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Les Normands redécouvrent leur langue... et cela déplaît à l'Etat

Michel Feltin-Palas (L'EXPRESS)
Les Normands redécouvrent leur langue... et cela déplaît à l'Etat

Heureux lecteurs ! Je vous offre cette semaine deux articles pour le prix d'un. Le premier porte sur le renouveau de langue normande. Le second est la retranscription d'un entretien hallucinant avec le rectorat de la région à propos de son enseignement. Pour un ensemble particulièrement révélateur...

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C'est l'une des conséquences inattendues de la fusion de la basse et de la Haute-Normandie : depuis son entrée en fonction, Hervé Morin soutient la langue normande. Une initiative moins étonnante qu'il y paraît. D'une part, le patron centriste de la région entretient une relation personnelle avec cette langue : "Mon grand-père la parlait et je l'entendais souvent dans sa ferme", m'a-t-il expliqué quand je l'ai rencontré. D'autre part, et surtout, Hervé Morin s'est fixé un objectif : "Je veux que les Normands deviennent aussi fiers de la Normandie que les Bretons le sont de la Bretagne !". D'où le livre qu'il vient de publier (1). D'où, surtout, les efforts de ce Girondin sincère pour valoriser le patrimoine immatériel de la région, et notamment sa langue.
Concrètement ? Un conseil scientifique et culturel a été installé ; un atlas linguistique est en train d'être réalisé ; les maires sont encouragés à mettre en place une signalétique bilingue et une (modeste) aide financière est allouée à la fédération des associations pour la langue normande (FALE).
Une lubie ? Pas du tout. La réunification de la région a visiblement entraîné le retour d'une certaine fierté normande. Et quand on est fier de son territoire, il est difficile d'avoir honte de sa langue. De fait, une réelle demande sociale semble se faire jour comme en témoignent la multiplication d'oeuvres littéraires et de chansons contemporaines ; la création d'une " fête des Normands " ; la relance des jeux normands ou encore le succès des "cafés normands", où locuteurs confirmés et moins confirmés se retrouvent dans une ambiance conviviale.
Tout cela suffit-il pour sauver une langue qualifiée de "sérieusement en danger" par l'Unesco? Sans doute pas. De fait, le nombre de locuteurs a atteint un étiage inquiétant. "On l'estime à 20 000, mais, en réalité, personne ne le sait car aucune enquête n'est menée", regrette Jean-Philippe Joly, actif président d'une association de jeux normands, chanteur et musicien lui-même (voir ci-dessous). Ce qui est certain, c'est qu'ils sont en général très âgés et que la transmission familiale est interrompue.
Conclusion ? L'avenir repose désormais sur l'enseignement et là, tout ou presque reste à faire. A l'heure actuelle, seul un collège propose des cours dans la région, et encore, de manière facultative. "J'ai 20 élèves en sixième à raison d'une heure par semaine et une dizaine en cinquième à raison d'une heure tous les 15 jours", précise l'enseignante, Marie-Claire Lecoffre. "On part de zéro ou presque, concède Hervé Morin, mais on avance. Je voudrais qu'à terme, la langue soit enseignée dans cinq collèges et deux lycées."
Si les moyens déployés sont encore insuffisants, la tendance est donc bonne... à ceci près que cela ne plaît pas à tout le monde. La rectrice de la région, Christine Gavini-Chevet, a ainsi interdit à l'enseignante du collège de Bricquebec (Manche) d'utiliser l'expression "langue normande" avec des arguments dignes du XIXe siècle (lire l'entretien ci-dessous). Et pourtant, ne lui en déplaise, le normand n'est en rien un simple "patois". Il n'est pas non plus une déformation du français. Scientifiquement, il s'agit d'une langue d'oïl laquelle, comme toutes les langues romanes, descend du latin. Une langue dotée qui plus est d'un passé prestigieux. Après la victoire de Guillaume le Conquérant lors de la bataille d'Hastings, en 1066, c'est en effet le normand - et non le français - qui est devenu la langue du pouvoir en l'Angleterre. "C'est la raison pour laquelle les Britanniques appellent leurs voitures des cars et non des chars. Le "ch" est typique du français alors que le normand préfère le son [k]", relève le linguiste Bernard Cerquiglini. Le normand dispose également depuis des siècles d'une oeuvre écrite. Il est enfin "langue officielle à Jersey, au côté de l'anglais et du français", comme le précise Sophie Poirey, maître de conférences en Histoire du droit, spécialisée en droit normand à l'Université de Caen-Basse-Normandie.
