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Les littératures ‘indocéanes’ : laboratoire et paradigme du bricolage générique et de la création littéraire

revel.unice.fr
Les littératures ‘indocéanes’ : laboratoire et paradigme du bricolage générique et de la création littéraire

Lorsque la Critique rassemble les pans de littératures ‘indocéanes’ francophones de Madagascar, de Maurice et de La Réunion autour du genre littéraire, l’accent est mis sur la poétique particulière qui s’y découvre, signe d’une affirmation identitaire spécifique. Cet éclairage nous semble réducteur. Ces littératures se caractérisent en effet par des configurations romanesques analogues, qui recyclent le passé insulaire, ses genres, au sein de textures composites. La mise en archipel de leurs textes contemporains est donc possible, si l’on y ajoute des formes malgaches anciennes et méconnues, qui métissent également des traces génériques hétérogènes. Son hybridité complexe, au passé comme au présent, permet de questionner la généricité qu’élaborent les littératures ‘indocéanes’; de transposer au genre les notions de créolisation, de bricolage ; et de questionner l’éclairage particulier que ces champs dits mineurs, périphériques,peuvent apporter à la compréhension du genre littéraire et de son fonctionnement.

1La critique ne réunit que rarement1 les champs littéraires francophones ‘indocéans’ de Maurice, de La Réunion et de Madagascar2. Lorsqu’elles sont rassemblées autour de la question du genre littéraire, les littératures des deux premières îles sont généralement analysées à l’aune de la créolité – tantôt assumée et revendiquée par les auteurs mauriciens et réunionnais, tantôt au contraire rejetée. Le champ littéraire de la troisième île est souvent mis de côté et rapproché3 des francophonies africaines. De part et d’autre, l’accent est mis sur une poétique particulière – parfois créolisatrice – spécifiquement insulaire. L’émergence de cette esthétique francophone nouvelle est perçue comme le signe d’une quête et d’une affirmation identitaires. Le mot qui revient est ‘postcolonialité’, au sens où Jean-Marc Moura4, qui définit l’adjectif ‘postcolonial’, en signalant que l’absence du tiret entre les deux termes formant le mot (‘post’ et ‘colonial’), désigne des stratégies d’écriture voulant déjouer la vision coloniale. Intéressants, ces éclairages tendent cependant à enclaver les littératures de l’Océan Indien, ne les caractérisant que comme littératures ‘mineures’ (« […] f[aites par des] minorités […] dans une langue majeure5 », et donc « de moindre importance, secondaires6 ») : comme des périphéries d’un centre, en quelque sorte, contre les normes duquel s’ériger.

2 Une mise en relation des trois champs littéraires – et donc de leurs terres natales, fragments de Lémurie – est cependant envisageable, voire incontournable. Cette « indocéanité7 » rime avec ressemblances et correspondances de ces littératures, au-delà de leurs spécificités irréductibles. Comme nous le verrons à travers des textes d’Ananda Devi, de Raharimanana et d’Axel Gauvin8, figures représentatives des nouvelles littératures australes, les romans francophones des trois îles se caractérisent en effet par une configuration particulière de l’écriture romanesque, qui recourt constamment au genre autobiographique et aux traces du passé, afin de figurer une mémoire insulaire lacunaire, blessée.

3Se référant explicitement, ou non, à des légendes, des mythes, des documents historiques, les auteurs vont jusqu’à en intégrer des extraits dans leurs récits. Le Genre littéraire qui en résulte se caractérise donc par son aspect composite et voulu. Comme la mère que met en mots Devi dans « Afin qu’elle ne meure seule9», déclarant à ceux qui, enfermés dans une tour, rétifs au changement et en voie d’extinction, renient et veulent tuer son enfant :

La langue qu’il connaîtra sera […] celle que je lui aurai insufflée par ma voix et par mes chants, par les plus belles phrases de la poésie, par l’amour que je lui porte et par la vie que je lui donne. [I]l la rendra au monde pour qu’à travers lui s’entendent les échos d’autres langues et leurs cadences10,

4les écrivains affichent leur désir de dialoguer avec les sources dont ils disposent, les genres, les textures. Ils effectuent ainsi un tissage multiforme des références, qui vont de l’oralité traditionnelle ‘indocéane’ à l’Histoire, en passant par le Mahâbhârata et le Coran. Ces mélanges de référents font également intervenir des genres méconnus, tels que les sorabe11, unique littérature ancienne de Madagascar et Tantaran’ny Andriana12, somme de tantara ou ‘formes narratives en prose qui incluent des parties chantées’, recueillie au XIXe siècle.

5Mise en évidence des rencontres culturelles hétérogènes qui ont fondé les insularités ‘indocéanes’ et reflet du réel des trois terres, le genre littéraire dévoilé par le corpus rime avec unité dans la pluralité et complexité. Les textes contemporains sont en effet discontinus, constitués de traces génériques métissées.

6Que signifient ces reconfigurations systématiques des genres traditionnels ? Sont-elles à ne considérer que sous les angles de la créolité et de la francophonie négro-africaine, de la postcolonialité, donc ? Ne sont-elles pas ainsi réduites au sens unique d’un signe de refus de la pensée systématisante occidentale, de ses théories et de leurs principes, qui riment avec cadrage et organisation ? Au rebours de toute construction rationnelle et continue, les genres littéraires qu’élaborent les auteurs contemporains à base de traces génériques mêlées, semblent abonder dans ce sens. Aménager autrement les outils consensuels apparaît comme le désir d’une poétique qui puisse lire et dire l’île de façon native… Ces réinventions génériques sont-elles donc à ne considérer que comme une singularité des espaces littéraires insulaires, francophones, contemporains ? Dès les XIIIe-XVe et au XIXe siècles, les sorabe et Tantaran’ny andriana superposent et entrelacent les genres canoniques. Les notions, plus haut citées, de créolité, d’insularité et de postcolonialité, généralement convoquées pour décrire la rive poétique nouvelle vers laquelle convergent les littératures émergentes de l’Océan Indien, semblent donc à interroger.

7Comme les analogies notées entre textes anciens et contemporains semblent l’indiquer, le genre littéraire est-il à penser hors des grilles de lecture de l’Histoire13, des histoires littéraires et de leurs catégories ? Le champ qui nous occupe et, par extension, les littératures francophones et émergentes, constituent-ils donc une porte d’accès privilégiée sur une appréhension nouvelle de la notion de genre et une compréhension des processus qui lui donnent naissance ? En un mot, quelle contribution un champ littéraire ‘mineur’, ‘périphérique’, est-il susceptible d’apporter à l’étude de la généricité ?

8Les analogies constatées entre sorabe, tantara et romans permettent donc de partir du constat d’une convergence de certains textes mauriciens, réunionnais et malgaches, vers une norme générique particulière (mêlée) et d’étendre notre investigation aux formes malgaches anciennes méconnues, dont les romans se souviennent de diverses manières. Les écrivains soumettent en effet leurs textes et protagonistes à de constants retours dans le passé insulaire14 et rappellent avec insistance l’existence de ces archives et la nécessité d’y recourir. Ces documents anciens, qui ont eux-mêmes des référents pluriels, permettent d’élargir les perspectives en plaçant cette étude de la généricité dans une diachronie.

9Le corpus primaire se compose donc des textes contemporains cités et du premier tome de Tantaran’ny andriana (l’« Histoire des rois15 » traite de l’installation des premiers royaumes de l’Imerina, région de la partie Nord du centre de l’île), des Manuscrits 7 et 8 du fonds arabico-malgache de la bibliothèque nationale de Paris16 (du XVIe siècle, dédiés à la religion, à l’astrologie et à l’art divinatoire17), ainsi que des Pages arabico-madécasses : Histoire, légendes et mythes18 (du XIIIe siècle, qui traitent de l’installation des premiers musulmans en terre malgache). De nombreuses pages de Nour, 1947 s’y réfèrent en effet et sont reprises, parfois mot pour mot ou complétées, par le roman suivant de Raharimanana. L’Arbre anthropophage commence ainsi par un rappel du sort réservé aux premiers autochtones présumés de Madagascar. Cette évocationfait écho à Tantaran’ny andriana19, qui traite de ces Vazimba refusant de s’intégrer aux premiers royaumes, massacrés et bannis des généalogies, puis récupérés par la Tradition orale20. Plus loin, le narrateur évoque la « Réalité confisquée21 » que représentent les sorabe sacrés. Exclusivement réservés à un usage religieux avant qu’un scribe n’utilise la « grande écriture » pour transcrire les événements importants de son clan, ces manuscrits – exposé de la religion des descendants des migrants musulmans qui ont peuplé le Sud-Est malgache, historique de l’évolution de leurs croyances et rites, condensé de leur Histoire – sont en effet sacrés, interdits donc, et méconnus, même sur l’île.

