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LES MARTINIQUAIS SONT-ILS DES CITOYENS DE NULLE PART ?

LES MARTINIQUAIS SONT-ILS DES CITOYENS DE NULLE PART ?

Ainsi donc, l’identité martiniquaise n’existe pas, et pas davantage la citoyenneté martiniquaise. Ces affirmations ne sont pas celles d’assimilationnistes nostalgiques ou de colonialistes d’un autre temps, mais bien les fortes pensées de deux mèt a maniok de l’intelligentsia martiniquaise. Doit-on s’attendre à de pareilles dénégations en direction de ceux qui se décernent des certificats de patriotisme martiniquais ? « Nous sommes des patriotes » : aucun grand clerc n’a songé, en effet, à dénoncer cette expression dont on se rengorge dans une société où la révolution n’est jamais qu’une affaire de mots et de postures. Le cafouillage observé lors de cérémonies officielles, entre le drapeau tricolore, le fanion aux quatre serpents, l’enseigne de la collectivité et la bannière noir-rouge-vert, sont à l’image du bégaiement de la pensée politique.

La notion d’identité martiniquaise est remise en question

Ainsi donc, dans son ouvrage intitulé « La dérive identitariste », Jean Bernabé apporte son éclairage sur l’usage, selon lui, inexact de la notion d’identité. Selon le professeur, il n’y aurait d’identité que rapportée aux individus, chacun ayant la sienne propre. Cette position met à mal la conception utilitaire qui fait de la prétendue identité martiniquaise un ingrédient indispensable au peuple et à la nation. Une identité contre et choisie : une identité contre celle qu’atteste l’état-civil français, une identité choisie qui procèderait de l’ascendance africaine, de préférence à toutes les autres : européenne, orientale, asiatique. Le professeur émérite aura du mal à convaincre de l’inexistence de cette identité collective à qui Garcin Malsa, jadis soutenu par les mousquetaires de la créolité, tente de donner de la consistance avec son drapeau, sa carte d’identité et son combat pour la réparation. En revanche, sa réflexion pourrait être bien reçue par les nouveaux Martiniquais et descendants non exclusifs de l’Afrique.

Raphaël Confiant pose la question : « "La Mère-Patrie", "Nos ancêtres, les Gaulois", "L'impôt du sang" etc.., ce n'était pas de l'identitarisme français, peut-être ? ». Contre question : ne sont-ce pas autant d’expressions de la dérive que dénonce Jean Bernabé ? Laissons les deux amis s’expliquer. Pour sa part, l’anthropologue Gerry Létang prête au retour du nomadisme le don de remettre en cause le mythe identitaire. Or ce nomadisme n’a jamais cessé en Martinique : le Martiniquais de 1848 n’était pas celui de 1492, celui de l’an 2000 n’est pas celui de 1900. En 2100, il ne sera pas plus et pas moins un descendant d’Africains que d’Européens, d’Indiens ou de bien d’autres ressortissants du monde. Cette identité évolutive, qui caractérise plus particulièrement les sociétés d’immigrants, relativise la notion de génocide par substitution qui a été empruntée à tort à Césaire.

« Sus à un imaginaire légitime de citoyenneté martiniquaise »

Et voilà que le tout récent ex-doyen de la faculté de Lettres se met à brocarder ceux qui se revendiquent de la citoyenneté martiniquaise. Ce n’est pas tant le ton ni le contenu de la réflexion, accessible à l’esprit commun, qui étonne que ceux auxquels elle s’adresse. « Cette expression [identité martiniquaise] n’est, dit-il, à bien regarder qu'une des multiples facettes du Compère-Lapinisme viscéral ou congénital de bon nombre de Martiniquais ». C’est en quelque sorte sa réponse au questionnement récurrent sur l’usage gourmand par ses amis indépendantistes de la carte nationale d’identité française. Les attributs de la citoyenneté française seraient couverts par un voile d’illégitimité que leur confèrerait le « fait colonial », de sorte qu’à la réalité vécue se substituerait un imaginaire légitime de citoyenneté martiniquaise. Pour l’écrivain, c’est une démarche de Compère-Lapin. Ce n’est pas la première fois que Confiant se met en travers des idées convenues, qu’il a parfois lui-même contribué à mettre en place.

Il appartiendra peut-être à un 3èmegran grek de démontrer que le terme patriote est tout autant inapproprié à la Martinique que les mots identité et citoyen. Ne sont-ce pas ces intellectuels qui ont accompagné et conduit les Martiniquais à mieux s’apprécier, certes, mais aussi à s’éblouir à l’idée de leur appartenance à une prétendue citoyenneté martiniquaise, une identité présumée et une patrie proclamée ? Ils ne sont pas dupes de leurs limites, sauf qu’en raison de leurs lauriers propres et grâce à l’auréole qui, depuis Césaire, entoure la littérature martiniquaise, nos écrivains sont comme d’une espèce protégée. Des icônes d’hier, ils ont hérité de l’interdiction, au plan local, de toute critique de leur œuvre. Encore moins lus dans leur pays que leurs maîtres et référents, ils collectionnent les mêmes congratulations, enregistrent les mêmes bravos et répondent aux mêmes courbettes.

Aussi, tout se passe aujourd’hui comme si, se sentant orphelins de la salutaire critique qui fait la grandeur de l’œuvre littéraire, les leaders de la pensée martiniquaise avaient décidé de troubler, eux-mêmes, cette atmosphère de « la Cour dort » qui les entoure.

Fort-de-France, le 8 juillet 2016.

Yves-Léopold Monthieux

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