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LES COCHONS FONT LA GRÈVE

Dominique Lancastre
LES COCHONS FONT LA GRÈVE

«Depuis quelques semaines, rien ne va plus». Dit Berte, la plus ancienne cochonne de la Porcennerie. Elle les avait appelés à une grande réunion sur la nourriture dès que leur maître est monté dans sa fourgonnette bleue pour se rendre à la messe dominicale.

Berte était couchée au milieu de la Porcennerie et tous l’écoutaient attentivement.

«Depuis quelques semaines» elle reprit.

«Depuis, quelques semaines notre maître a changé notre nourriture. J’entends certains de vous dire que c’est merveilleux ce nouveau changement. Je vois certains de vous se ruer sur les quantités monstrueuses de nourriture qu’il nous sert et nous oblige à engloutir, car il connaît notre voracité. Parfois, trois fois, parfois quatre fois dans la journée, il remplit le bac à manger de nourriture. Mais, avez-vous pensé à ce qui est en train de nous arriver». Dit-elle.

Puis, après un long soupir et des grognements, elle se mit debout sur ses quatre pattes. On pouvait alors voir ses oreilles pointées en avant. Elle balançait sa queue de droite à gauche. Puis, elle l’a mise en tire-bouchon. Son ventre pendait presque à toucher le sol, à cause de ses nombreuses portées. La chaleur accablante la faisait baver. Pourtant, le soleil n’était pas très haut dans le ciel. Les crocs qui commençaient à sortir de chaque côté de sa gueule lui conféraient son statut d’ancien de la Porcennerie que personne n’aurait cherché à contester, sauf l’un d’entre eux: Agoulougwanfal.

«Notre demeure est devenue une porcherie». Elle continua.

«Il y a de la nourriture partout».

«Nous nous comportons comme des cochons»

«Mais, nous sommes des cochons» fit remarquer Agoulougwanfal en grognant de mécontentement.  Cette réunion ne semblait pas lui convenir.

«Le maître nous engraisse. Oui,  il nous engraisse encore et encore, chaque jour toujours plus de nourriture» elle dit. «Il y a de la nourriture partout. Le fruit à pain et les bananes vertes qu’ils nous servaient crus sont maintenant cuits même avec du sel».

Berte essayait dans un dernier effort de rallier le plus de cochons possible à sa cause, car elle savait l’objet de cette nourriture en abondance. Elle avait vu sa mère quitter la Porcennerie un 24 décembre pour ne plus revenir. Elle se souvient encore comme si c’était hier. Et, cela avait commencé par une nourriture abondante tout à coup.

La réunion qu’elle avait organisée finit par attirer l’attention des autres animaux de l’habitation. Une barrière en fil de fer séparait les cabris des cochons. Alertés par ce remue-ménage dans la Porcennerie, les cabris s’étaient approchés et les oreilles debout ils écoutaient attentivement ce qui se passait.

C’est alors que le vieux bouc Igor, à qui on avait donné le nom d’Igor à cause de sa couleur blanche, arriva. Igor venu du froid on l’appelait. Mais là, il était sale.

Igor bondit et sauta d’une roche à une autre roche et tous les autres cabris suivirent dans le même élan. Puis, alors qu’on s’y attendait le moins, il se mit à chanter.

«C’est la fête des cochons, cochons, cochons»

«Boudins, rôtis, pâtés chauds, cochon, cochon !!!»

«C’est la fête des cochons, cochons, cochons »

«Rôtis, pâtés chauds, boudins, cochon, cochon !!!»

«C’est la fête des cochons, cochons, cochons» 

«Pâtés chauds, boudins, rôtis, cochon, cochon»

Igor recommença à gambader de l’autre côté de la clôture et les autres le suivaient en reprenant les refrains et en chantant sans arrêt.

Berte  fit semblant de ne pas entendre les railleries d’Igor, car elle savait de toute façon qu’à la Pentecôte il se pourrait qu’il finisse en colombo (plat antillais) ou en fricassée.

Elle était toujours debout et malgré son poids excessif elle marchait dans la Porcennerie en ayant soin de regarder dans les yeux chaque cochon.

«Oui» dit elle à nouveau.

«Le maître ne nous aime pas».

Le chahut qu’Igor  et ses amis avaient causé alerta les poules et les coqs qui grattaient le sol légèrement humide. Les canards avaient quitté la mare où ils nageaient paisiblement.

Martha avait exigé d’être en tête du cortège et qu’aucun autre canard ne devait la dépasser.

