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MARIONNETTES OU BWA-BWA

Par Jean-Marc Terrine
MARIONNETTES OU BWA-BWA

Le carnaval n’a pas lieu et c’est tant mieux.

Depuis Christophe Colomb, la terre dans les Amériques a été plongée dans la nuit. Cette obscurité, une lourde chape, qui a aussi plombé la vie dans notre société, la Martinique. À Demain-si-dieu-veut, cet au revoir – cette forme de salutation du peuple pour dire à bientôt – quand on se sépare, c’est bien la manifestation d’une envie de se retrouver ; de sortir de l’ombre. Cette conscience de l’éphémère, de la mort et de la vie, et des signes de l’espérance de vivre.

Dans notre culture, les bwa-bwa ne sont pas seulement réalisés durant la période du carnaval. Ils le sont aussi pour exprimer de grands moments ; pour marquer des rites, pour des rituels de passage comme, par exemple, les après-victoires électorales. Ne nous laissons donc pas distraire par des épiphénomènes, en ce moment, le carnaval. Ne soyons pas, une fois de plus, les marionnettes de la société de consommation ; ni ceux qui tirent les ficelles, ces préparateurs-alchimistes « d’astuces », sortes d’accompagnateurs étranges.

Collectif, gardons cette démarche, et resserrons les liens pour avancer dans la nuit, pour ne pas trébucher, car les obstacles sont nombreux. Collons au flambeau rouge pour la victoire, car le collectif du 5 février ne cesse de rappeler à la population, toute la difficulté qu’il rencontre dans la conduite des négociations avec toutes les stratégies de contournement de la grande distribution, du grand capital. Des marionnettes, des ficelles, des manipulations pour faire vaciller la mobilisation. Restons ensemble et jouons collectif. Que tous les corps, les politiques, les syndicats, les associations, les différentes catégories sociales sachent mettre de côté leurs égos et revendications catégorielles pour sortir enfin de cette obscurité. Arracher la baisse des prix, la défense du pouvoir d’achat et l’augmentation des salaires (bas salaires, minimas sociaux…). Ne soyons pas de ceux qui tirent les ficelles, ou ne lâchons pas des petits-monstres-manipulateurs et marionnettes de rues sur les plateaux télés, les radios, les rassemblements et autres. Arrêtons les jeux. « Jé-a bout », c’est la seule manière de voir demain-si-dieu-veut.

Les jeunes ont compris les enjeux, ils sont encore davantage, dans la nuit des cages d’escaliers, des « sound system », des ghettos ; dans la galère et les obstacles à l’emploi. Rien ne sera plus comme avant, tout le monde le sait, tout le monde l’entend dans la rue. C’est une grande vague-tsunami ; un grand choc-sismique et un magma-éruptif. Un grand bouillon. Alors, et c’est vrai, il faudra encore et encore se rassembler pour gagner ces revendications que porte le collectif, que porte la Martinique.

Les peurs sont là, mais désormais, elles s’expriment dans tous les espaces de rencontres depuis le 5 février. La parole circule plus librement ; malgré la nuit et l’esprit des « jeux », on ose pointer du doigt tous les disfonctionnements, les blocages et les responsables. Et déjà on sent un vent nouveau, l’envers et la fin du temps des marionnettes. Et déjà on parle des bwa-bwa, du temps des bwa-bwa. Ces grands-bwa qui marquaient certains passages dans notre société. Une chose est sûre, le peuple ne veut plus être la marionnette. Le peuple ne veut plus des tireurs de ficelles. Les grands bwa-bwa – après le mouvement social et les débats profonds-seront certainement des repères, et l’occasion pour l’élaboration d’un grand dessein. Et le retour vrai d’expressions, nos bwa-bwa, qui participeront à la métamorphose de la Martinique.

