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MADJANIE LEPRIX SUR "AMINA"

MADJANIE LEPRIX SUR "AMINA"

Lauréate du CAPES de créole en 2007,{{ Madjanie Leprix}}, Guadeloupéenne d'origine exerçant à la Martinique, a donné une interview au magazine "AMINA" que nous reproduisons ci-après, interview dans laquelle elle explique son parcours et donne sa vision de l'évolution du combat pour la langue et la culture créoles...

{{{AMINA}}}

{{1- Passer le Capes de créole est-il votre choix de ne pas consacrer l’oubli collectif de cette langue ?}}

Vous savez, j’ai travaillé durant de nombreuses années en collaboration avec l’Université des Antilles-Guyane de Schœlcher en Martinique, dans le cadre de la réalisation de L’Atlas Linguistique des Petites Antilles. Durant toutes ces années, ma mission consistait à sillonner des îles, où on a pu relever la présence d’un créole à base lexicale française. Une fois sur place, je devais chercher des locuteurs créolophones, de deux générations différentes si possible, et leur faire subir un questionnaire. Pour cette occasion, j’ai exploré de nombreuses campagnes.

En Guadeloupe et en Martinique, bien que le créole soit encore vivant, j’ai tout de même pu observer une différence qualitative entre les créoles. Par contre, la situation de l’île qui m’a vraiment touchée est celle de Trinidad où le créole est dans une situation moribonde. Le plus jeune locuteur que j’ai rencontré avait 75 ans et le plus âgé 105 ans. Certains jeunes n’avaient, pour la plupart, jamais entendu le mot « créole » et me demandaient de prononcer quelques mots afin qu’ils entendent le son de cette langue.

Le cas le plus marquant fut celui d’une femme qui ignorait carrément que son mari parlait la langue. Au cours de mes nombreux échanges, mes informateurs manifestaient une joie de pouvoir échanger avec moi, dans une langue qu’ils n’avaient, pour certains, pas pratiquée depuis une cinquantaine d’année. Mais je sentais également de la déception dans leurs propos. En effet, ils étaient déçus de ne pas avoir transmis la langue. La déception était d’autant plus grande qu’ils savaient pertinemment qu’ils étaient les derniers gardiens de langue créole et qu’elle disparaîtrait avec eux.

D’autant plus qu’à Trinidad, contrairement à la Guadeloupe ou à la Martinique où il y des groupes de recherche tels que le GEREC-F, des associations qui militent avec ferveur pour la survie de la langue …il n’y a aucun travail de fait pour sauvegarder la langue. Figurez-vous que je n’ai pas eu besoin d’être confrontée au désarroi de mes informateurs pour m’orienter quant au choix de mes études. Quand je suis arrivée à la Martinique en 1995 pour faire des études de Lettres, je n’avais jamais entendu parler des études créoles.

Une fois que j’ai eu échos de l’existence de cette filière, je savais que j’avais trouvé ma voix et que le créole occuperait dorénavant une grande place dans mon cursus universitaire ainsi que dans ma vie. Puis est venu l’heure de passer les Capes qui pour moi était une continuité, un passage obligé. C’était une pierre précieuse qui allait me permettre de participer à la sauvegarde de cette langue créole qui m’est si chère. Donc, pour répondre exactement à votre question, oui j’ai en partie décidé de passer le Capes pour que le créole ne sombre pas dans l’oubli collectif. Pour que la situation linguistique de la Guadeloupe ou de la Martinique ne soit pas similaire à celle de Trinidad où il reste juste quelques bribes, où a celle de la Grenade où la langue a carrément disparu.

Je voulais encore moins qu’elle ressemble à la situation de Saint-Martin où les locuteurs autochtones créolophones sont extrêmement rares. Mais ce n’est pas la seule raison qui a motivé mon choix. Je pense que la première est bien sur l’amour de la langue.

{{Quelle est votre relation avec la langue créole ?}}

Quelle est ma relation avec la langue créole… ? Quand j’utilise cette langue, je me sens un peu comme un enfant dans les bras de sa mère. Autrement dit je me sens bien. Je n’ai pas l’impression d’avoir de problèmes d’insécurité linguistique. Je suis juste moi. Je pense que c’est une relation filiale très forte. J’éprouve constamment le besoin de me nourrir, de me faire bercer par la magie de cette langue pour me sentir bien. En fait j’ai, à l’image d’un fœtus, besoin de ce cordon pour m’alimenter mais aussi pour me construire. Cette étroite relation est sans doute liée à l’histoire particulière que j’entretien avec cette langue si imagée. En Guadeloupe, chez mes parents, qui ont aujourd’hui plus de 70 ans, on communique essentiellement en langue créole. Vous comprenez bien qu’avec un père agriculteur né dans les années 30, et lui-même fils d’agriculteur, la langue qui primait à la maison était celle de la société de l’époque autrement dit, celle de la société d’habitation. Quand je retourne au pays me ressourcer, je deviens un autre Moi. Autrement dit, en Martinique mis à part au travail et avec quelques rares ami(e)s, je m’exprime essentiellement en langue française. En Guadeloupe, c’est le processus inverse. Je respire et vit pleinement le créole. J’échange que très, très rarement en français. Et ne serait-ce que pour cela, je me devais de m’engager pour faire vivre cette langue. Ne pas m’engager envers elle, aurait été un peu comme rejeter une part de moi-même, de mon identité, renier d’où je viens, mes parents, mon essence même. Ce qui aurait sans doute occasionné un déséquilibre.