10Les récits, dans Nour, 194722, du voyage qui a amené les premières strates de migrants musulmans et islamisésjusqu’aux rives malgaches, en sont extraits. Insérés dans la trame de ce premier roman de Raharimanana, ces pans de passé sont repris, complétés, lorsque le narrateur de L’Arbre anthropophage découvre le livre23 du fils d’une lignée gardienne de textes sacrés, qui traite de cette même traversée océane.

11Cet ensemble de textes dévoile donc des littératures australes dont la spécificité, l’homogénéité paradoxale, consiste, selon le mot d’Édouard Glissant, en une mise en Relation institutionnalisée dès les textes anciens, de traces génériques hétérogènes.

Une généricité ‘indocéane’ à l’homogénéité paradoxale. Dès les textes anciens, un ‘bricolage’ de traces hétérogènes

12Comme, sous le nom de sorabe et de tantara, les documents anciens mêlent différents référents, les romans se caractérisent par une unité dans la pluralité, une tension entre leur appellation unifiante et les métissages d’éléments génériques résiduels et hétéroclites qui les constituent.

13Dès les appellations traditionnelles, le mélange est signifié. Sorabe, ‘la grande écriture’ (comparés aux lettres romaines, généralement plus petites, les caractères arabes, avec leurs signes diacritiques au-dessus et au-dessous, sont ‘grands’), désigne l’écriture arabe adaptée à la langue malgache, une écriture phonétique par laquelle les scribes de l’époque rendaient les sons du dialecte parlé, adaptant la langue arabe au malgache d’alors. Le terme tantara dit également le métissage puisqu’il désigne, nous l’avons souligné, un genre narratif en prose, incluant des parties chantées. Au-delà, le contenu de ces textes ‘créolise’ également différentes traditions.

14Hybrides, les manuscrits religieux 7 et 8 se composent ainsi de textes empruntés au Coran et à l’eschatologie musulmane. Le scribe y paraphrase longuement des versets ayant trait au Paradis et à l’Enfer, aux caractéristiques du Ramadan24. Ces feuillets s’entrecoupent de vocabulaire, d’exercices d’écriture sorabe, entremêlés de formules magiques, de pages énumérant les noms d’Allah ou dédiées à l’astrologie.

15De la même manière, Histoire, légendes et mythes mêle historique, légendaire et mythe fondateur. Le récit traite, nous l’avons dit, des impressions mitigées de Ramakararobe, migrant arrivé de la Mecque. L’Histoire se mâtine de surnaturel quand, pour dompter les autochtones rétifs, un talisman de guerre est utilisé. Plus loin, la trame historique est de nouveau entrecoupée par la Tradition orale : une hydre à sept têtes25 est terrassée par Ali, fils de Ramakararobe et avatar d’Hercule, grâce à la ruse et aux envoûtements.

16Tout en affirmant qu’ils ne relatent que des « histoires vraies » (tantara s’oppose en effet à tafasiry, qui désigne de ‘pures inventions’, des ‘fictions’), les récits de Tantaran’ny andriana entremêlent également l’Histoire de l’établissement des premiers royaumes de l’Imerina, des traces de légende et de mythe, entrecoupées d’anecdotes expliquant des us, coutumes et croyances malgaches. Revenant sur la pacification des Vazimba ci-dessus évoqués, les narrateurs conteurs y défont la proto-Histoire. Dès le premier chapitre de cet ouvrage historique sous-titré « Temps fabuleux », le doute est semé, les genres mêlés. Sous-entendant qu’il n’y aurait peut-être que légende dans ce que propagent les rumeurs26, les narrateurs objectent cependantque l’existence des proto-Malgaches est attestée par la tradition orale, les proverbes et coutumes des Hauts-plateaux de l’île. Les textes s’attardent sur ces sources et en insèrent des exemples dans la trame historique. Bannis des généalogies, les Vazimba s’y voient réintégrés grâce à un détour par le surnaturel. Recréés par l’Imaginaire malgache, ils sont réincarnés en ondines et en géants mythiques fondateurs de lignées27. D’autres pages28 les transmuent en esprits errants exigeant offrandes et sacrifices d’animaux… Lorsque le récit relatif à l’Institution de la royauté en Imerina reprend, il est de nouveau entrecoupé de chants, proverbes, pages dédiées à l’astrologie, aux techniques divinatoires29. Comme ceux des tantara, les scribes d’Histoire, légendes et mythes se présentent comme des transcripteurs de parole30. La fusion d’oralité et d’écriture qui les caractérise s’ajoute au fait que les sorabe sont un mélange de langues, signifié par leur appellation (voir la note 10) et leur représentation. Les textes bilingues sont rédigés en arabe et traduits de façon linéaire, au-dessus du texte arabe, en ‘arabico-madécasse’.

17Les romans de Devi, Gauvin et Raharimanana déconstruisent et enchevêtrent également les genres canoniques. Trace de l’oralité traditionnelle ‘indocéane’ et des retranscriptions de récits oraux que constituent, nous venons de le voir, les formes malgaches anciennes, ces textes contemporains s’ancrent profondément dans les configurations traditionnelles de l’oralité australe, qu’ils tendent à exprimer à travers l’écriture. Cette dernière mêle ainsi « oraliture31 » et « mélangues ». Écrit et oral y fusionnent. Le français s’y mêle aux traces des langues maternelles des écrivains. L’Arbre anthropophage résume ainsi l’esthétique vers laquelle tendent les auteurs : « Il s’agit de réaliser la rencontre […] entre les civilisations du livre et de l’oralité », souligne le narrateur, rappelant le rôle que confère la tradition malgache à l’écriture, sacrée. « Écrire, c’est transcrire et […] sauvegarder les origines des choses et des êtres32 », note-t-il. Un rôle que semblent vouloir, par le biais de la fiction, prendre en charge les romans du corpus. Tous entrecoupent en effet leur trame de pans entiers d’« héritages de l’ouïe33 », du dire insulaire originel.

18Les différents romans apparaissent ainsi comme autant d’écritures de l’immédiateté, à l’énonciation particulière, caractérisée par « [de] brusques retours de tons, la rupture continue du récit et ses “déports” [incessants], accumul[és]34 ». Les récits s’appuient en effet sur une narration introspective qui, se voulant spontanée, va au gré des mouvements de la conscience des protagonistes. Lieu de confrontation entre diktats sociaux, raison, désirs et peurs, les dialogues des différents narrateurs avec eux-mêmes entrecoupent ainsi, au fil des romans, le récit proprement dit. Les pensées torturées de l’amant de Nour, 1947 scandent ainsi tout le roman, long monologue fait de complaintes, de pleurs, de prières et de méditations sur le passé malgache35. Les murmures, cris et hurlements de l’« île intérieure36 » des insulaires nous sont livrés à nu, à vif, loin de la censure sociale.

19La linéarité des récits se laisse également perturber par les réminiscences et les hallucinations qui surgissent fréquemment et happent les personnages, aussi bien que par les dialogues qu’ils ont alors. Anjali est ainsi « […] capturée par un pan de passé », lorsqu’elle voit sa cousine Vasanti, morte, nager et lui demander de la rejoindre37.

20Se retrouvant à travers les différentes formes du discours, l’oral est également omniprésent au cœur des récits. Un travail est effectué sur le lexique, où oralité et écriture sont fondues l’une dans l’autre. S’efforçant de retranscrire les particularités, grammaticalités, poésies, accents des oralités malgache, mauricienne et réunionnaise, surenchérissant parfois sur elles, les auteurs textualisent les univers représentés dans le respect des mots de ceux-ci, des lexiques, rythmes et autres spécificités qui les caractérisent. Ces mots sont pris en charge par certains protagonistes. Ceux de Benja, passeur de parole mis en scène par Raharimanana, s’apparentent ainsi à ceux des griots lorsque, se souvenant de son grand-père38, le frère de Nour psalmodie, répète le prénom de l’aïeul, tout au long d’un récit quasi-hypnotique, comme ceux des conteurs malgaches traditionnels. Ailleurs, des extraits de hainteny ou ‘art de la parole’, d’ohabolana ou ‘proverbes’, de sôva ou ‘chants par l’absurde’, sont livrés tels quels et traduits, après une explication de leur teneur39.