Ils arrivèrent tous en courant et passèrent la tête à travers les trous de la barrière en fil de fer. Ils faisaient tous du bruit. Les bêlements des cabris, le grognement des cochons accompagnés des caquètements des poules ainsi que les canards qui jouaient des castagnettes avec leur bec transformèrent l’habitation en un énorme concert sans chef orchestre.

Andréa, la plus vieille des moutons qui avait convié ses congénères à aller brouter de l’herbe fraîche dans un endroit reculé de l’habitation dont seule elle connaissait l’existence à cette époque, leva la tête.

L’agitation qui lui parvint jusqu’aux oreilles lui indiqua que quelque chose de pas normal se passait à l’habitation.

«Nous rentrons» dit-elle d’un ton alarmé. Et tous suivirent Andréa. Lorsqu’ils arrivèrent aux abords de la Porcennerie, Andréa reconnut la voix de Berte et dit.

«C’est ma copine Beeeeerte qui parle»

«Écoutons laaaaaaà»

Et les autres de reprendre tous ensemble.

«C’est ta copine Beeeeeeerte qui parle»

«Écoutons laaaaaaà»

D’autres cabris avaient rejoint Igor et chantaient de plus en plus fort.

«C’est la fête des cochons, cochons, cochons»

«Boudins, rôtis, pâtés chauds, cochon, cochon !!!»

«C’est la fête des cochons, cochons, cochons»

«Rôtis, pâtés chauds, boudins, cochon, cochon !!!»

«C’est la fête des cochons, cochons, cochons» 

«Pâtés chauds, boudins, rôtis, cochon, cochon»

On n’entendait presque pas Berte  et Andréa intervint pour faire cesser ce vacarme.

Alors la voix de Berte fut un peu plus audible et on entendit.

«Le maître nous engraisse de la sorte dans un but».

«Et savez-vous pourquoi ?»

Agoulougwanfal prit la parole.

«Parce qu’il nous aime et qu’il a plein de nourriture à nous donner»  il ajouta en ricanant.

«C’est aussi simple que cela».

«Moi, je mange, je mange,  je mange, je mange et j’adore cela».

«Manger, il n’y a que cela de bon, pour nous les cochons».

«Nous sommes utiles. Nous débarrassons les humains des restes. Comme cela, pas de gaspillage».

Agoulougwanfal était le plus gros de tous les cochons. On ne voyait aucune de ses côtes et quand il marchait on avait l’impression qu’il roulait. Sa voracité était connue de tous. Alors, lorsqu’il poussait les autres et donnait des coups de tête pour engloutir les plus gros morceaux de viande dans le bac à manger, on le laissait faire.

Berte continua son discours:

«Le maître nous nourrit de la sorte dans le but de nous transformer en boudins, en pâtés, en rôtis.

Igor n’a pas tort. Il fait bien de chanter. Car c’est comme cela, que nous allons tous finir si nous continuons à nous empiffrer de cette façon».

L’un des cochons dit.

«Je ne veux pas finir en boudin».

«Ni moi en pâtés» ajouta un autre.

«Ni moi en rôti» dit un autre.

Et ils commencèrent tous à trembler ne tenant plus sur leurs pattes.

«DIT-NOUS BERTE, DIT NOUS VITE CE QUE NOUS DEVONS FAIRE».

Berte alors leur dit que la seule solution est de se mettre en grève de nourriture et de maigrir jusqu’à voir les côtes apparaître, le ventre devenir flasque.

Agoulougwanfal  s’insurgea:

«Berte est folle, Berte est folle, je vous dis, Berte veut tous nous tuer».

«Si vous écoutez Berte, vous allez tous mourir».

«Mourir de faim pour rien».

Et Igor entama son chant à nouveau.

«C’est la fête des cochons, cochons, cochons».

«Boudins, rôtis, pâtés chauds, cochon, cochon !!!»

«C’est la fête des cochons, cochons, cochons».

«Rôtis, pâtés chauds, boudins, cochon, cochon !!!».

«C’est la fête des cochons, cochons, cochons».

«Pâtés chauds, boudins, rôtis, cochon, cochon».

Le vacarme reprit de plus belle et personne n’entendit le maître arriver à vive allure dans sa fourgonnette. Et, ils n'en prirent connaissance que lorsqu’une énorme détonation vint mettre fin à leur cacophonie.

