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L’OMBRE DES GANGS NIGERIANS S’ETEND EN EUROPE

Etienne Dubuis https://www.letemps.ch
L’OMBRE DES GANGS NIGERIANS S’ETEND EN EUROPE

Une nouvelle vague de prostituées africaines s’accompagne de l’apparition de femmes proxénètes liées à de mystérieuses organisations criminelles. La police fédérale étudie le phénomène avec attention

De nouvelles figures attirent, depuis un peu plus d’un an, l’attention de la police à Lausanne: des Nigérianes d’âge mûr, régulièrement surprises en train de «tourner» autour de compatriotes beaucoup plus jeunes s’adonnant à la prostitution. «Leur comportement est douteux mais nous n’avons pas de quoi ouvrir des enquêtes sur elles, confie Arnold Poot, répondant presse de la police cantonale vaudoise. Nous nous contentons d’être attentifs à leurs opérations.» Attentifs pour le cas où ces femmes seraient des «mamas» (ou «madames»), à savoir, en français courant, des proxénètes.

Le nombre de prostituées nigérianes a rapidement augmenté dans la capitale vaudoise, pour se porter, selon la police, à 20 ou 30 et se poser en sérieuses concurrentes de leurs collègues camerounaises jusqu’alors majoritaires parmi les Africaines. Et ce pourrait bien n’être qu’un début en ces temps de grandes migrations du continent noir vers l’Europe. Les Nigérians ont formé le plus gros contingent d’immigrés cette année sur les côtes méditerranéennes de l’Italie, avec quelque 38 000 arrivées. Et parmi eux, les femmes, souvent mineures, sont de plus en plus nombreuses: 1500 en 2014, elles ont été 5633 en 2015 et quelque 3600 lors du seul premier semestre 2016.

Des bribes de confidences

Etrange population. La quasi-totalité de ces Nigérianes proviennent du même endroit, l’Etat d’Edo, une région qui ne représente pourtant que 2% de la population du pays. Et la plupart disparaissent mystérieusement des centres d’accueil où l’Italie tente de regrouper les cohortes d’immigrés qui débarquent sur ses rives. Elles sont bien interrogées à leur arrivée par la police, mais elles se montrent alors particulièrement peu loquaces. Comme si elles s’adressaient au diable.

A force d’enquêter, policiers, chercheurs et journalistes ont tout de même fini par arracher des bribes de confidences. Des aveux qui racontent tous la même histoire. Une enfance misérable dans l’une des régions les moins développées du Nigeria. Une famille incapable de subvenir aux besoins d’une marmaille trop nombreuse. Puis une «gentille dame» ou un «ami» du père qui débarque à l’improviste et propose à l’une des grandes filles un emploi de baby-sitter ou de serveuse en Europe. Le rêve.

Dette et magie noire

L’aventure prend rapidement une tournure désagréable. La malheureuse élue entame son voyage dans la masure d’un sorcier qui la déshabille et prélève sur son corps des cheveux, des poils pubiens, des bouts d’ongle et des morceaux de peau qu’il enferme dans une petite boîte. La fille était censée pratiquer un rite de magie blanche, destiné à lui garantir un bon voyage: elle se retrouve en pleine cérémonie de magie noire, contrainte de promettre le remboursement de ses frais de voyage au mystérieux réseau qui l’a prise en charge. Faute de quoi les esprits, à qui elle vient de s’offrir, la rendront folle ou la tueront. Et ce, où qu’elle se trouve sur la planète.

Puis c’est le départ. «Quelques jeunes femmes prennent l’avion pour gagner l’Europe, explique Stephan Fuchs, spécialiste suisse de l’immigration nigériane et fondateur du site Trafficking.ch. Mais c’est là un luxe. L’écrasante majorité emprunte la voie de terre pour atteindre la Méditerranée, avant de s’embarquer sur de frêles rafiots en direction de l’Italie. Dans un cas comme dans l’autre, elles voyagent de préférence en groupes et sont en principe accompagnées par une personne chargée de les conduire à destination.»

«Le parcours a l’air bien rodé, observe Anne Ansermet, codirectrice de l’Association de soutien aux victimes de traite et d’exploitation (Astree), à Lausanne. Les jeunes femmes ne s’occupent de rien. Le transport, le logement, les papiers: tout le nécessaire leur est fourni au fur et à mesure de leur progression vers le nord. A leur arrivée en Italie, la personne qui les a accompagnées s’éclipse un temps avant de les récupérer. Il leur est seulement demandé de mentir aux autorités, en affirmant être majeures et avoir voyagé seules.»