21Nous ramenant à la « stratégie du recours et du détour » évoquée par Lise Gauvin à propos des littératures francophones40, les romans vont « […] de la transgression pure et simple à l’intégration dans […] la langue française, d[e] procès de traduction ou [de] substrat[s] venu[s] d’autres langues ». Des expressions et du vocabulaire malgaches, indiens, créoles mauricien et réunionnais, viennent ainsi s’insérer dans une langue d’écriture française inapte à exprimer certaines réalités insulaires. C’est en anglais que l’époux d’Anjali tente de raisonner son épouse, commençant ses plaidoyers par « You see, my dear […]41 » ; en créole, que le prêtre hindou, appelé par sa belle-famille, veut la convaincre d’effectuer la marche sur le feu42. Des mots indiens disent, eux, kala pâni, « l’eau noire de l’océan » qu’ont traversée les jahaji bhaï ou « frères de bateau », coolies, pour naître à leur condition d’insulaires, d’engagés dans les plantations mauriciennes43.

22Raharimanana, lui, commence L’Arbre anthropophage par une traduction du terme fady, « interdit » et par une méditation sur divers tabous de l’île, qui constituent autant de pans de passé malgache « confisqué[s]44 », méconnus des fils de cette terre. Les pages de Gauvin fourmillent, elles, de tout un lexique créole réunionnais. L’Aimé et Quartier-trois-lettres sont nourris d’insularité réunionnaise grâce à la créolisation de termes français, au décalquage de tournures syntaxiques ou à l’intégration non marquée, dans le texte, de références à la prononciation créole. Loin d’une diglossie textuelle, d’une reproduction mimétique de la diglossie sociale mise en scène par ses romans, l’auteur de l’essai Du créole opprimé au créole libéré45 crée une parole hybride, un compromis entre français et créole, qui se mêle au recours à un vocabulaire autre, comme les mots malgaches dont se souvient le vieux Bénard qui songe, par exemple, à ses années passées à Madagascar et à « l’oiseau géant, le vorom’bé, comme on dit dans l’Androy. Vorom’bé […] !...46 »

23Mais l’oral et l’écrit mêlés, les ‘mélangues’, ne sont que quelques formes parmi les imbrications génériques complexes qu’opèrent les romans. La trame de ces derniers est sans cesse entrecoupée d’éclats de parole insulaire issus aussi bien de l’oralité « [p]ourvoyeuse de contes, proverbes, […], comptines, chansons…47 », de mythes et légendes, que d’écrits anciens, littéraires ou non. Ces pans de littératures ‘indocéanes’ contemporaines se donnent donc à entrevoir comme des lieux de (re)mise en scène du dire insulaire, sous toutes ses formes. L’obsession que ressassent les narrateurs de Raharimanana de « Tout transcrire… Des murmures arrachés au vent. Des chuchotements […] de sous la pierre. [D]es héritages de l’ouïe, quand des origines ne se délivrent qu[e] résonance incertaine […]48 », semble résumer « L’Intranquillité49 » que re-présentent les différents romans. Quartier-trois-lettres est ainsi entrecoupé de rites discursifs où l’oralité traditionnelle est reine. Durant une veillée funèbre50, un personnage se souvient de mythes réunionnais. Un second pose des énigmes et des devinettes créoles. Les romans apparaissent ainsi comme de véritables archipels où les traces génériques hétéroclites sont « mises en relation51 », raboutées, emmêlées. Le récit évoqué plus haut, de la traversée océane des migrants musulmans dans Nour, 194752, commence par un rappel des histoires retranscrites par les sorabe. Cette digression s’insère au milieu d’un monologue du narrateur sur l’histoire non écrite de sa terre dont le cours a été faussé par la colonisation. Cette méditation, qui relève à la fois de l’essai et du journal intime, découle d’une description de la décomposition du corps de Nour. Ce pan de roman est coupé par une hallucination : un appel de Dziny, chant et ombre d’une ondine Vazimba qui hante l’amant endolori. L’évocation de ce fragment de mythe débouche sur le souvenir de Noro, de la ‘lumière’ qu’était son amour…

24En un mot, la poétique que dévoilent tant les textes anciens que les romans du corpus, est synonyme d’éclatement des genres canoniques traditionnels, de créolisation, de bricolage des traces de ceux-ci.

25Caractérisée, dès les textes du XIIIe siècle, par une tension entre volonté unifiante et « mise en relation » d’éléments hétérogènes selon une logique analogique, symbolique, la généricité ‘indocéane’ apparaît comme cette Introduction à une poétique du divers que revendique Glissant53. Les textes du corpus intègrent en effet dans les codes de l’œuvre littéraire des références qui renvoient à des systèmes de représentation autres et apparaissent comme des aires de « rencontres [entre] éléments [génériques] divers [qui] s’imbriquent pour donner quelque chose d’absolument imprévisible54 ». Ce caractère « imprévisible » nous ramène au « mouvement incident » que signifie le sens ancien du verbe ‘bricoler’ qu’évoque Claude Lévi-Strauss, lorsqu’il décrit La Pensée sauvage55. Une transposition de la notion de ‘bricolage’, synonyme, ici, de créolisation, à la question du genre littéraire, semble possible. Comme la « pensée sauvage », mythique, élabore des ensembles structurés en utilisant des « bribes », des « fragments », les textes du corpus font « aller ensemble56 » des traces génériques : paraphrases de Coran, extraits de documents historiques, de carnets de bord de missionnaires ou de journal intime d’écrivain, les pages religieuses des sorabe ou les débris génériques qui constituent les romans, disent la dislocation des genres premiers. Ceux-ci ne demeurent que sous forme d’extraits ou, selon le mot de Boris Tomachevski de « traits de genres57 ». Cette poétique du débris omniprésente dans les sorabe, Tantaran’ny andriana et les romans est en quelque sorte mise en images dans Nour, 1947, lorsque le narrateur se précipite dans un bûcher allumé par ses amis insurgés, désireux de se débarrasser des moindres traces du passage des missionnaires. Il en sauve des restes58 des carnets de bord de 1723, du père Herbert, qu’il découvre et insère ainsi dans la trame romanesque.

26Cette récupération et cette réélaboration de traces qu’effectuent les auteurs du corpus, dévoilent leur démarche comme rétrospective et déviante.

Une poétique de l’écart et de la dérive. Le genre littéraire ‘indocéan’, « île déserte », « origine seconde »

27Pour choisir les genres qui leur ont permis d’élaborer leurs textes, les auteurs des sorabe, des tantara et les écrivains, bricoleurs, se sont « […] retourn[és] vers un ensemble […] d’éléments [génériques] conçu[s] pour [un] usage [autre]59 », qu’ils ont détournéde leur signification première60.

28Initiée et érigée en topos par le mélange de genres, la déviance que dévoilent les textes anciens et contemporains du corpus à l’égard des codifications génériques est polymorphe. C’est en s’érigeant contre la règle qui ne consacrait l’écriture qu’à la sphère magico-religieuse, que les sorabe se sont faits pans d’Histoire, légendes et mythes. De la même manière, les mots de Raharimanana à propos de sa langue d’écriture inapte, souligne-t-il, à dire sa terre natale et « refus[ant] de se figer pour redevenir parole61 », peuvent s’appliquer au genre littéraire. Les auteurs du corpus font en effet « prendre des détours » à ce dernier, le font « passer par d’autres voies62 ». Comme la langue française dite par l’écrivain malgache dans « Le creuset des possibles63 », le genre littéraire est ici « [t]ordu […] par toutes les rencontres[,] les pensées [et les cultures] qui se croisent et se décroisent, […] couch[é] sur la feuille et […] réinvent[é], en présence de tou[s les genres]64 ».

29Dans Le Voile de Draupadi, Anjali et sa cousine Vasanti apparaissent ainsi comme une scission de Draupadi, figure du Mahâbhârata que Devi éparpille en plusieurs images qui disent le Mythe autrement. La configuration complexe du roman mêle, démêle et mêle de nouveau l’histoire des deux jeunes femmes mauriciennes, de références qui renvoient tant à la déesse du Mahâbhârata que réinterprète Anjali65, qu’à une tradition populaire indienne revisitée par la culture mauricienne, où Draupadi est une déesse villageoise destructrice. Fascinante jeune femme perdue dans un mysticisme fou qui finit par la mener au sacrifice par le feu et à la mort, Vasanti en réinvente la figure. Le rite de la marche sur le feu, dont le voile translucide qui recouvre les braises est appelé « le voile de Draupadi », renvoie dès le titre du roman, tant au mythe qu’à la déesse de la tradition populaire.