Ce grand rêve qui nous porte, cette magie dans la foule, ces voix-répons c’est comme le dit Antonin Artaud : « Briser le langage pour toucher la vie, c’est faire ou refaire le théâtre…Il faut croire à un sens de la vie renouvelée par le théâtre, et où l’homme impavidement se rend le maître de ce qui n’est pas encore, et le fait naître. Et tout ce qui n’est pas né peut encore naître pourvu que nous ne nous contentions pas de demeurer de simples organes d’enregistrements ». C’est la fin des jeux, des marionnettes, des jeux de ficelles. « Jé-a bout ». Vive le temps, vivons le retour des bwa-bwa. Sakré bwa-bwa ? Cette interrogation créole, peut jeter le trouble. Depuis que j’écris ce texte « Marionnettes ou Bwa-bwa », la traduction que l’on donnait de bwa-bwa, ne me satisfaisait pas – (dans le dictionnaire créole (de Pierre Pinalie)) pantin. Pantin, dans le petit Larousse signifie : « Une figurine burlesque articulée, en carton, en bois découpée, etc…dont on fait bouger les membres en tirant sur un fil ». Sakré bwa-bwa, en Martinique, c’est apostropher quelqu’un, le critiquer, pour son absence de réaction dans une discussion ou face à une situation donnée. Une totale passivité. Ici on critique une attitude, cette absence de mouvement (paroles, gestes). Comment accepter le mot pantin ou marionnette comme traduction de bwa-bwa ? Le dictionnaire, le petit Larousse, précise que la marionnette est une : « Petite figure de bois, de carton ou de tissu qu’une personne cachée fait mouvoir avec la main ou grâce à des fils ».

Si « sakré bwa-bwa » traduit, en langue créole, une absence de mouvement, et l’expression d’une forme humaine inerte, les bwa-bwa – nos sculptures, ces grands bois-chiffons, ces formes pigmentées, aux tissus et couleurs –, nous renvoient aussi aux grands masques et aux échasses des peuples Bobo, Dogon et Bwa –avec leurs couleurs blanc, rouge, noir –, et à l’histoire, à la trace des masques, des grands masques. Nos bwa-bwa disent Awa, comme le nom de la société secrète des masques en pays Dogon. Awa, aussi, non en langue créole (Guadeloupe) ; un non aux jeux des marionnettes et aux tireurs de ficelles : les grands capitalistes et à tous nos grands et petits décideurs de chez nous : chefs de services du public et du privé, politiques et dirigeants d’ associations ; à tout ce que l’on appelle manageurs, directeurs et cadres, plus particulièrement à ceux aux allures de manageurs-géreurs ; ceux qui préfèrent mener la société dans cet esprit de la nuit, de la peur, de la carotte et du « bâton ». Héritage et continuité de l’économie de l’habitation.

Faya, difé pri adan tout sé jé ta-la. Les ficelles et les marionnettes consument et bientôt, on verra se lever, enfin, ce grand soleil flamboyant, qui aveuglera et éclairera toute la Martinique. Demain-si-dieu-veut, deviendra possible. À demain-si-dieu-veut, le temps des bwa-bwa, hors du carnaval. Le peuple sera près pour tenir un bwa-bwa, des bwa-bwa. Une foule prête à « porter » un costume étrange, singulier. Les corps deviendront un support, un médium, et porteront l’image, l’artéfact. Et le corps s’effacera, pour porter le bwa-bwa, ce médium-support artificiel. Hans Belting, nous montre que : « Dans cette transposition résulte, comme on sait, le déficit lié à la privation du langage [d’où an bwa-bwa an moun ki paka bwennin] ». Et désormais, après ce mouvement du 5 février, ce sera le temps des bwa-bwa, qui prendront la parole, et montreront un nouveau chemin. Les femmes et les hommes, ceux qui portent les bwa-bwa, « s’effaceront », et deviendront « an bann bwa-bwa », qui reprendront la main. Il y aura ce sacrifice ou grand rituel. Un nouveau rituel, est en route, qui s’anime et se prépare dans les rues et collectifs en Martinique. C’est ce retour du magique, de la beauté sauvage.

Les bwa-bwa sont la figure du passage comme le dit Monchoachi : « Le passage en effet est une figure : paroles incompréhensibles, occultes, murmurées, récitées, elles donnent accès à l’envers. Paroles à cet effet inversées pour clairement signifier le lieu vers où l’on désire cheminer…Mais le passage est une figure de rhétorique qui ne se satisfait pas de la seule érudition. Elle requiert des corps à malmener, à exposer, à extasier. Il faut qu’elle soit portée (et supportée) par des figurants ».
Des marionnettes aux bwa-bwa. « Le langage de Zuyua, le langage des énigmes ». Perdre pour reprendre la parole.

Fort-de-France le 21 février 2009
Jean-Marc Terrine

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