Le travail qui attend ces filles est bien différent des activités qu’on leur a promises au départ. Il s’agit bien évidemment de prostitution. Les moins malchanceuses le découvrent à leur arrivée en Europe. Les autres en font déjà l’expérience au cours de leur traversée de l’Afrique. En Libye notamment, où certaines restent enfermées des mois durant dans des maisons de passe. Si les moins naïves avaient compris dès l’origine à quel emploi on les destinait, aucune sans doute n’a imaginé les conditions terribles dans lesquelles elles allaient être condamnées à l’exercer.

Les «mamas» au cœur du système

Au cœur de ces organisations figurent les «mamas», d’anciennes prostituées qui «ont réussi» et, après avoir remboursé leur dette, se sont converties en proxénètes. Elles tiennent un rôle pivot dans la traite des Nigérianes. Ce sont elles, le plus souvent, qui s’endettent pour amener et entretenir des filles. Et ce sont elles, par voie de conséquence, qui encaissent les gains et sévissent contre leurs employées les moins performantes. Pour plus d’efficacité, ajoute Stephan Fuchs, «elles forment des Ladies Clubs qui leur permettent de s’entraider de Zurich à Palerme, en s’échangeant par exemple leurs jeunes femmes.»

Mais le monde de la prostitution forme une trame particulièrement complexe. Les «mamas» collaborent également avec d’autres réseaux pour mener leurs activités. Et ce, aussi bien au pays, pour recruter des filles ou fabriquer de faux passeports, qu’en Europe, pour loger, transporter, voire punir leurs employées. La police espagnole a levé légèrement le voile sur ce genre de coopération en arrêtant l’an dernier, lors du démantèlement d’un réseau de prostitution, plusieurs membres d’une fraternité nigériane du nom de Supreme Eiye. Et les forces de l’ordre italiennes ont fait de même en novembre en mettant sous les verrous une vingtaine de membres d’une autre société secrète, la Black Axe, également active aux côtés de «mamas» dans le trafic d’êtres humains.

Et en Suisse?

Ces organisations sont-elles également présentes en Suisse? Y aident-elles, voire y dirigent-elles des «mamas»? Il est trop tôt pour le dire. Mais leur apparition sur le Vieux Continent est devenue un sujet sérieux de discussions au sein des services compétents. «Nous en avons entendu parler pour la première fois il y a une année ou deux, indique une spécialiste de l’Office fédéral de la police (fedpol). Nous avons eu connaissance, dans le cadre d’une enquête étrangère, qu’une proxénète aurait remboursé une dette auprès de membres d’une fraternité. Rien de tel n’a été constaté sur territoire helvétique. Mais nous sommes attentifs au phénomène et nous avons entrepris de l’étudier, en multipliant notamment les échanges avec des collègues d’autres pays à travers Europol.»

Les prostituées nigérianes sous l’emprise du «juju»

Les jeunes femmes qui abandonnent le trottoir ont la conviction d’être poursuivies par des forces obscures.

L’omerta. Tel est le mot qu’utilisent les policiers européens pour décrire l’attitude des prostituées nigérianes qu’ils interrogent sur leurs itinéraires. Les «filles» ne parlent pratiquement pas, encore moins que leurs collègues d’autres nationalités également confrontées, pourtant, à des organisations brutales. C’est qu’à la peur malheureusement classique de subir des violences de la part de leurs proxénètes, à la crainte tout aussi paralysante de voir des représailles s’abattre sur leurs proches restés au pays s’ajoute une troisième terreur, plus mystérieuse aux yeux des Occidentaux: celle de la magie noire.

Les prostituées nigérianes baignent depuis leur plus tendre enfance dans la religion animiste. Une religion qui suppose l’existence d’une large gamme d’esprits, les uns bienfaisants, que l’on évoque pour s’attirer la chance ou la guérison, les autres mauvais, que l’on mobilise pour imposer des obligations et punir ceux qui s’y dérobent. Lorsque les candidates au départ sont mises en présence d’un sorcier qui prélève des parties de leurs corps, cheveux ou ongles, et les range soigneusement sur son autel, elles ont la conviction de s’être placées sous le pouvoir de forces obscures et d’encourir les pires châtiments si elles trahissent ceux qui les y ont conduites.