30Faisant donc quitter le chemin tracé et aménagé aux genres qu’ils retravaillent autrement, les faisant évoluer hors des sentiers battus66, les auteurs du corpus s’érigent contre la norme et tendent à faire de la déviance que découvrent leurs textes un synonyme de ‘défiance’. La poétique à l’œuvre dans le corpus apparaît ainsi comme celle du détour, de l’écart, par rapport à la norme générique vue comme institution. Le ‘bricolage’ des genres canoniques se laisse ainsi lire comme une dérivepar rapport au savoir générique imposé par la tradition. Venant du latin derivare qui signifie67 ‘détourner un cours d’eau’ (revus, ‘ruisseau’) ou ‘faire dériver, éloigner des rives ou du rivage’, ‘dériver’, c’est à la fois ‘quitter la rive’ et, à l’inverse, ‘dépasser les bornes’, les ‘transgresser’, comme le ferait un fleuve en crue dévié de son cours. Tendant en effet à signaler une invalidité ou un refus de toute configuration consensuelle des savoirs établis, le ‘bricolage’, la ‘créolisation’ effectués dans nos textes signifient la volonté, voire la nécessité, d’expérimenter une réalité générique qui semble aller à la dérive, vers le chaos, vers l’éclatement, mais qui rime avec possibilité de recommencement et de transformation.

31Le corpus se laisse ainsi lire comme un condensé, un accéléré, de l’Histoire du genre. Iconoclastes et polymorphes, les ‘créolisations’ génériques opérées par les textes tendent en effet à signaler les impasses théoriques et pratiques du formalisme textuel : ce refus des catégorisations est signifié lorsque les sorabe religieux quittent le domaine sacré pour l’historique profane, passant d’un procédé obligatoire à un procédé interdit, ou lorsque Raharimanana introduit dans ses romans des tranches de sorabe sacrés.

32Mais si les textes invalident le genre comme, selon le mot de Tomachevski, « procédé canonique traditionnel, stéréotypé [et] obligatoire68 », leur multigénéricité invalide également la théorie de Maurice Blanchot sur la mort du genre. Elle présente ce dernier comme une pratique indispensable, à condition d’être réinvestie autrement. Nous songeons à la déterritorialisation qu’évoquent Gilles Deleuze et Félix Guattari, concept qui désigne le mouvement de ‘déclassification’ qui libère les ‘territoires’ de leur définition conventionnelle et leur donne une autre vie.

33La réinvention systématique des formes traditionnelles dans le corpus donne à entrevoir le genre comme cette île dont traite Deleuze. Continentale ou originaire69, elle est fondamentalement ‘déserte’. L’homme ne peut en effet l’habiter que grâce à un oubli de l’origine. Sa double nature géographique s’accompagne, note l’auteur, d’une double nature de l’imaginaire qu’elle suscite. Lieu terminal, de séparation d’une unité pré-existante et de naufrage, elle peut être recommencement, origine seconde, à condition de renoncer aux notions de certitude, d’unité et de figement. Les auteurs du corpus se dévoilent donc comme résolument post-structuralistes, post-formalistes avant la lettre.

34Témoins d’un passage du genre paradigmatique à la « généricité » et à ses « effets70 », les textures métissées créées tendent à signifier une conception dynamique, modelable et ouverte du genre littéraire, redéfini loin des étiquettes qui tentaient d’en faire une entité cloisonnante. L’omniprésence d’éléments de l’oralité fait des textes, selon le mot de Tzvetan Todorov, un écho de tous les « possibles du discours71 ». Elle tend à justifier que « tout texte participe d’un ou de plusieurs genres », comme le propose le philosophe de la déconstruction72. Les allers-retours des romans entre leurs référents signalent en effet la « fin de l’appartenance » aux catégories qui, comme le souligne Jacques Derrida, permet une labilité particulière aux jeux intertextuels. Au sein de ces derniers, les traces reliées apparaissent comme autant de « potentialités génériques73 » qui traversent les récits et laissent l’interprétation ouverte, sans rien changer au sens ou à la trame. « Je demande au lecteur étranger de faire le pas […], d’entrer dans le pacte de lecture […] selon mes règles, […] d’accepter que certains aspects lui soient étrangers. [C]ela ne l’empêchera pas de suivre le parcours du roman74 », déclare Devi.

35Notre champ d’étude ouvre donc infiniment la notion de genre sur les autres univers textuels, ainsi que sur celui du lecteur, qui fait lien entre les différents univers référentiels et apparaît pleinement comme acteur, dans un échange avec l’auteur.

36À propos de ce dernier, il semble possible de parler de ‘surconscience générique’, en transposant aux genres la notion qu’utilise Lise Gauvin75 pour caractériser les écrivains des littératures mineures, dont chaque représentation langagière est, souligne-t-elle, un « acte de langage » systématique. Impliquant une autre forme de ‘surconscience’ générique (de ‘savoir’, de connaissances théoriques et pratiques des auteurs à propos de la généricité, que (dé)montre la dextérité des bricolages observés dans les textes), l’instrumentalisation du genre, comme prise de position, est présente dans notre corpus.

37Le parti pris d’auteur s’y fait en effet revendication esthétique. Mettant en scène76 un insulaire désancré à la mémoire tronquée, les textes tentent de représenter le passé collectif, ses failles à assumer et ses richesses à considérer, afin que l’îlien puisse s’enraciner et être, au sens plein du terme77. Les écrivains du corpus y effectuent un travail de mémoire78, au sens où l’entendent Paul Ricœur et la psychanalyse79, qu’ils associent à leur reconfiguration particulière de l’écriture romanesque. Cette volonté omniprésente de recyclage du passé insulaire à la lumière des problématiques ci-dessus citées, et les allers-retours incessants entre le passé, le présent insulaire et leurs différentes formes génériques, expliquent le caractère composite du genre dans les romans et dévoilent que, comme ils « pense[nt] la langue80 », les écrivains qui nous occupent pensent également le genre littéraire.

38Les références constantes aux formes malgaches, anciennes ou contemporaines, affichent le désir de Raharimanana de figurer et de tâcher de combler, fût-ce par la fiction, une mémoire malgache lacunaire. Rappel de la nécessité de lutter contre l’oubli mortel81, rappel également des traces qui constituent le seul avoir historique disponible sur les terres australes, la généricité de nos textes se laisse lire comme un doigt pointé vers de consciencieux archivistes, gardiens de mémoire îlienne. L’omniprésence d’une oralité créole polymorphe figure l’engagement de Gauvin pour un (ré-)enracinement dans l’identité réunionnaise et sa richesse. Le mythe de Draupadi et les rites qui y sont attachés, retravaillés par Devi, représentent l’image mortifère d’origines indiennes qu’il convient d’assumer et de dépasser afin de trouver, comme Anjali et Aeena à la fin des deux romans, sa place réelle en terre mauricienne.

39Mais les romans ne peuvent être cantonnés à ce rôle d’outil de réhabilitation et d’affirmation identitaires. Contre toute tentative d’assignation à résidence, Devi « […] fai[t] le pari de l’universel à partir du local. [L’auteure fait] le pari que les sentiments humains sont les mêmes partout, et que le cadre et le contexte […] structurent le récit, mais dont le sens est peut-être saisi sans eux82. Les auteurs du corpus font en effet rimer bricolage et créolisation génériques avec aires de liberté. Le mot est lancé. ‘Sur-conscience’«  veut ici également signifier un au-delà du conscient. Certains éléments peuvent être mis bout à bout et analysés.

40Œuvre d’auteurs bricoleurs, la littérature s’insère « entre la connaissance scientifique et la pensée magique83 », dans cet espace intermédiaire au cœur duquel les auteurs élaborent des « objets de connaissance » avec des moyens d’artisan, note Lévi-Strauss, qui définit ce lieu particulier par le mot « Art ».

41Signifiant, nous l’avons noté, un « mouvement incident » et donnant, selon Glissant, une résultante « imprévisible » qui, souligne l’auteur de La Pensée sauvage, suscite inexplicablement une « émotion particulière84 », le ‘bricolage’ apparaît donc comme un espace-temps privilégié, où s’exprime ce pan d’humain, de soi, que le bricoleur laisse toujours dans son projet85. Ce dernier, nous dit encore Lévi-Strauss, est initié par une sorte de « dialogue » qu’entame le bricoleur avec les éléments de son répertoire, dont il « interroge les significations86 ». Ces mots nous font songer à ceux de Jean-Michel Adam et Ute Heidmann, qui signalent que « l’identification d’un genre n’est pas un raisonnement abstrait, fondé sur le repérage d’ensembles de propriétés définies ». La « reconnaissance générique », soulignent-ils, rime plutôt avec « regroupement par air de famille », « intuition87 ».