{{2- Qu’est-ce qui vous rapproche le plus d’elle ?}}

Sa magie…….

{{3- Avez-vous connu le système éducatif répressif à l’égard de sa pratique à l’école ?}}

Non je n’ai pas connu ce système où s’il a existé durant mon enfance il ne m’a pas marquée plus que cela.

{{4- La majorité des gens aujourd’hui voit dans l’enseignement du créole l’occasion de « bien parler sa langue maternelle », puis de pérenniser la culture et la langue ». Quels autres avantages y trouvez-vous ?}}

Notre peuple a subit un grand traumatisme. D’ailleurs, je pense qu’on peut encore identifier des stigmates de ce traumatisme dans nos sociétés. L’enseignement du créole à l’école ne se limite pas, à mon sens, uniquement à une « bonne maîtrise de la langue maternelle » ou à un désir de « pérenniser la culture et la langue ». Il me semble que c’est une démarche beaucoup plus subtile. L’enseignement du créole à l’école doit être un point de départ qui permet à l’individu d’avoir une certaine assise, qui lui permet de se rendre compte de ce qu’il est en tant qu’individu, afin de mieux se projeter dans l’avenir. Car, ce n’est qu’en sachant exactement qui on est qu’on arrivera à se construire. Et, c’est à mon sens sur cette notion de point de départ que la population à souvent tendance à faire l’impasse.

{{5- Malheureusement, beaucoup refusent l’idée du créole à l’école parce qu’ils estiment qu’il pénalisera encore davantage les élèves qui ne maîtrisent pas le Français. Qu’en pensez-vous ?}}

Je pense que cette idée de l’enseignement du créole qui tendrait à freiner les élèves mal à l’aise en français est un faux problème. Pour tout vous dire, je pense être la preuve vivant qui réfute cette ineptie. Je pense également que ce n’est pas l’enseignement du créole en lui même qui porte préjudice aux élèves concernés, mais c’est l’attitude, le comportement répulsif de certains adultes à l’égard du créole, qui crée un blocage chez ces jeunes. Bien sur, la politique linguistique a aussi sa part de responsabilité.

En fait, cette idée préconçue m’a toujours amusée. Peut-on m’expliquer pour quelle(s) raison(s) les bilingues, par exemple, ne sont pas pénalisés, alors qu’ils utilisent deux langues dans un même environnement linguistique ? Parce qu’à mon avis, on ne leur à jamais interdit de parler l’une où l’autre langue ! Et, n’ayant pas d’interdictions, ils évoluent sans freins et arrivent parfaitement à identifier les deux codes ! L’idée du frein sert à masquer le vrai problème.

Aujourd’hui, nombreux sont les gens à qui la langue créole fait penser à leur douloureux passé esclavagiste qu’ils n’assument absolument pas et qu’ils cherchent même à renier pour certains. Donc, il est clair que pour cette catégorie de personne la réussite, la reconstruction, passera par l’oblitération de certaines valeurs du passé ainsi que de son héritage le plus présent : la langue. D’autres personnes se servent de se masque pour cacher leur crainte. Ceux-ci font un amalgame entre défense de la langue et de la culture créole et indépendantisme. Deux choses qui à mon avis n’ont pas grand chose en commun. Mais bon !

{{6- Vous vous êtes prononcé pour qu’un grand nombre d’élèves l’étudie en classe. Cela aura-t-il selon vous un impact sur leurs réussites scolaires ?}}

Je reste persuadée que l’étude de cette langue peut contribuer à améliorer les résultats scolaires des élèves. En partant d’une réalité qu’ils connaissent on pourrait éventuellement établir des passerelles avec d’autres disciplines afin de facilité leur compréhension. L’exercice de traduction par exemple, peut aider les élèves à avoir une meilleure connaissance aussi bien de la langue source que de la langue cible.

{{7- Quelles observations pouvez-vous faire sur l’apprentissage du créole aujourd’hui ?}}

La politique linguistique pratiquée en Martinique est susceptible d’évoluer. Mais on sent bien qu’il y a, contrairement à la Guadeloupe des réticences. De nouveaux combats se dessinent-ils à votre avis ?
Bien qu’il existe aujourd’hui un Capes de créole, des associations militantes, des groupes de recherches…le combat n’est absolument pas gagner. J’aimerais tant que l’objectivité guadeloupéenne gagne la Martinique ! A mon avis, le combat le plus important et le plus porteur a commencé il y bien longtemps mais a malheureusement du mal à prendre. Ce combat est basé sur une évolution des mentalités qui permettrait un peu plus d’ouverture, une certaine flexibilité du champ linguistique ainsi qu’un autre rapport aux langues.

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