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Le BUMIDOM ou le voyage sans retour

« L’émigration travailleuse guadeloupéenne en France »

Rapport du XIIIe Congrès national de l’AGEG, en 1978
« L’émigration travailleuse  guadeloupéenne en France »

Les  Antillais, une réserve de main d’œuvre pour la France

 

La première partie de ce rapport établi par une association d’étudiants guadeloupéens indépendantistes (AGEG), en 1978, traite de «la réalité de l’émigration » dans les années 60 et 70. Ses causes officielles sont la démographie galopante et une économie en crise allant de paire avec le chômage. L’AGEG réfute les deux arguments. La population guadeloupéenne, au début des années 70, se stabilise comme le démontre le géographe Guy Lasserre qui va même jusqu’à envisager une baisse. Quant au manque de travail, les capitalistes sont  jugés responsables de la mécanisation à outrance dans l’agriculture, de la prolétarisation forcée de nombreux colons éliminés par la Réforme Foncière (1961) et de la fermeture des usines. Par ailleurs, le gouvernement français est dénoncé comme l’initiateur d’une manœuvre de « substitution de population ». Un appel à la perspicacité est lancé : « La France vise à développer chez nous la mentalité de mendiants, pour faire de notre peuple un peuple d’assistés » alors que dans le même temps se propagent  dans le pays des « schèmes de consommation de l’occident bourgeois ».

 

Dans les années 60, Michel Debré, reconnaît à l’Assemblée Nationale (en juillet 1965) qu’en France « l’immigration a, pendant trente ans, compensé l’insuffisance de natalité » alors qu’un haut fonctionnaire déclare « Le gouvernement a pris conscience du paradoxe que constitue l’appel aux migrants étrangers (Polonais, Espagnols) alors qu’il disposait d’une véritable réserve antillaise de main d’œuvre. » (Le Monde, 24 juillet 1965)

 

Le BUMIDON, une soupape de sécurité.

 

Une des raisons non officielles de l’émigration orchestrée dans le cadre du BUMIDOM est la crainte d’une révolte en Guadeloupe, justifiée par une situation sociopolitique explosive, la montée des revendications autonomistes et indépendantistes, dans  un contexte international de soulèvement général contre le colonialisme et l’impérialisme. Le BUMIDOM est créé en 1962, sous l’égide de M. Jacquinot, ministre des DOM et V. Giscard d’Estaing, Ministre des Finances. Son but : permettre aux Guadeloupéens d’émigrer vers la France, afin d’y  trouver un emploi et de se promouvoir socialement. Ce bureau est chargé de faciliter la formation puis le placement des candidats au départ. L’émigré ne paye pas l’avion pour joindre l’autre bord mais il signe un papier comme quoi il est bien prévenu qu’il n’est pas prévu de billet de retour. Arrivé en France, il découvre des réalités auxquelles il n’est pas préparé. Le mythe de la mère-patrie s’effrite. Les conditions de vie sont difficiles.  Les femmes sont majoritairement formées à être employées de maison, agents hospitaliers ou des collectivités. Les hommes travailleront dans le bâtiment, à la RATP, aux PTT, dans la police mais aussi à la chaîne dans l’industrie automobile Renault, Citroën, Ford, Chrysler, Peugeot, Michelin. Dans les années 70, le BUMIDOM ne se préoccupe plus d’assurer une formation aux partants, il se contente d’organiser les départs, bientôt les Guadeloupéens se passent de ses services et s’exilent par leurs propres moyens.

 

 

 

 

Expériences de lutte dans l’émigration en France

 