42‘Sur-conscience’ veut donc, ici, également désigner le caractère imprédictible de cette alchimie particulière, que Lévi-Strauss appelle « la poésie du bricolage88 ». L’auteur de La Pensée sauvage nous ramène là encore à Glissant qui pose la poésie comme pensée de l’imprévisible89. Les réinventions génériques auxquelles s’essaient les textes nous ramènent à l’étymon poïésis, qui désigne le ‘travail de l’artisan, de l’artiste’, de re-création.

43Si l’on pousse plus loin le parallèle entre bricolage, créolisation et les déductions de Lévi-Strauss et de Glissant lorsqu’ils explicitent ces notions, les littératures ‘indocéanes’ tendent à se laisser entrevoir comme un champ littéraire laboratoire et paradigme du bricolage générique et, donc, du processus de re-création littéraire.

Une ‘indocéanité’ littéraire laboratoire et paradigme du ‘bricolage’ générique et du processus de re-création littéraire

44Dans la première partie de notre propos, nous avons noté l’audace croissante des enchevêtrements génériques opérés par les auteurs, dont les romans reprennent des motifs – voire parfois des pages entières – de leurs textes précédents, ainsi complétés et enrichis. Nous avons également relevé leur volonté affichée de re-travailler les genres canoniques. Ces différentes tentatives tendent à dévoiler leur poétique comme celle de l’essai, répété. Les littératures ‘indocéanes’ se laissent donc entrevoir comme des lieux de recherche, d’expérimentation. Chaque texte apparaît comme une table de laboratoire et le creuset d’une opération alchimique particulière. Notre champ littéraire consiste en effet en ce que Lévi-Strauss appelle « modèle réduit90 » et apparaît comme tel : des littératures mineures, des champs littéraires francophones émergents, du ‘centre’ que réfute Pour une littérature-monde ; et de la Littérature tout court.

45En tant que tel, l’espace littéraire qui nous occupe permet un renversement, une inversion totale du procès habituel de la connaissance91. Représentant une littérature à son commencement92, les textes anciens et les romans du corpus apparaissent comme la fabrique d’une littérature nouvelle etde ses genres ; comme un ventre, une matrice du Littéraire.

46Glissant présente les terres antillaises et leur histoire récente comme des espaces privilégiés d’observation de cet « enjeu entre les cultures du monde, [de] ces […] luttes, ces harmonies, […] entremêlements93 ». Il semble possible là encore, d’effectuer une transposition et d’entrevoir les terres ‘indocéanes’ issues du même processus avant la lettre, ainsi que leurs littératures, comme des tables d’un laboratoire ouvert sur les diverses modalités réalisées ou virtuelles, du processus de ‘créolisation’, de ‘bricolage’, de rencontres culturelles, génériques et, au-delà, de la création – de la re-création – littéraire. Les nouveauté et contemporanéité avancées, des ‘bricolages’ génériques observés, se voient donc interrogées. La ‘créolisation’, le ‘bricolage’ des genres sont effectifs dès le XIIIe siècle. Comme les romans contemporains, les textes anciens consistent, nous l’avons dit, en une création réalisée

[en] s’arrang[eant]avec les « moyens du bord », c’est-à-dire […] un ensemble […] de matériaux hétéroclites [ ;] dont la composition [est] le résultat contingent de[s] occasions qui se sont présentées de renouveler ou d’enrichir son univers instrumental […] ou de l’entretenir avec les résidus de constructions et de destructions antérieures94.

47Il est également possible de les décrire en empruntant les mots de Glissant. Chacun des textes du corpus est en effet le résultat de ce processus par lequel « des [éléments] hétérogènes [sont] entr[és] en phase de synthèse et, par tout un jeu de répulsion et d’attraction, […] » entre eux, ont donné naissance à une « nouvelle réalité95 », à une littérature nouvelle. La nouveauté plus haut évoquée se révèle donc caduque.

48La première partie de notre travail évoque en effet le fait littéraire qui nous occupe, comme une tension entre la science, représentée par l’économie générique unifiante qui définit les textes comme des romans, des sorabe, des tantara, et la poésie du bricolage d’éléments hétéroclites, qui constitue ces derniers. Nous nous voyons ramenés au « miroir » évoqué plus haut.

49Selon la perspective glissantienne, à l’instar des antillaises, les terres australes donnent une lecture de la marche du monde, de la tendance de l’« atavique96 » à se décomposer, à aller vers le composite, issu du bricolage, de la créolisation. Comme leurs îles natales sont des lieux d’observation privilégiés des rencontres culturelles, les littératures ‘indocéanes’, qui déconstruisent les genres canoniques et les réélaborent tout en voulant unifier ces recréations sous des appellations traditionnelles, apparaissent comme le reflet de « l’Allant du Tout-Monde97 » et de sa littérature. Cette tension entre science et bricolage, ces allers-retours, semblent constituer la dynamique du processus de création littéraire et la condition de sa possibilité, de sa fécondité. Il semble possible d’aller plus loin dans notre raisonnement.

50Lévi-Strauss pose en effet le « modèle réduit » comme le « chef-d’œuvre du compagnon » et se demande s’il n’est pas « […] le type même de l’œuvre d’art98 ». Ventre de la création littéraire, matrice miniature, notre champ d’étude apparaîtrait donc comme une préfiguration, un archétype, aux sens de « prototype », de « modèle idéal, exemplaire », de « type suprême99 ». « Modèle réduit » par excellence, les littératures ‘indocéanes’ représenteraient donc le paradigme du Littéraire, dont la créativité semble résider dans un « éternel retour100 » vers le passé et ses formes. Dans cette optique, le débris générique, bricolé ou « archive101 », se pose comme l’archétype, le paradigme du genre littéraire. Il nous permet d’aller encore plus avant.

51L’omniprésence des résurgences mythologiques et orales dans nos textes, laissent entrevoir le processus de création littéraire comme une « nostalgie102 » de la pensée primitive, mythique et de la parole première, sacrée. Le sacré, nous rappelle Mircéa Eliade103, constitue un « surcroît de substance ontologique » qui permet à la surnature divine relatée par les mythes, de créer. « Être “en mal de” », souligne par ailleurs Jacques Derrida, « […] c’est brûler d’une passion, […] se porter vers [l’objet de ce mal] d’un désir […] répétitif […]. Aucun[e] passion, […] aucun “mal de”, [note-t-il,] ne surgiraient pour qui […] n’est pas […] en mal d’archive104 ».

52Bricoleur nostalgique de cette Pensée sauvage que Lévi-Strauss définit comme « le substrat de notre civilisation105 », l’écrivain ‘indocéan’ que laissent entrevoir nos textes paradigmes, semble donc dévoiler son « mal » nécessaire. La créativité, l’efficacité de l’écrivain-démiurge, semblent dépendre de son éternel retour au bricolage, à la créolisation d’archives, traces de cette archive par excellence, qu’est le verbe créateur.

53En conclusion, la mise en relation des textes anciens et contemporains des trois îles désenclave chacune des littératures ‘indocéanes’, ses textes et le genre. Notre corpus archipel106 extrait ces derniers de l’insularité comme grille de lecture. Les catégorisations sont en effet souvent subies par les écrivains comme un ghetto, synonyme de périphérie, postcolonialité, minorité, minoration. En s’ajoutant les uns aux autres, les éléments du corpus se déterritorialisent. L’ensemble s’ouvre sur ses transcendances textuelles qui, elles aussi, riment avec « transtextualité107 », référents issus de mondes autres. La perspective diachronique de notre étude invalide donc les notions de périphérie et de minorité.

54Loin de la logique ‘postcoloniale’ (anti-coloniale) de Jules Hermann lorsqu’il renverse les prééminences et transmue la périphérie réunionnaise en Lémurie, centre par excellence, berceau de l’humanité, la déclassification que constitue notre réunion des textes (du passé et du présent des traces de Lémurie que sont les îles australes) se laisse néanmoins lire comme une réminiscence de ce continent primordial que baigne « Le Grand Océan », qui détient le secret des origines. Laboratoire et paradigme du bricolage générique qui donne naissance à la création littéraire, les littératures australes semblent en effet se souvenir de cet océan amniotique, ainsi que de l’inversion des perspectives qu’opère l’auteur. Amnios, elles se dévoilent également comme une porte d’accès insolite, mais privilégiée sur le genre, dont elles permettent d’appréhender la notion loin de tout cadre spatio-temporel. Le bricolage de débris, d’archives génériques qui constitue celui-ci,s’y dévoile comme le processus qui initie la création littéraire, la dynamique qui permet que la littérature soit et au-delà.

