANVILLE
Daniel HONORE
Alain ANSELIN
Jacques COURSIL

MERINE CECO : LA MAZURKA PERDUE DES FEMMES-COURESSE

M. Belrose (www.journal-justice-martinique.com)
MERINE CECO : LA MAZURKA PERDUE DES FEMMES-COURESSE

Les médias ont fait un très bon accueil au premier roman de Mérine Céco, La mazurka perdue des femmes-couresse, récemment publié par les Editions Ecriture. Mérine Céco est le pseudonyme de Mencé Corinne, comme l'a révélé France-Antilles dans un long article publié le vendredi 18 octobre.

N'en déplaise aux machos et aux jaloux, la sortie, en pleine crise de l'UAG, de ce roman original, profond et bien écrit, est la preuve de l'énorme capacité de travail de cette femme qui se trouve à la tête de notre université, qu'elle s'efforce d'empêcher de sombrer dans l'abîme dans lequel certains veulent la précipiter.

Le roman est complexe et exige une lecture particulièrement attentive pour être bien compris. Y sont traités plusieurs thèmes intimement liés les uns aux autres. On peut le lire comme une oeuvre féministe, une défense de la femme martiniquaise, plus précisément comme un hommage à nos grands-mères et arrière-grands-mères du siècle dernier, à ces courageuses et dignes femmes de condition modeste, confrontées à la pauvreté, voire à la misère, et souvent la proie d'hommes irresponsables qui les engrossent sans leur témoigner le moindre amour et les abandonnent ensuite à leur triste sort de fille-mère.

On peut y voir aussi une réflexion désabusée sur notre condition actuelle de peuple dominé, aliéné culturellement, incapable de “faire peuple” et d'imaginer un quelconque avenir, programmé pour consommer toutes sortes de produits fabriqués ailleurs. Mais c'est surtout une réflexion sur notre identité et sa relation aux deux langues parlées chez nous: le créole et le français.

Contrairement à ce qu'on pourrait penser en adoptant un point de vue nationaliste étroit, Reine, le personnage principal, considère le français comme sa langue “maternelle”, car c'est celle dans laquelle sa mère lui appris à parler, et ce bien qu'elle soit la langue de l'Autre, du dominant. L'autre langue, celle de son arrière-grand-mère, est appelée langue “matricielle”, en référence symbolique à la matrice, nom commun de l'utérus. La question de la langue, liée à celle du langage, pose celle de la relation entre la parole orale et la parole écriture, c'est- à-dire en fin de compte celle de la responsabilité de l'intellectuel maîtrisant la langue dominante envers ceux qui ne parlent que la langue “matricielle”.
Mérine Céco distribue la parole entre plusieurs personnages féminins (Maman, Arrière- Bonne-Maman, “La schizo”, Reine, Kelly) et un personnage immatériel, appelé “La Parole critique”.

Chacun de ces personnages -qui sont autant de voix narratives-perçoit le réel depuis sa propre perspective et l'exprime en fonction de ses idées et expériences vitales. Le lecteur, pour sa part, est invité à effectuer une série de sauts dans le temps et dans l'espace, le point de repère temporel étant la Grande Catastrophe. Les faits narrés surviennent en effet “avant” ou “après” la Grande Catastrophe, événement qui n'est expliqué que tardivement: Il s'agit d' une tragédie consécutive à la Grande Grève (allusion à la grève de janvier -février 2009, de la “Révolution des Ventres” menée par Reine et son ami Clément contre la Consommation, et matée dans le sang par les Grands Consommateurs.

C'est ainsi que le roman débute par des événements qui onteu lieu “Après la Grande Catastrophe” et qui sont racontés par “Moi: arrière-petite-fille”, personnage qui s'avèrera être à la fois Reine (Rayne) ou Yoni , “fille de Maman”, et la “schizo” amnésique.

Après quoi, il sera question “d'Avant la Grande Catastrophe”, et ainsi de suite.

La question du caractère autobiographique de La mazurka perdue des femmes-couresse mérite d'être posée. S'il est évident qu'on n'est pas en face d'une autobiographie, il est tout aussi évident que cette oeuvre a une dimension autobiographique, comme tout roman s'il faut en croire de grands écrivains comme Alejo Carpentier et Mario Vargas Llosa. Ce dernier explique, par exemple, que dans tout roman “palpite un coeur autobiographique ”et que toute fiction est un mélange subtil, inextricable de “vérités” et de “mensonges”. On sait par ailleurs qu'un romancier est quelqu'un qui se sert de ses personnages pour se masquer, cacher son moi profond, mais aussi, en même temps pour se dévoiler, se révéler, le tout subtilement. Dans le cas de Mérine Céco, il n'est pas difficile de voir comment elle révèle son savoir intellectuel (littéraire, philosophique, linguistique) à travers l'intertextualité (référence explicite ou implicite à d'autres textes); comment elle exprime son refus du machisme, de la société de consommation, ainsi que son désir de voir son peuple “faire peuple”. Sur la Martinique d'antan, qu'elle n'a pas connue, elle sait des choses que seule a pu lui dire une grand-mère ou une arrière-grand-mère. Qui sait maintenant que jadis il y avait en Martinique une couleuvre appelée couresse?

{{Qui connaît cette tradition de la “mazurka perdue”?}}

Il est vrai que l'auteure, pour confondre le lecteur et lui ôter toute envie de voir une quelconque dimension autobiographique dans son oeuvre, a recours à un procédé appelé “mise en abîme”. Il consiste, ici, à faire croire que la véritable auteure de ce roman que nous sommes en train de lire n'est pas Mérine Céco, mais le personnage appelé Maman, qui affirme à l'avant dernière page qu'elle vient de publier un ouvrage de 150 pages intitulé La mazurka perdue des femmes-couresse, qui n'est autre que le Journal de Reine, dont elle dit : “... c'est ma version des faits, c'est un ouvrage d'histoire: j'y ai consigné notre mémoire...”On peut s'interroger sur le choix par Corinne Mencé-Caster d'un pseudonyme, sachant que c'est un procédé couramment utilisé par les écrivains et les artistes et que dans certains cas(guerres révolutionnaires, espionnage) le pseudonyme est indispensable pour sauver sa vie. En Martinique, nous avions déjà au moins trois pseudonymes en littérature. Serge Honoré publie des romans policiers sous le nom de Sergio Noré. André Pétricien, romancier, essayiste et journaliste, n'est connu du public que sous le pseudonyme de Tony Delsham. Quant à Daniel Boukman, qui s'est véritablement donné une nouvelle identité en décidant de s'appeler ainsi pour des raisons politiques, il considère comme une offense le fait de l'appeler volontairement par son nom d'état civil.
Il est possible d'imaginer que Corinne Mencé-Caster a voulu établir une frontière entre l'écrivaine qu'elle est désormais et la professeure des universités et la présidente de l'UAG qu'elle est également, même si la chose n'est pas aisée par ces temps d'hypermédiatisation.

Ce faisant, elle a pris implicitement un engagement : celui de continuer à publier d'autres fictions, car un pseudonyme, c'est pour la vie. Mais n'ayons crainte: elle en est capable!

La mazurka perdue des femmes-couresse : un roman à lire à tout prix!

M. Belrose

Connexion utilisateur

CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain afin d'éviter les soumissions automatisées spam.

Pages