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MARIE-CHRISTINE HAZAEL-MASSIEUX : QUELLE QUE SOIT LA GRAPHIE, L’ESSENTIEL EST D’ÉCRIRE LE CRÉOLE

MARIE-CHRISTINE HAZAEL-MASSIEUX : QUELLE QUE SOIT LA GRAPHIE, L’ESSENTIEL EST D’ÉCRIRE LE CRÉOLE

{{ {Invitée en mai dernier au colloque “Le créole réunionnais et la question orthographique”, la linguiste Marie-Christine Hazaël-Massieux pose un regard décomplexé sur les polémiques. Selon elle, une langue vit et bouge : l’essentiel est de l’utiliser et de l’écrire, sans se disputer sur l’orthographe.} }}

Marie-Christine Hazaël-Massieux est une grande dame de la linguistique. Mince silhouette blonde, le pas vif, cette Parisienne a bourlingué sur plusieurs continents avant de se fixer à l’université d’Aix-Marseille. Auteure du livre de référence “Ecrire en créole, oralité et écritures aux Antilles”, Mme Hazaël-Massieux participait le 27 mai dernier au colloque “Le créole réunionnais et la question orthographique” organisé à Saint-Denis à l’initiative de Lofis la lang (l’Office de la langue créole).

{{Que pensez-vous des travaux sur la langue créole à La Réunion ?}}

Je suis enchantée, je constate une nouvelle fois qu’on est dans une voie importante pour le créole. Il y a des progrès constants. Le travail de Lofis la lang est très consensuel. Il ne faut pas qu’on s’enflamme trop vite dans les questions de normes en décrétant : “Il faut parler comme ça”.

{{Voulez-vous dire qu’il ne faut pas se précipiter pour choisir une écriture ?}}

Oui. Il est manifestement secondaire de se disputer pour savoir s’il faut prendre une lettre ou deux pour noter un son. Par exemple, pour écrire le son “ou”, on peut l’écrire “ou” ou bien “u” ; on peut discuter à perte de vue. Certains ont adopté “ou”, cela me semble très raisonnable. De même, pour le son “in”, faut-il l’écrire “in”, “en” ou i avec un tilde ? Mais le tilde espagnol n’existe pas sur les ordinateurs francophones ! Cela ne sert à rien de se précipiter. Au contraire, il vaut mieux s’intéresser à la langue. Et la langue permet de tout dire. Par exemple, en créole réunionnais, il y a des marques pour les temps (“lé”, “té”). Il y a des marques pour désigner les noms, comme la marque du pluriel (“bann”), qui est utilisée à l’oral avec parcimonie, parce que dans une situation bien claire, le pluriel va de soi.

{{Par exemple ?}}

Lorsqu’on dit “Marmay lékol la ashèt liv”, on sait qu’il y a plusieurs écoliers, qu’il y a donc plusieurs livres ; il n’est donc pas besoin d’une marque du pluriel. Mais pour l’écrit, si on ne connaît pas la situation, il faudra alors écrire “bann marmay la ashèt liv”. Autre exemple : une mère de cinq enfants dira “Marmay i dor” (oralement, pas besoin de préciser le pluriel). Mais si cela devient ambigu à l’écrit, on devra écrire “Bann marmay i dor”. Quant à la manière d’écrire “bann” (ou “ban”, ou “banne”...) ce n’est pas la peine d’entrer en conflit pour ça. L’important est d’utiliser cette marque du pluriel. Le débat est autour de la langue, et l’écriture n’en est qu’une représentation. Ce qui est important, c’est qu’il y ait une véritable conscience du fonctionnement du créole. Autant choisir ce qui ne déplaît pas aux gens : le créole est une langue vivante, qui crée, qui innove. Il faut se méfier d’une langue qu’on fixerait trop tôt par une norme. La seule langue qui est fixée, qui n’évolue plus, est une langue morte. La langue innove par ses locuteurs, pas par ses grammairiens ou ses linguistes.

{{Pensez-vous qu’il est nécessaire d’enseigner le créole à l’école ?}}

Oui, c’est indispensable. Si on ne l’enseigne pas, les gens peuvent toujours dire que ce n’est pas une langue, qu’il n’y a pas de grammaire... Or, une langue qu’on n’enseigne pas risque à tout moment de disparaître. Il faut mettre à jour toutes les possibilités de la langue : expliquer toutes les formes qu’on peut utiliser. Il ne faut pas s’inquiéter d’avoir plusieurs mots pour dire la même chose, plusieurs formes, comme à la fois “Marmay i dor” et “Bann marmay i dor”. On a le choix. En français, on a l’exemple des mots “huis” et “porte”. à l’origine, le mot “huis” (d’origine latine) désignait la porte de la maison, et la “porte” était l’entrée de la ville : le mot huis a disparu au profit de porte quand la porte des villes a disparu. La publicité, comme la poésie et la littérature, innovent. On peut se désoler de ne pas être capable de lire : c’est pour cela qu’il faut enseigner la lecture et l’écriture à l’école. Personne, dans aucun pays du monde, n’est capable de lire une langue sans avoir appris. Il est donc normal que des Créoles éprouvent des difficultés à lire le créole. Les petits élèves français parlent le français avant d’aller à l’école. Puis ils passent 15 ans à l’apprendre, avec toutes les nuances possibles !

{{Peut-on écrire ce que certains appellent le “gros créole”, ou le “créole lourd” ?}}

Il est inéluctable de juger les autres variétés de sa langue. Ce n’est pas spécifique au créole. En France, on dit aussi “Il a l’accent paysan, il prononce mal le français”. On pense toujours que soi-même on parle mieux que les autres. Mais ça n’est pas une réalité. Le problème c’est de parler, de libérer la parole. On ne va pas faire une conférence universitaire en parlant un créole rural. Mais on ne va pas cultiver son champ en créole universitaire. Il faut maintenir les différents niveaux de langue. Certains demandent : “Dites-nous quel est le bon créole ?”, parce qu’on a besoin d’une norme. Nous, en France, nous avons peur de parler une langue en faisant des fautes. Mais la langue orale est différente de la langue écrite. Par exemple, on n’utilise pas “ne” pour le négatif en parlant. Et quand on se met à écrire, on a besoin de redondances, comme “ne pas”. Avant tout, il faut chercher à se faire comprendre. A l’oral, cela ne se passe pas de la même façon, car on peut utiliser les gestes ou les intonations. A l’écrit, c’est différent, il nous faut encore étudier ce qu’il faut représenter pour que la compréhension soit bonne. Il faut marquer “bann” si le contexte ne suffit pas pour comprendre. L’essentiel est d’écrire le créole, sur Internet ou par SMS, quel que soit le système graphique utilisé.

Entretien : {{Véronique Hummel}}

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Danik I Zandwonis
_ Directeur de www.caribcreole.com
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