55Extrayant en effet les textes et le genre des catégories des Histoire et histoires littéraires, notre corpus permet un dépassement de la lecture linéaire, chronologique, séquentielle de l’Histoire, ainsi que du concept de « postcolonialité ». Au-delà, l’optique de notre étude permet d’en déplacer la notion, de la redéfinir et de la transposer à notre question. Le sens anglo-saxon du terme autorise que l’on envisage le genre dans la perspective des postcolonial studies. Le préfixe post- s’y réfère en effet à un au-delà108, signifie une rupture radicale avec l’historicisme et son schéma évolutionniste sous-tendu par l’idée de progrès.

56La perspective postcolonial vise à instaurer un regard critique, qui aille au-delà de la distance temporelle. Le projet postcolonial étant de connaître (‘co-naître’, naître avec), de constants allers-retours y sont effectuées entre le présent, l’ici-maintenant et l’au-delà, révélant ainsi ce qui constitue le présent : des discontinuités, inégalités, minorités et identités plurielles fragmentées, mêlées et hétérogènes. À travers cet état du monde, un projet politique se dessine, qui envisage de sortir d’un rapport de pouvoir fondé sur la domination occidentale, en changeant radicalement les relations entre les différentes parties du monde, en les redéfinissant, éventuellement, toutes. La visée postcolonial est donc de s’extraire du paradigme colonial, de son cadre interprétatif binaire (centre/périphéries), pour écrire un autre récit, une autre géographie du monde, au sens très étendu du mot,que nous disent la ‘créolisation’, le ‘bricolage’ et leurs résultantes, la déterritorialisation évoquée plus haut et le genre, île-archipel, relié à d’autresîles-archipel, dans un texte ouvert…

57Ce genre découvert semble ainsi pouvoir être qualifié de postcolonial, à différents égards. La transposition de cette perspective à notre question amène à le considérer comme projet politique, au sens d’‘intention’, ‘étape’, ‘canevas’. S’intéressant aux schémas constitutifs, structurels et fonctionnels, cet angle contribue à une approche et une redéfinition de cette forme littéraire en termes de dynamique et d’interactions, loin des catégorisations, figement et essentialisme. Comme dans les postcolonial studies109, nous sommes conviés à appréhender, à redéfinir le genre à travers le prisme du mouvement et à comprendre que les identités – génériques et autres –, sont multiples et que le concept même d’identité est constamment redéfini dans la pratique.

58« Le centre […] est […] partout, aux quatre coins du monde110 », nous soufflent donc les littératures ‘indocéanes’ et leur généricité.Fragments de ‘littérature-monde’ – mieux, de Littérature tout court – les textes qui nous occupent en représentant les voix, dont l’écriture se fait « poème à dire, histoire à conter, rêves à redessiner, […] creuset des possibles[,] Monde étrange que seule la littérature peut explorer111 ». Au-delà, le corpus montre essentiellement des voies qui disent le Tout-Monde et son « Allant », son « chaos », son « tremblement112 »…

Notes de bas de page numériques

1  Une version différente de cet exposé a été présentée lors du colloque « Fredericton 2010. Trajectoires et dérives de la littérature-monde. Poétiques de la relation et du divers dans les espaces francophones » (Université du Nouveau-Brunswick et Saint-Thomas, Canada). Il y était alors question d’« india-océanéité », concept développé dans ma thèse (Insularités « india-océanes » : le rapport paradoxal à la terre natale dans les littératures malgache, mauricienne et réunionnaise d’expression française), Répertoire des thèses soutenues, Sorbonne, Paris 4 : http://www.paris-sorbonne.fr/Files/COMMUNICATION/ANNUAIRE.pdf), suivant l’expression de Françoise Vergès et Carpanin Marimoutou dans Amarres. Créolisations india-océanes (Marseille, K’A, 2003) ; et non d’« indocéanité », concept d’Eileen Lokha. Voir la note 7.

2  Deux îles créoles, mais aux histoires, origines et statuts politiques différents, et l’‘île-continent’ qu’une superficie de 585 014 km2 extrait du domaine insulaire. Les îles de plus de 50 000 km2 sont en effet dites continentales.

3  Comme l’a initié, en 1948, Léopold Sédar Senghor, avec l’Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française, qui marque la naissance d’une littérature négro-africaine affirmant son autonomie identitaire.

4  Jean-Marc Moura, Littératures francophones et théorie postcoloniale, Paris, Presses Universitaires de France, 1999, pp. 4-5.

5  Gilles Deleuze et Félix Guattari, Kafka. Pour une littérature mineure, Paris, Minuit, 1975, p. 29.

6  « Périphériques », les aires littéraires australes sont parfois (voir Françoise Vergès et Carpanin Marimoutou, Amarres. Créolisations india-océanes, pp. 6, 14.) « minorées ». Moins médiatisées que celles des Antilles françaises, par exemple, elles en arrivent à être confondues avec ces dernières.

7  Ce mot d’Eileen Lokha veut également souligner l’existence d’une similitude entre les littératures australes, au-delà de leurs spécificités irréductibles, qui mettrait cependant moins l’accent sur l’influence de l’Inde que le terme ‘india-océanéité’, utilisé par Vergès et Marimoutou dans Amarres. Créolisations india-océanes. Loin de vouloir désigner une culture spécifique – comme on évoque, par exemple, la culture antillaise, dont la créolité, malgré différents statuts et langues officielles, se retrouve dans toute la Caraïbe – ‘indOcéan(e)’ signifie une identité des poétiques, problématiques et enjeux des champs littéraires de ces terres, traces de Lémurie dont le lien-mémoire et amnios est l’Océan Indien, ‘Le Grand Océan’ qui détient le secret des origines. « Le O central du mot représente [comme l’a souligné Lokha lors d’un entretien informel] la matrice, l’espace créateur, le vide médian, [où se] retrouve le mythe créateur qui rassemble l’océan et les terres qui le bordent, englobe la mère/mer et renvoie à l’absence/présence de la Lémurie primordiale ».

8  Ananda Devi, Le Voile de Draupadi et L’Arbre fouet, Paris, L’Harmattan, 1993 et 1997 respectivement. Axel Gauvin, Quartier-trois-lettres, [1980], Paris, L’Harmattan, 1991 et L’Aimé, Paris, Seuil, 1990, « Points ». Raharimanana, Nour, 1947,Paris, Le Serpent à plumes, 2001 et L’Arbre anthropophage, Paris, Gallimard/Joëlle Losfeld, 2004.

9  Voir Michel Le Bris et Jean Rouaud (dir.), Pour une littérature-monde, Paris, Gallimard, 2007, pp. 143-151.

10  Ananda Devi, « Afin qu’elle ne meure seule », in Michel Le Bris et Jean Rouaud (dir.), Pour une littérature-monde, p. 147.

11  Du malgache sòratra, ‘écriture’ (de l’arabe sürat, ‘chapitre’), sorabe – ‘la grande écriture’ – désigne les manuscrits arabico-malgaches, textes canoniques pluriséculaires hérités des immigrants arabes et islamisés qui, aux XIIIe-XVIe siècles, ont fait de l’Océan Indien un lac musulman. Les plus récents datent des XIIIe et XIVe siècles.

12  Révérend Père Callet (somme rassemblée par), Tantaran’ny andriana (tome 1), (Trad. Georges-Sully Chapus et Emmanuel Ratsimba), Tananarive, Librairie de Madagascar, 1974.

13  Graphie empruntée à Pierre Barbéris (« Texte et historicité. HISTOIRE, Histoire, histoires », in Le Prince et le marchand, Paris, Fayard, 1980) pour désigner le grand récit, le discours sur le passé.

14  Traînant le corps de l’héroïne éponyme du roman, le narrateur de Nour, 1947 revisite la tentative de décolonisation réprimée de mars 1947 et ponctue sa complainte d’éclats de légendes et d’Histoire. L’Arbre anthropophage vagabonde dans le passé malgache, nous mène des premières migrations aux royaumes et s’entrecoupe de méditations sur l’écriture, l’exil ou l’engagement, de proverbes et de fragments de mythes. La seconde partie nous mène dans le journal intime de l’auteur, qui raconte 2002, la transition houleuse de l’ancien au nouveau pouvoir et son père emprisonné, torturé. Dans Le Voile de Draupadi, Anjali décide d’accomplir la marche sur le feu, afin que les divinités guérissent son fils mourant. Cette décision la ramène à son enfance et au décès, lors d’un rituel similaire, de sa cousine Vasanti, petite-fille d’engagé indien, dont on revit l’installation sur l’île. À travers Aeena au lourd karma, confrontée à ses souvenirs, L’Arbre fouet revient également sur la difficile intégration des engagés à Maurice, la dégénérescence de leurs croyances et rites venus d’Inde. Aeena se souvient des sévices infligés par son père, religieux respecté par la communauté. Parallèlement, elle découvre dans son grenier des photos et documents d’une famille arrivée à Maurice en 1908. À travers Pierre et son village de pêcheurs, Quartier-trois-lettres dit une Réunion bipolarisée et le quotidien pénible des Créoles, face au bien-vivre des Européens et notables de l’île. Après le décès violent de ses parents alcooliques, Aimé arrive mourant chez sa grand-mère qui le remet sur pied grâce à la pharmacopée et la cuisine réunionnaise traditionnelles, en lui promettant de l’emmener à Vincendo, le berceau de leur famille.

