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Marie-France Bokassa : « J'aime mon père »

Emilie Lanez (in "Le Point")
Marie-France Bokassa : « J'aime mon père »

La fille de l'ex-empereur de Centrafrique revient sur son enfance. Elle publie, chez Flammarion, un livre poignant : « Au château de l'ogre ».

Il est vraisemblable que plus jamais nous n'entendrons à la question « quelle est votre place dans la fratrie ? » la réponse « sixième en partant du plus jeune et trente-quatrième en partant du plus âgé ». Marie-France Bokassa, 44 ans, est donc une fille de Jean-Bedel Bokassa, ex-empereur autoproclamé de Centrafrique et mari de dix-sept épouses officielles. De tous ses enfants, Marie-France Bokassa est la seule à ne pas avoir fui le voisinage du château d'Hardricourt, dans les Yvelines.

Cette bâtisse du XVIIIe, son père l'acheta comme six autres châteaux et c'est ici, dans ces 500 mètres carrés délabrés, qu'en 1983, il s'exile avec sa nouvelle compagne, la marâtre Philomène, et une flopée d'enfants, auxquels Bokassa interdit d'inviter des amis ou de sortir hors de la propriété. Malheur à celui qui désobéit : chicotte et coups de ceinturon. Aux fenêtres, il a fait poser des barreaux noirs, redoutant un attentat et les photographes de presse à l'affût. Quand l'argent vient à manquer, que le chauffage est coupé, que les canalisations ont gelé et les radiateurs en fonte explosé, il décroche son téléphone et hurle dans l'oreille de quelques journalistes que « la France lui a coupé les vivres ». Parfois, ça marche. Et le chauffage revient quelques jours.

« Peur de rien »

Marie-France, mère de trois grands enfants, vit dans un village voisin. Elle revient parfois à Hardricourt – vendu à des particuliers qui le louent pour des mariages – n'ayant, affirme-t-elle, « peur de rien ». Ni des fantômes, ni des esprits, ni des souvenirs douloureux, ni des cris et des courriers d'avocats de certains de ses frères et sœurs, furieux qu'elle ait choisi d'écrire un livre, Au château de l'ogre (Flammarion), révélant l'enfance, la vraie, des princes et princesses Bokassa. « Toute ma vie, on voyait en moi une petite fille très riche, les gens ont toujours supposé que nous vivions sur un grand pied, menant la belle vie au château. C'est totalement faux », dit-elle. Alors, elle raconte.

Née à Bangui d'une Taïwanaise de 15 ans qui, après avoir demeuré deux ans dans le harem des épouses, est chassée. Jamais Marie-France n'aura de ses nouvelles. Elle a cinq ans quand son père l'envoie dans un pensionnat suisse. À Bangui, son père a fait réprimer dans le sang des émeutes lycéennes et une manifestation d'écoliers. Et comme il se rapproche de Kadhafi en Libye, puis gifle le conseiller Afrique envoyé par Giscard pour le raisonner, la France décide que c'en est trop. Bokassa Ier est renversé. La fuite. Sur le tarmac, quelques mères sont venues embrasser chacune leur progéniture, qu'elles ne reverront plus, l'ancien empereur n'emmène que ses enfants, pas ses femmes.

Nourrir et aimer

Dans le château gelé, où ils ont trouvé refuge, Marie-France lutte. Elle chaparde de l'argent pour acheter en douce à l'épicerie quelques denrées pour calmer sa faim, elle résiste aux mauvais coups de la méchante Philomène, elle travaille assidûment à l'école, bien que n'y voyant goutte, faute de lunettes dont elle aurait besoin. Et surtout, avec cet instinct de survie saisissant que développent les petits martyrs pour grandir, elle aime son père, car il est impossible de grandir sans aimer, même les ogres. « Quand il nous réunissait le soir et nous racontait son enfance, l'exécution de son père par les Français, la guerre, je ne me lassais jamais. J'avais de la peine pour lui. » De la peine pour cet homme, colérique, tyrannique, brutal, dont petite fille déjà elle devine les failles, « cette folie qui l'habitait ». « Je m'intéresse à l'homme, pas au chef d'État. Je sais seulement que mon père a servi son pays, pendant ses quatorze années de pouvoir, la Centrafrique a connu un développement considérable, la famine a reculé, l'administration s'est organisée », explique celle qui n'exclut pas d'y retourner y vivre et d'« y faire du bien ».

Collégienne, Marie-France s'enfuit du château maudit, où elle et ses frères et sœurs survivent sous les coups de Philomène enragée, son père étant emprisonné en Centrafrique. Elle passe rapidement sur son adolescence, on retient qu'elle ouvrira, à côté d'Hardricourt toujours, un restaurant de cuisine africaine, puis travaillera comme maîtresse de maison dans un foyer pour enfants placés. Aujourd'hui, elle tient un salon de thé. Nourrir et aimer les enfants, les deux passions de Marie-France. Sa psychologue a dû lui dire qu'elle répare son histoire d'enfant mal nourrie et mal aimée. « Quand les accusations de cannibalisme portées contre mon père ont été réfutées par le tribunal de Bangui en 1987, ce fut une fierté pour moi de le dire à tous les gens de notre village », précise-t-elle. Marie-France Bokassa n'a jamais réussi à dormir plus de trois heures d'affilée. Celle qui n'a « peur de rien » en plein jour s'empêche d'avoir des cauchemars. Et le jour, elle lutte.

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