Depuis la disparition en pleine nuit d’une opticienne française il y a dix jours, sur une route isolée du Diamant, une véritable hystérie anti-saint-lucienne s’est emparée de la Martinique. En effet, trois originaires de Sainte-Lucie sont soupçonnés d’avoir enlevé la jeune femme qui, à ce jour, n’a toujours pas été retrouvée. Sa voiture, par contre, git, calcinée dans un champ de canne au Lamentin, ne laissant donc que peu d’indices aux enquêteurs. Ces derniers, toutefois, retrouvent, caché dans les halliers, sur la plage du Diamant, un véritable butin composé d’objets visiblement volés et parmi ceux-ci, un appareil-photo. Le développement de la pellicule montre les trois individus en train de bivouaquer dans un lieu non identifié et paradant avec un fusil à canon scié. Aussitôt, la gendarmerie diffuse ces photos au quotidien « France-Antilles » et évidemment, celles-ci se retrouvent, en un tour de main, sur le Net.
Il n’en faut pas plus pour qu’une véritable folie dénonciatrice s’empare de la Martinique. Les forces de l’ordre reçoivent des dizaines de coups de fil dénonçant un voisin saint-lucien, une vague connaissance saint-lucienne ou tout simplement un individu aperçu dans la rue et ayant « une tête saint-lucienne » !!! Le portrait-robot est clair : petit de taille, laid et noir. Un site-web martiniquais n’hésitera pas à jeter la photo des suspects en pâture à des internautes malsains et avides d’accabler les immigrés caribéens.
S’il est clair que ces individus doivent être arrêtés et jugés, il est tout aussi clair que faire de tout Saint-Lucien un suspect potentiel est une ignominie et révèle la bassesse d’âme de certains petits négro-français qui, sous couvert d’humour ou de distanciation, ne font en réalité que conforter le système colonial en place. Ainsi a-t-on vu une dame s’empresser de téléphoner à la gendarmerie en disant que trois saint-luciens étaient en train de dévaliser sa villa. Les gendarmes débarquent et arrêtent les cambrioleurs. Manque de pot, ce sont des Martiniquais…bon teint (si l’on peut dire).
Plus étrangee encore est l’apparition sur le Net d’un mystérieux « Comité Marion », Marion étant le prénom de l’opticienne, qui diffuse à tours de bras les photos des suspects. Pourquoi n’avoir pas indiqué le patronyme de la victime ? Est-ce pour faire, subliminalement, un rapprochement avec la disparition d’une jeune enfant française, en France, il y a plus de dix ans (elle aussi prénommée Marion) et que certains croient avoir aperçue à la Martinique il y a quelques années. Comme s’il pouvait y avoir le moindre rapport entre les deux affaires ! Bientôt, les Saint-luciens se retrouveront accusés de tout : du pneu crevé de votre voiture, du vol des mangues-julie de votre jardin, de l’empoisonnement de votre chien et pourquoi pas de votre licenciement ?
Honte à ces gens, à ces journaux, à ces radios, à ces télés et à ces sites-web qui attisent à longueur de colonnes et d’antenne la chasse aux Saint-luciens !