15  Tantara signifie ‘histoire, récit’. ‘–n’, ‘de’ et l’article ‘ny’, ‘les’. Andriana désigne les ‘nobles, rois’.

16  Gabriel Ferrand [trad. et annot.], Un Texte arabico-malgache du 16e s., transcrit, traduit et annoté d’après les Manuscrits 7 et 8 […] de la bibliothèque nationale de Paris, Paris, Imprimerie nationale, 1904.

17  Les sorabe étaient en effet – et sont encore – consultés en cas de sécheresse, épidémie, conflit, par les devins et astrologues des ethnies qui en sont gardiennes.

18  Gouverneur Honoraire Julien [trad. et annot.], Pages arabico-madécasses : Histoire, légendes et mythes, Paris, Société d’éditions géographiques, maritimes et coloniales, 1929.

19  Tantaran’ny andriana (voir la note 12) : les pp. 7 et suivantes traitent de l’époque des Vazimba jusqu’à l’arrivée des rois qui les expulsèrent de l’Imerina ; les pp. 16-17, du mariage d’un noble et d’une déesse Vazimba descendue du ciel sous forme de feuille parfumée ; la p. 442, du départ de ces Vazimba vers l’Ouest et du culte qui leur fut rendu plus tard.

20  Voir la page qui suit.

21  Raharimanana, L’Arbre anthropophage, pp. 20-21.

22  Raharimanana, Nour, 1947, pp. 43 et suivantes.

23  Raharimanana, L’Arbre anthropophage, pp. 31 et suivantes.

24  Manuscrits 7 et 8 […] de la bibliothèque nationale de Paris, pp. 57-94.

25  Histoire, légendes et mythes, pp. 32 et suivantes. À propos de cette hydre à sept têtes, le fañani fitu lòha, né du fluide des corps des rois défunts et qui grandirait jusqu’à pouvoir encercler un village et engloutir ses habitants, voir Magali Nirina Marson, « L’Hydre à sept têtes : étude d’un extrait de sorabe », in Bernard Terramorsi (dir.), Anthologie. La femme qui a des ouïes et autres récits de la tradition orale malgache, Île de La Réunion, K’A, 2007, pp. 265-282. À chaque arrivée de migrants, l’île des sorabe et des tantara est l’enjeu d’une opposition conceptuelle entre maîtres de la terre et demandeurs, colonisateurs de terres. Histoire, légendes et mythes met ainsi l’accent sur la famine, les mœurs dépravées, la violence des guerres intestines qui minent l’île. Après l’intervention des migrants, l’harmonie remplace l’anarchie. L’hydre et les conflits représentés apparaissent donc comme une allégorie du chaos qui rongeait le pays et une traduction de la tentative d’établissement d’une suprématie politique et religieuse musulmane, à l’époque, dans le Sud-Est malgache.

26  Tantaran’ny andriana, pp. 7-8.

27  Tantaran’ny andriana, pp. 13 et 21, Andriambavirano descend ainsi du ciel pour épouser un noble malgache. Rapeto, lui, transforme un marécage en l’actuel lac Itasy en en bouchant l’issue avec des rochers.

28  Tantaran’ny andriana, p. 44.

29  Tantaran’ny andriana, pp. 9, 25-30 et suivantes.

30  Les narrateurs se présentent comme des rapporteurs de mots d’îles. À propos des premiers peuples de Madagascar, Vazimba ou autres, Tantaran’ny andriana note à plusieurs reprises ce que « les gens prétendent […] » (p. 8). Et Histoire, légendes et mythes (pp. 19 et suivantes) commence par : « Voici l’histoire de notre ancêtre […] ».

31  Mot de Maximilien Laroche dans La Double scène de la représentation. Oraliture et littérature dans la Caraïbe, Haïti, Mémoire, 2000, p. 67.

32  Raharimanana, L’Arbre anthropophage, pp. 27 et 23.

33  Raharimanana, Nour, 1947, p. 26.

34  Le Discours antillais, cité par Jean Bernabé, Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant, Éloge de la créolité, Paris, Gallimard, 1989, p. 63.

35  Raharimanana, Nour, 1947, pp. 22 et suivantes.

36  Mot emprunté à Ananda Devi (entretien informel avec l’auteure).

37  Ananda Devi, Le Voile de Draupadi, p. 33.

38  Raharimanana, Nour, 1947, pp. 80-82.

39  Raharimanana, L’Arbre anthropophage, p. 22.

40  Lise Gauvin, L’Écrivain francophone à la croisée des langues. Entretiens, Paris, Karthala, 1997, p. 8.

41  Ananda Devi, Le Voile de Draupadi, p. 27.

42  Ananda Devi, Le Voile de Draupadi, pp. 91, 132.

43  Ananda Devi, Le Voile de Draupadi, p. 47.

44  Raharimanana, L’Arbre anthropophage, pp. 16, 21.

45  Axel Gauvin, Du Créole opprimé au créole libéré : défense de la langue réunionnaise, Paris, L’Harmattan, 1977.

46  Axel Gauvin, L’Aimé, p. 98.

47  Jean Bernabé, Patrick Chamoiseau, Raphaël Confiant, Éloge de la créolité, p. 33.

48  Raharimanana, Nour, 1947, p. 26.

49  Traduisant le portugais dessassossego, ‘inquiétude, agitation, trouble’, le terme désigne un manque de sossego, ‘repos, tranquillité, calme, paix’. Fernando Pessoa donne au concept le sens de ‘trouble, anxiété, malaise, peine, décalage par rapport à la vie normale’. Le mot désigne ici la tension, représentée par les protagonistes, entre la volonté d’un avoir historique impossible et son repoussoir, le ‘mal’ d’Histoire, à la fois désir et conscience d’un effort à faire vers cette Histoire écrite par d’autres. Cette ‘Intranquillité’ se retrouve chez d’autres auteurs de l’Océan Indien. Voir Magali Nirina Marson, « Michèle Rakotoson et Jean-Luc Raharimanana : dire l’île natale par le ressassement », Revue de littérature comparée, 2006/2, no 318), pp. 153-171.

50  Axel Gauvin, Quartier-trois-lettres, pp. 109-114.

51  Mot d’Édouard Glissant désignant, tout au long de son œuvre, « un des modes de l’emmêlement », un des processus à l’œuvre dans le Tout-Monde, lorsque les cultures hétérogènes entrent en contact.

52  Raharimanana, Nour, 1947, pp. 20-32.

53  Édouard Glissant, Introduction à une poétique du divers, Paris, Gallimard, 1996.

54  Édouard Glissant, « Métissage et créolisation », in Sylvie Kandé (dir.), Discours sur le métissage. Identités métisses, Paris, L’Harmattan, 1999, pp. 47-54.

55  Claude Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, Paris, Plon, 1962, « Agora », p. 30. Dans son sens ancien, « […] bricoler s’applique au jeu de balle et de billard, à la chasse et à l’équitation [et évoque le] mouvement incident […] de la balle qui rebondit, du chien qui divague, du cheval qui s’écarte de la ligne droite ».

56  Claude Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, pp. 35-36 et 21.

57  Boris Tomachevski, « Thématique », in Tzvetan Todorov (dir.), Théorie de la littérature, Paris, Le Seuil, 1965, est cité par Jean-Michel Adam et Ute Heidmann dans « Six propositions pour l’étude de la généricité », in Raphaël Baroni et Marielle Macé (dir.), Le Savoir des genres, Presses Universitaires de Rennes, 2006, « La Licorne », pp. 21-34.

58  Raharimanana, Nour, 1947, pp. 58, 69-71.

59  Claude Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, pp. 32-33.

60  L’expression « île déserte » est ici empruntée à Gilles Deleuze, L’Île déserte et autres textes, Paris, Minuit, 2002, « Paradoxe ».

61  Raharimanana, « Le creuset des possibles », in Michel Le Bris et Jean Rouaud (dir.), Pour une littérature-monde, p. 305-315.

62  Raharimanana, L’Arbre anthropophage, p. 16.

63  Pour une littérature-monde, pp. 305-315.

64  Raharimanana,  « Le creuset des possibles », p. 312.

65  Voir Valérie Magdelaine-Andrianjafitrimo, « De Sita à Draupadi, les ambivalences d’Anjali et de Vasanti dans Le Voile de Draupadi d’Ananda Devi », in Draupadi, tissages et textures, Île de La Réunion, K’A, 2008, pp. 165 et suivantes.

