Maxette Beaugendre-Olsonn est une Guadeloupéenne qui vit depuis 30 ans en Suède et qui a épousé un Suédois. Elle nous livre ses réactions quant aux déclarations faites par sa compatriote, l'écrivain Maryse Condé, lors de la traduction, récente, en suédois de son roman 'La traversée de la mangrove'.
Je suis dans un drame intérieur qui me chavire. Maryse Condé est de première dans tous les journaux suédois littéraires (ou pas) qui se gorgent de ses interviews dus à la traduction de “La traversée de la mangrove” où la brutale réalité aux Antilles françaises explose comme un méchant volcan vomissant sa lave brûlante dans la vasque de l'humanisme éthique nordique. Apa kouyounad. Lorsque je lis en suédois qu'aux Antilles, être écrivain ne signifie rien pour les Antillais et qu'ils font tout pour vous décourager, ceci dû à leur mentalité défectueuse, à l'heure qu'il est où “La parole s´en va, mais l´écriture reste” plus que jamais dans l´univers cyberspace ou littéraire, j'ai honte. A pa jé hon! Surtout que pour la première fois, on vient d´ouvrir un parcours touristique de charter Suède-Guadeloupe. Mi déba anbabakaka! Voilà débat ! Moi qui donnais des conférences sur les Antilles “Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil”, je reste croix-sur-bouche car on ne contredit pas les grandes personnes comme Madame Condé. Honneur et respect ! Et encore, elle dénonce hautement et sans embâcle, les tueries, les viols, les méchancetés, la fainéantise et les vols de chez nous. D´accord ! L´argument est que, sé pa nou ki pòté lanmod´ soit cela ne se passe pas seulement aux Antilles françaises, mais entre nous, la vérité est une épée de Graal, Damoclès, Durendal, Excalibur, kisasayé qui fait mal, parce, que toutes les fois que mes copines suédoises prennent le temps de me découper les articles pour me les envoyer par la poste, cela me fait voum! dans la poitrine. Tellement voum! que pour une fois je comprends pourquoi les chanteurs et chanteuses de zouk pleurent et se lamentent comme des hulottes. “Ou fè mwen mal”. Ma manie de prendre à cœur les actes des miens et ce qui se passe dans mon pays, alors que je foule à peine le sol de mon pays en sachant que sur cinquante-sept ans, je suis partie depuis quarante et un ans soit trente ans en Suède où j'ai fui cette réalité antillaise enfouie dans la neige où j´ai congelé mes larmes, glacé mes sanglots et givré mes meurtrissures parfois sous -50 degrés. Sésa. Pour laisser les tropiques et choisir de se réfugier toute seule, sans famille, sans amis à -50 en pleine jeunesse, il faut être dans un complet choukoultann (embrouillamini). Je préférai marcher sur l´eau que charrier l´eau dans un panier. Ka-w vlé fè, est le soupir de compassion créole s´il vous plaît ! 'Sé kouto tousèl ki sav say ka pasé an kyè a jiromon'. Seul le couteau sait ce qui se passe dans le cœur de la citrouille. Ressentir la honte dévoile le déshonneur. Le déshonneur est une perception émotionnelle de l'ego et du mental au paroxysme . Un état qui débride la rage, mais ce déchaînement grâce à Dieu révèle la contrition qui guide à l'éveil et la résurrection de la dignité. L'aveu de Maryse Condé de ce que j´ai passé ma vie à nier et refouler solidement par doudouïsme ou par survie psychique, me bouleverse et me dépite. La vérité est comme l´huile dans l´eau. Elle remonte toujours à temps. Madame Condé dit déménager prochainement et définitivement de la Guadeloupe, car ce pays est devenu invivable, ce que j'écoute trop souvent en me bouchant les trous d'oreilles pour ne pas entendre 'Péyi la bèl, mé sé moun-la mové'. Le pays est beau mais les gens sont méchants. Oui! Dire que j'ai déjà écrit sur tous ces sujets sans le publier. J´ai écrit un livre en cachette comme je dus le faire dans mon enfance pour ne pas entendre “Ay chèché on travay pou-w fè fengnan!” “Fainéante ! Arrête de paresser !” ou ”Si tu veux écrire, trouve toi du travail dans un bureau.” Je me suis ensevelie trois ans, isolée et affamée à Stockholm pour me consacrer à l´écriture qui ventilait le courroux qui menaçait ma santé et l´harmonie nécessaires au seuil de la période de sagesse qui précède la mise en poussière, parce que je me suis souvent sentie responsable de la misère mentale et morale de mon île. Un livre que personne n´a lu, mais quel fardeau de culpabilités ! Je dus pourtant le porter comme des cornes de cocue, sans plier et sans ciller à dessein de mieux pardonner ceux qui m'ont violé moi et mon fils aujourd´hui assujetti. Pardonner ceux qui nous ont fouetté, ceux qui nous ont molesté, dénigré, maltraité... Que de fois j'ai été tentée de blâmer l'esclavage, les blancs, le racisme ou la sorcellerie! Dans le désespoir et la détresse, il y a trois choix : celui de trouver un bouc émissaire, celui de se battre le plexus à coup de mea maxima culpa ou celui de se pardonner son inconscience. “Pardonner ne guérit pas de bosse” est le dicton créole. Bosiko, bosiko, da-w da-w. Pa mangné bòs an mwen. Ne touche pas à ma bosse, est le refrain. Ma guérison est dans le processus et la conviction de mon impuissance à changer le passé, elle est dans la petite voix d´un ami Gérard Dorwling-Carter qui chuchote 'Les méchants ont beaucoup plus besoin d'amour' . Elle est dans l´encouragement de M. Raphaël Confiant de kyenbé rèd. Elle est dans le 'Bon courage!' de ma Tantante. Pardonner c'est de récupérer mon pouvoir, c'est-à-dire ne pas tenir les tourmenteurs responsables de mes expériences. Pardonner c'est me pardonner à moi-même de ne pas assez reconnaître le pouvoir de la vie, Dieu ou du souffle divin en moi, en eux, en tous. Tous ces êtres humains qui n'ont pas conscience de leur esprit ki kay pli vit ki kò. Ce pourquoi, j'ai jusqu´ici choisi de propager le meilleur esprit des pays qui m´ont éduqués. De la France j´ai gardé le cérémonial de la cour, l´amour des Belles Lettres littéralement, la magie de la représentation de la parole et de la pensée qu´est l´écriture, le mérite de la littérature, la coquetterie, l´art du parler brillant et ne rien dire... De la Suède ? Je recueille la quiddité de l´organisation, le respect de la ponctualité, le sens du travail quotidien qui régénère la liberté de se métamorphoser, la puissance du silence et la sainteté de la solitude. Des Antilles j´ai hérité la joie divine qui n´a pas son contraire, cette jubilation malgré tout, la simplicité sophistiquée, la créativité du débouya-pa-péché, les belles manières créoles des fanm tonbé na janmé dézèspéré, la serviabilité, le courage, la force, la foi, la volonté dont le moteur est la décision, la fierté... “Semper pulcher esto” “La fierté d´abord” est la devise de l´emblème de ma famille maternelle : Beaugendre. Zòpédisa ! Ma bonne foi est la noblesse oblige à admettre l'évocation implacable de Maryse Condé : je ne suis pas seule. Merci madame ! { {{Maxette Beaugendre-Olsson}} }
Commentaires