Autrement dit, il s'agit là d'un patrimoine de grande valeur qu'il est encore temps de sauver si on le veut. Mais madame la rectrice le veut-elle ?
(1) Je viens d'ici NORMANDIE, par Hervé Morin, photographies de Guillaume de Laubier, Editions des Falaises, 29 €
"CE SONT DES PATOIS, PAS DES LANGUES"
Le rectorat de Normandie est intervenu auprès du seul collège où est enseignée la langue normande. Pour lui interdire d'utiliser cette expression !
Dire que l'entretien qui suit est effarant est sans doute au-dessous de la réalité. Lorsque j'ai interrogé la directrice de cabinet de la rectrice de l'académie de Normandie, Brigitte Lacoste, pour vérifier quelques informations, je n'avais pas prévu de reproduire notre conversation. J'ai changé d'avis a posteriori tant ses propos me semblent révélateurs de la position de l'Etat et de la plupart de ses représentants (hormis au ministère de la Culture) à l'égard des langues dites régionales. A savoir : une méconnaissance sidérale du sujet doublée d'une indifférence totale à l'égard de leur probable disparition. Je ne crois pas exagérer en rappelant que la propagande coloniale usait des mêmes procédés pour déconsidérer les langues africaines, longtemps ravalées au rang de "dialectes". J'exagère ? Jugez par vous-même.
Est-il exact que le rectorat est intervenu auprès de l'enseignante de normand du collège de Bricquebec pour lui interdire d'utiliser l'expression "langue normande" ?
Oui. Un reportage sur le sujet était prévu et, comme cela se fait habituellement, le chef d'établissement nous a contactés pour préparer cette intervention. Nous lui avons expliqué qu'il ne fallait pas utiliser l'expression "langue normande".
Pour quelle raison ?
Les langues régionales sont officiellement répertoriées par l'Etat. Le corse en fait partie, le basque aussi, mais pas le normand. Il y a des parlers normands, mais ce sont des patois, pas des langues.
Quelle est la différence entre un "patois" et une "langue", selon vous ?
Euh... C'est une question de superficie ? De nombre de locuteurs ? A vrai dire, je ne suis pas du tout spécialiste du sujet.
Votre affirmation me surprend. A ma connaissance, le normand est bel et bien reconnu comme une langue par l'Etat depuis 1999, lorsqu'une liste officielle a été établie à sa demande par le professeur Bernard Cerquiglini au moment du débat sur la charte européenne des langues régionales et minoritaires...
Ah bon ?
Oui. Bernard Cerquiglini me l'a confirmé par téléphone, ainsi que la délégation à la langue française et aux langues de France du ministère de la culture...
(Un blanc) Ce que je voulais dire, c'est que le normand ne fait pas partie des langues régionales enseignées par le ministère de l'éducation nationale.
Vous n'avez pas dit cela : vous avez affirmé que le normand n'était pas une langue, mais un patois...
Je me suis mal exprimée... Je voulais dire qu'on ne peut pas utiliser l'expression "enseignement du normand" puisqu'il ne fait pas partie des langues régionales enseignées par le ministère de l'Education nationale. Il faut parler de "sensibilisation aux parlers normands", mais pas d'"enseignement de la langue normande".
L'enseignante est pourtant formelle : on lui a interdit d'utiliser l'expression "langue normande". Une version que confirme Hervé Morin, le président de la région...
C'est-à-dire... Il y a sans doute eu un malentendu.
Donc, l'enseignante et le chef d'établissement ont le droit de parler de "langue normande" ?
Oui, oui. C'est "enseignement" qu'il faut éviter. A défaut, on risquerait d'encourager des pressions politiques en faveur de l'enseignement de ces langues.
En quoi serait-ce un problème ? Le normand est qualifié de langue "sérieusement en danger" par l'Unesco et, selon les experts, seul son apprentissage à l'école permettra de le sauver...
Cela poserait un problème de moyens ; il faudrait former des professeurs, allouer des budgets ; ce n'est pas du tout la priorité.
Donc, on laisse ces langues mourir ?
Ce n'est pas à moi de répondre à cette question. Voyez avec le ministre...
Le ministre refuse de l'ajouter aux langues enseignées. Faut-il y voir une forme de réponse ?
Nous n'avons pas de consignes du ministre pour agir contre les langues régionales.
Avez-vous des consignes pour agir en leur faveur ?
Non plus. Il y a d'autres priorités.
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