66  Acceptions extraites du Trésor de la langue française informatisé : http://atilf.atilf.fr/tlf.htm.

67  Voir Gilles Mathis, « Sur la route déroutante des dérives et des déviances : survol critique », in Corinne Duboin (dir.), Dérives et déviances, Paris, Le Publieur, 2005, « Bibliothèque Universitaire Francophone », pp. 11-33.

68  Cité par Jean-Michel Adam et Ute Heidmann, « Six propositions pour l’étude de la généricité », p. 29.

69  Voir « Causes et raisons des îles désertes », in L’Île déserte et autres textes, pp. 12-17. Continentale, elle naît d’une désarticulation, d’une érosion ou d’un engloutissement de la terre. Originaire, elle surgit d’une éruption sous-marine. Surgi de la mer, cet espace de tremblement, d’incertitude et de fondamentale instabilité, témoigne des luttes éternelles entre éléments, terre et ciel ; et peut être englouti de nouveau.

70  Jean-Michel Adam et Ute Heidmann, « Six propositions pour l’étude de la généricité », p. 23.

71  Jean-Michel Adam et Ute Heidmann, « Six propositions pour l’étude de la généricité », p. 26.

72  Jean-Michel Adam et Ute Heidmann, « Six propositions pour l’étude de la généricité », pp. 23, 25.

73  Jean-Michel Adam et Ute Heidmann, « Six propositions pour l’étude de la généricité », p. 26.

74  Alessandro Corio, « Entretien avec Ananda Devi », Francofonia, no 48, 2005, p. 154, cité par Valérie Magdelaine-Andrianjafitrimo, « De Sita à Draupadi, les ambivalences d’Anjali et de Vasanti dans Le Voile de Draupadi d’Ananda Devi », pp. 165 et suivantes.

75  Lise Gauvin, L’Écrivain francophone à la croisée des langues, pp. 5-10.

76  Douloureux, incapable désormais de subir sa terre, le narrateur de Nour, 1947 erre, traînant la dépouille de son amour sur les chemins, et s’exile dans la folie. Les héroïnes de Devi découvrent la malédiction dans laquelle les ont enfermées leurs pères, descendants d’engagés, en refusant l’insularité et en s’accrochant à des croyances, des rites d’avant l’île, inadaptés à l’espace créole. L’Aimé, lui, est amnésique et mourant, au début du roman. C’est en l’ancrant dans le terroir réunionnais que sa grand-mère le remet sur pied.

77  Voir, à propos de ce désancrage de l’insulaire indocéan et de sa mémoire empêchée : Magali Nirina Marson, « Le ressassement ou la poétique de l’essai répété dans les littératures indocéanes », Loxias, no 37, mis en ligne le 30 septembre 2012. Url : http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=7214.

78  Voir également l’article ci-dessus. De nombreuses anamnèses sont en effet effectuées par les romans du corpus, ramenant le lecteur, comme les protagonistes, à différentes tranches de passé insulaire (rappels d’événements historiques-phare ; de l’existence des textes anciens, sorabe, tantara, entre autres archives contenant des parts de mémoire îlienne…), dont prendre conscience, auxquelles faire face, pour pouvoir assumer ces pans de savoir, racines ; et, ainsi, connaître la terre natale. Ce travail de remémoration rime avec ‘re-co-connaissance’, puisqu’il s’agit de (re)naître à soi, à sa condition d’îlien, au travers de la (re)connaissance des richesses, comme des blessures de l’histoire insulaire.

79  Paul Ricoeur, dans La Mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Le Seuil, 2000, pp.83-86, cite l’essai de Sigmund Freud, « Remémoration, répétition, perlarboration », in Gesammelte Werke, tome X, Francfort-sur-le-Main, S. Ficher Verlag, 1913-1917, pp. 126-136 et insiste, en traitant du travail de mémoire, sur le caractère dynamique du processus entier et la collaboration de l’analysant, à qui il est demandé de « trouver le courage de […] regarder [son mal] comme une partie de lui-même dont la présence est bien motivée et où il conviendra de puiser de précieuses données pour sa vie ultérieure[, pour] une réconciliation avec le refoulé ».

80  Lise Gauvin, L’Écrivain francophone à la croisée des langues, pp. 6-10.

81  « L’oubli. Nous avons tant fermé les yeux sur nos origines que le fil des temps s’est rompu […]. Notre temps est […] écorché. Notre présent boitille. Notre avenir dépérit », ressasse L’Arbre anthropophage, p. 22. « [L’] oubli […] est une demi mort », songe, quant à elle, Aeena, dans L’Arbre fouet, p. 33.

82  Voir Alessandro Corio, « Entretien avec Ananda Devi », p. 154.

83  Claude Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, p. 37.

84  Claude Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, p. 37.

85  Claude Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, p. 35.

86  Claude Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, p. 32.

87  Jean-Michel Adam et Ute Heidmann, « Six propositions pour l’étude de la généricité », p. 30.

88  Claude Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, p. 35.

89  Édouard Glissant, Philosophie de La Relation, Paris, Gallimard, 2009, pp. 93-94.

90  Claude Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, p. 37.

91  Voir Claude Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, p. 38 : « pour connaître l’objet réel dans sa totalité, [on a] tendance à opérer depuis ses parties. La résistance qu’il [peut] oppose[r] est surmontée en la divisant. La réduction d’échelle renverse cette situation ».

92  Rappelons-le : Histoire, légendes et mythes est un des plus anciens sorabe connus. La tradition elle-même n’est perpétuée que par vingt initiés par génération, à peine. Tantaran’ny andriana est une somme unique en son genre.

93  Édouard Glissant, « Métissage et créolisation », p. 50.

94  Claude Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, pp. 31-32.

95  Édouard Glissant, « Métissage et créolisation », p. 48.

96  Édouard Glissant définit ainsi, tout au long de son œuvre, les cultures anciennes, enracinées, comme les cultures occidentales, « qui conçoivent l’être comme uniment relié à une communauté ».

97  Mot que l’on retrouve tout le long des textes de Glissant.

98  Claude Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, p. 37.

99  Régis Boyer, « Archétypes », in Pierre Brunel (dir.), Dictionnaire des Mythes littéraires (nouvelle édition augmentée), Paris, Le Rocher, 1988.

100  Nous empruntons ici le mot de Mircea Eliade dans Le Mythe de l’éternel retour, Paris, 2001, « Folio/Essais ».

101  Expression empruntée à Jacques Derrida dans Mal d’archive, Paris, Galilée, 1995.

102  Mot emprunté à Mircea Eliade dans La Nostalgie des origines, Paris, Gallimard, 1999, « Folio/Essais ».

103  Voir Mircea Eliade, Le Sacré et le profane, Paris, Gallimard, 1987, « Folio/Essais », p. 87.

104  Jacques Derrida, Mal d’archive, p. 142.

105  Claude Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, p. 30.

106  Notre corpus est composé de littératures ouvertes sur leurs divers référents (des îles-archipel), comme le sont les écrits qui les constituent, îles-archipel en relation les unes avec les autres et avec leurs transcendances textuelles. Dans chacune de ces unités fragmentaires (des îles-archipel), les éléments génériques sont des tissages d’éléments résiduels et hétérogènes. ‘Déterritorialisation’ signifie donc ici, également, la nature discontinue, fragmentée, de notre champ littéraire-gigogne. Atypique, le territoire redessiné déjoue la notion de territoire. Du fait de ses origines plurielles, un archipel est en effet ouvert, ‘déterritorialisé’.

107  Voir Gérard Génette, Palimpsestes, Paris, Le Seuil, 1982, « Poétique », p. 7.

108  À propos de cette insistance sur l’anglais postcolonial, qui veut mettre en évidence la vision autre, nouvelle, du ‘postcolonial’, apportée au champ de recherche francophone par les postcolonial studies, voir Béatrice Collignon, « Note sur les fondements des postcolonial studies », EchoGéo, juin/août 2007. Url :http://echogeo.revues.org/2089.

109  Les fondateurs du postcolonial theory veulent effectivement proposer une autre façon (qu’européo-centrée, bipolarisée) de penser le monde, à partir d’un questionnement sur la définition de l’identité.

110  Voir Pour une littérature-monde.

111  Raharimanana, « Le creuset des possibles», p. 306.

112  Glissant définit ainsi les « vibrations » de ce monde dans Philosophie de la Relation, p. 54.

 

Source : http://revel.unice.fr/symposia/actel/index.html?id=430

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