Le maître avait tiré un coup de fusil en l’air. Les cabris s’étaient réfugiés dans les halliers les oreilles redressées l’air ébahi. Les poules volèrent de part et d’autre y laissant des plumes dans l’air. Les canards claquèrent du bec et plongèrent dans la mare. Les moutons affolés s’enfuirent se mettre à l’abri derrière de grosses roches. Les cochons se rassemblèrent dans un coin de la Porcennerie en tremblant.

On entendit Agoulougwanfal dire à voix basse:

«Je le savais. Je vous avais dit. Berte va tous nous faire tuer».

«En tout cas moi je ne me mets pas en grève».

Certains pensèrent qu’Agoulougwanfal avait peut-être raison et que la vieillesse jouait des tours à Berte. Ils se rallièrent à Agoulougwanfal.

D’autres, fidèles à Berte, lui firent confiance et ils décidèrent de se mettre en grève.

Les semaines passèrent Agoulougwanfal et ses amis s’empiffrèrent parfois jusqu’à  laisser de la nourriture dans le bac à manger tant il y en avait. Le maître s’inquiéta de la perte d’appétit de certains de ses cochons et fit même appeler le vétérinaire qui ne décela aucune maladie. Mais, il fit remarquer que certains cochons étaient en très bonne santé. Il s’attarda longtemps sur Agoulougwanfal. Ce dernier snobait les autres.

«Vous voyez, je suis en bonne santé».

«Qui sait? Je vais devenir célèbre et je vais même rapporter un trophée au maître».

Berte secoua la tête et ne dit rien.

Le 23 décembre de cette année-là, Berte fut réveillée par un bruit qu’elle avait entendu lorsqu’elle était encore toute petite. Le maître avait mis sa meule en marche dans son atelier et Berte reconnut le bruit des couteaux qu’il affûtait avec précision.

Cette nuit là Berte ne dormit pas. Le bruit de la meule resta dans son esprit. Elle avait peur. Elle savait que quelque chose d’horrible allait se passer le lendemain. Elle regarda la lune dans le ciel. Elle regarda les étoiles, elle regarda les constellations. Mais, elle se garda bien de communiquer sa peur à ceux qui lui avaient fait confiance.

Elle fit un tour du côté où Agoulougwanfal dormait. Il ne l’entendit pas. Il ronflait encore et encore. La nourriture le fatiguait et il passait son temps à dormir. Les autres aussi de sa bande surtout les cochons roses ne faisaient que dormir et manger.

Le lendemain dans l’après-midi, le maître et d’autres personnes du village installèrent un baril d’eau chaude à chauffer sur trois grosses roches. Ils attisèrent le feu avec de grosses bûches de bois sec.

Berte qui n’avait pas fermé l’œil de toute la nuit les regardait faire. Son cœur battait fort et pour la première fois ses pattes se mirent à trembler lorsque le maître poussa la porte de la Porcennerie.

Ils saisirent Agoulougwanfal qui somnolait dans la chaleur et l’amenèrent dans l’atelier. Puis, on entendit des bruits de tôles et de bois comme si Agoulougwanfal se battait contre eux.

On entendit Agoulougwanfal crier au secours.

«Au secours Berte» il cria.

Malheureusement, Berte ne pouvait rien pour lui.

Les autres se rassemblèrent derrière Berte. Ils étaient tous effrayés. Plongée dans le baril d’eau chaude la tête d’Agoulougwanfal émergea.

Les plus téméraires regardaient passer des pattes, des côtes, les plus beaux morceaux d’Agoulougwanfal dans des sachets en plastiques des habitants du village. Pauvre Agoulougwanfal il avait terminé sur toutes les tables du village le soir du réveillon. La Porcennerie était en deuil un jour de fête pour les humains.

Feu

Écrit exclusivement pour Potomitan par Dominique Lancastre.

Photos F.Palli.

Reproduction interdicte sans accord de Potomitan.

Image: 

Commentaires

acamay | 18/12/2012 - 13:17 :
On dirait que le conte antillais tourne la page du lien avec l'Afrique Adieu compère l'éphant et compère singe. Bonjour la sagesse de la cochonne des antilles qui transforme l'image de la porcherie en "porcennie" un lieu matriarcal où règne la sage potomitan montrant au mâle qui ne voit pas plus loin que son plat de fruit à pain et que son destin n'est pas entre ses mains. Voila un récit qui devrait plaire à la femme antillaise avec au passage un mot nouveau à glisser dans wikipédia C.Mayne

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