Les éducateurs et autres assistants sociaux qui luttent en Europe contre la traite des Nigérianes se désespèrent. Même lorsqu’ils sont parvenus à mettre les malheureuses à l’abri, ils les sentent inquiètes… et pas seulement pour leur famille. Nombre d’entre elles sont si convaincues qu’il va leur arriver malheur qu’elles développent de graves troubles psychosomatiques. Maux qu’elles attribuent non pas à quelque interaction entre le corps et l’esprit mais au pouvoir magique de la cérémonie à laquelle elles ont assisté, le «juju».

Dans le sud de l’Italie, où ces cas sont désormais nombreux, nombre d’intervenants considèrent aujourd’hui que la meilleure parade à ces angoisses n’est pas d’essayer de raisonner les jeunes femmes: trop peu de chances de succès. Elle est d’engager d’autres sorciers, voire des religieux chrétiens, à pratiquer un contre-rite, dans le but d’interrompre ainsi le sortilège. (E. Du.)

Des fraternités devenues criminelles

Les organisations nigérianes comme Black Axe sont récemment apparues en Europe. Mais elles ont déjà une longue histoire dans leur pays d’origine

La «Black Axe» («La Hache Noire»), la «Supreme Eiye» («L’Oiseau Suprême»): ces noms insolites, mi-anglais mi-yoruba, se frayent lentement un chemin dans le lexique des polices européennes pour prendre place aux côtés de ceux de «Cosa Nostra», le nom de la mafia sicilienne, ou de la «Camorra», son équivalente napolitaine. Mais ils sont connus depuis des décennies sur leur terre d’origine, le Nigeria, où les entités qu’ils désignent ont pris diverses formes avant de tremper dans la criminalité.

Lutte contre le colonialisme

Ces organisations sont le fruit d’une évolution particulièrement tortueuse. Leur histoire commence par la création d’une association étudiante, la Pyrates Confraternity, en 1952 à l’Université d’Ibadan. Les sept fondateurs – de brillants éléments parmi lesquels figure le futur Prix Nobel de littérature Wole Soyinka – se donnent pour objectifs de lutter contre le colonialisme et de défendre la culture africaine, tout en combattant les facteurs qui divisent et corrompent à leurs yeux la société nigériane, le tribalisme en premier lieu. Secrets et rituels des fraternités étudiantes

La Pyrates Confraternity partage avec la franc-maçonnerie le goût du secret et des rituels. Elle connaît un succès remarquable au point que les candidats affluent: de très bons étudiants, dévoués à la cause africaine, mais aussi, avec le temps, de moins bons éléments, surtout intéressés par les relations qu’une telle association permet de cultiver et par les avantages matériels qui en découlent. Vingt ans après son lancement, l’organisation chasse de ses rangs une poignée d’adhérents coupables d’avoir manqué à ses principes.

C’est le début d’une prolifération exubérante des fraternités étudiantes. Loin de se décourager, les exclus de la Pyrates Confraternity profitent des circonstances pour créer une dissidence, la Buccaneers Confraternity, au recrutement moins élitaire. A Benin City, dans le sud, apparaît bientôt la Black Axe, dont se sépare peu après la Supreme Eiye. Ailleurs émergent la Supreme Vikings Confraterniy, la Klansmen Konfraternity et bien d’autres encore. Le milieu se transforme. Ces nouveaux groupes introduisent les pratiques vaudoues dans leur rituel. Parallèlement, nombre d’entre eux prêtent main-forte à la dictature en s’en prenant violemment à l’opposition de gauche sur les campus, avant de se convertir, au retour de la démocratie, en gros bras d’une myriade de politiciens et d’hommes d’affaires.

Les fraternités impliquées reçoivent armes et protections en échange de leur soutien. Autant de leviers que les plus corrompues d’entre elles utilisent maintenant pour mener toutes sortes d’activités criminelles au sein comme en dehors des campus, des braquages aux enlèvements en passant par le racket et le proxénétisme. Autant d’enjeux qui exacerbent aussi les rivalités entre gangs, au point de provoquer sur place de nombreux morts. (E. Du.)

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