La seconde partie du rapport fait la synthèse des expériences de lutte. Elles sont tout aussi nombreuses que les organisations chargées de les orchestrer. L’AGEG, organisation militante, se livre, selon son point de vue idéologique, à une lecture du fonctionnement de chaque organisation. Le cas de l’AGTAG est approfondi car elle a sa faveur. Née en 1962, à la suite de la dissolution du Front Antillo-guyanais (FAG), son rôle est rétrospectivement jugé positif, et sa disparition (en 1971) regrettée car ayant entraîné un « vide organisationnel ». Le REA  (né en 1973) est présenté comme « contrôlé par les révisionnistes du P«C»M et du P«C»G et purement électoraliste ». La LUA, quant à elle, « basant sa pratique sur des conceptions communautaires anarchistes » axe tous ses efforts sur les jeunes, qu’elle se propose d’organiser ainsi que leurs parents. Pour l’AGEG, cette organisation a le tort de se faire « le champion de l’antillanisme », de considérer que Martiniquais et Guadeloupéens forment une même et unique communauté, point de vue se rapprochant de celui des Trotskystes, de Combat Ouvrier et du GRS, traités par ailleurs d’intellectuels petit-bourgeois. Le cas de l’AMITAG sera vite expédié, créée en 1966, « par le gouvernement français colonialiste aidé par des valets guadeloupéens, martiniquais et guyanais », pour concurrencer l’AGTAG, cette amicale est jugée comme « le complément indispensable du BUMIDOM, avec lequel elle travaille étroitement », subventionnée directement par l’Etat.

 

Le rapport s’achève avec le rappel des différents combats menés par l’AGEG dans l’émigration, notamment pour dénoncer le BUMIDOM, suivi de suggestions: Les Guadeloupéens devraient avoir leur propre organisation (solidaire de celles des autres DOM) qui serait d’abord patriotique et s’inscrirait dans le cadre plus large de la lutte de libération nationale.

 

 

Les enfants du BUMIDOM

 

Le rapport rend compte d’un intense foisonnement d’idées et d’analyses. Certaines allégations trahissent la jeunesse et la radicalité des protagonistes mais il n’en demeure pas moins vrai que ces étudiants s’intéressaient au devenir de leur pays et savaient dégager un certain nombre de problématiques non dépourvues d’intérêts même si toutes n’ont pas fait long feu. Déjà affleure la conscience que la situation des émigrés guadeloupéens en France va se transformer et générer des problèmes inédits. A la fin des années 70, le mouvement estudiantin indépendantiste de l’AGEG se bat pour que la lutte des Guadeloupéens en France se fasse dans la reconnaissance de son caractère spécifique, le combat devait être mené par des travailleurs se considérant étrangers et bien décidés à le rester. Mais l ’AGEG sent bien qu’elle s’exprime dans une perspective d’ores et déjà paradoxale. Elle se bat contre l’émigration orchestrée par le BUMIDOM et en même temps elle s’attache à l’organiser, ce qui la marque du seau de la pérennité.

 

On dénote dans ce rapport, qui date de1978, une certaine sagacité concernant l’avenir des émigrés guadeloupéens en France, notamment celui de leurs enfants. Les étudiants de l’AGEG comprennent que le retour des familles au pays, s’il est souhaité, demeurera à tout jamais un rêve, pour des raisons matérielles mais aussi psychologiques (refus d’avouer l’échec, nouvelles habitudes et façons de penser…). Le temps passe et accomplit son œuvre. L’AGEG constate que les enfants nés en France sont condamnés à y rester et à y subir tôt ou tard une crise d’identité. Ils ne sont pas perçus comme des Français alors que leur culture n’est plus exactement celle de leurs parents. Le constat final ne laisse aucune place aux illusions : « Quelle solution envisager ? En réalité, il n’y a pas de solution particulière à ce problème. Toutes les mesures que l’on pourrait prendre ne seraient que des palliatifs. La seule solution, c’est de mettre un terme à l’émigration de notre peuple. »

 

En fait, cette émigration ne prendra pas fin et, quarante ans plus tard, on note que nombre de Guadeloupéens émigrés ou leurs enfants se battent dans un contexte franco-français pour être reconnus par leurs compatriotes de l’hexagone. Leurs revendications et leurs attentes ne sont pas toujours les mêmes que celles de leurs compatriotes de la Guadeloupe. Par la force des choses, un clivage s’est opéré entre les «Guadeloupéens du dedans » d’une part et les « Guadeloupéens du dehors » d’autre part. Et l’actualité vient chaque jour rappeler que de nombreux problèmes rencontrés en France par les expatriés et leurs enfants trouvent leur source dans l’action du BUMIDON*.

 

            Marie-Noëlle RECOQUE DESFONTAINES

 

*En 1983, sous MITTERAND, le BUMIDOM a pris le nom d’A.N.T. (Agence Nationale pour l’insertion et la promotion des travailleurs d’Outre-Mer). L’ANT n’était  plus chargée d’organiser la migration.                                  

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