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Le souverainisme à la lumière de la réalité coloniale du Québec et de la Martinique

Le souverainisme à la lumière de la réalité coloniale du Québec et de la Martinique

      Nous avons le plaisir d'accueillir un nouveau contributeur à MONTRAY KREYOL. Il s'agit de Vincent LALONDE, Québécois ayant épousé une Martiniquaise, tous deux vivants à Montréal. Dans son premier texte que l'on découvrira ci-après, il esquisse une comparaison entre la situation historico-socio-politique du Québec et celle de la Martinique...

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Le souverainisme à la lumière de la réalité coloniale du Québec et de la Martinique

Contexte

Le colonialisme est pour certains un simple mot composé de 12 lettres, alors que pour d’autres c’est un concept qui résonne comme un synonyme de souffrance, d’aliénation et de dépossession. Les pays colonisés partagent tous entre eux cette réalité. Trop souvent les différents habitants de ces nations ne réalisent pas ce point commun, stigmatisés par leur langue, la couleur de leur peau et leur propre culture. Afin de vaincre le colonialisme durablement, il est impératif d’avoir une conscience et une mémoire collectives. C’est dans cette optique que ce texte a pour objectif de montrer les similitudes, mais aussi les spécificités de deux pays colonisés : le Québec et la Martinique. Pour le lectorat moins familier avec l’histoire du Québec, il comprend dans un premier temps une brève description de l’essence coloniale de cette nation et, selon les termes du dissident Pierre Vallières, de la réalité de « nègres blancs » de ses habitants, les Québécois. Bien sûr il s’agit d’un condensé historique, non exhaustif, mais qui va permettre de mettre en contexte socioculturel ce qui permit la genèse du mouvement souverainiste québécois. Dans un second temps, le texte propose un survol de certains des évènements marquants de la réalité coloniale de la Martinique et un parallèle avec le Québec.

Une brève histoire du Québec : un combat pour la liberté

Le Québec a été colonisé par la France à partir de 1534. Comme pour les autres colonies, un « service » minimal était assuré par la métropole afin de permettre une exploitation des ressources (principalement les fourrures) et, dans une certaine mesure, de continuer l’expansion coloniale sur le vaste territoire. Le Québec, alors appelé la Nouvelle-France, est ensuite devenu territoire Britannique suite à la défaite de la France lors de la bataille des Plaines d'Abraham en 1759. Il s’ensuivit une 2e guerre, plus insidieuse, d’assimilation et de dépossession culturelle de la population. Les habitants du Québec n’étaient déjà plus à ce moment des Français depuis longtemps, unis dans la misère, la maladie et les dures conditions climatiques : une nation avait été forgée. L’assimilation fût impossible, la nature intrinsèque d’un peuple ne peut être éradiquée aussi facilement et sans qu’il n’y ait de résistance. Le Québec, situé à l’intérieur d’un Canada anglophone hostile et à la bordure du géant américain, a bataillé dure pour conserver son patrimoine et sa richesse culturels.

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’humanité avait soif de changements et de liberté après cette période de grande noirceur et d’oppression. Il s’ensuivit une vague de décolonisation des pays africains. Le vent d’indépendance a été palpable partout dans le monde, donnant le tempo à d’autres nations, dont le Québec. Les différences culturelles et langagières, sans oublier le besoin viscéral de la population de s’émanciper de ses chaînes coloniales face à un état fermé et de mèche avec un clergé moyenâgeux, ont fait en sorte qu’un mouvement souverainiste est né au Québec à la fin des années 1960. Ironiquement, le mouvement a été catalysé par le président français Charles de Gaulle lorsqu’il est venu en visite au Québec, brisant le protocole canadien, afin de crier à Montréal le 24 juillet 1967 : « Vive le Québec libre ! ». Onze mois plus tard, le 24 juin 1968 (jour de la fête nationale du Québec), l’état réprima avec violence (292 personnes arrêtées et 123 blessés) une contestation populaire du gouvernement de Pierre-Elliott Trudeau, le père de Justin Trudeau, l’actuel premier ministre du Canada. Sous l’impulsion de cet événement clé appelé le Lundi de la matraque et du cri de ralliement inattendu de Charles de Gaulle, la population s’est rangée derrière l’étendard nationaliste du Parti Québécois de René Lévesque, créé en 1968. Un mouvement fort, maintenant structuré, était en marche afin que le Québec devienne souverain. Ce moment d’effervescence couplé à l’enivrement de la population pour un besoin de liberté a influencé plusieurs artistes de la culture québécoise, dont les œuvres sont maintenant des références. Je pense par exemple à Gaston Miron, dont les écrits résonnent encore dans les cœurs, ou au réalisateur-choc Pierre Falardeau.

Malheureusement, ce mouvement sociétal a été obscurci par le regroupement de certains esprits échauffés qui préféraient une violence radicale au combat par des moyens littéraires, intellectuels et politiques. Le Front de libération du Québec (FLQ), un regroupement citoyen non partisan, a été fondé au début des années 1960 afin de réaliser la souveraineté du Québec. Bien que certaines cellules du FLQ étaient pour des actions concrètes, mais pacifiques, le mouvement a été principalement connu pour ses actes terroristes. Le moment d’excitation et d’unicité fit place à un climat de peur, qui fût à sa culmination en octobre 1970, lorsque le FLQ enleva l'attaché commercial du Royaume-Uni James Richard Cross et le ministre provincial du travail Pierre Laporte. Ceux qui auraient dû lutter pour l’indépendance du Québec, de par leurs actions, ont plutôt rendu le mouvement impopulaire et surtout donnèrent les armes nécessaires à l’état fédéral pour attaquer la cause souverainiste. Cette attaque s’est concrétisée lorsque le gouvernement de Pierre-Elliott Trudeau a mis en vigueur la Loi des mesures de guerre afin de lutter contre le FLQ. Des centaines de personnes furent arrêtées, bien souvent brutalement et sans raison, pour être questionnées dans des conditions similaires à celles des prisonniers de guerre.

Après ce moment d’obscurantisme, le Québec devait se relever, lui qui a été meurtri de l’intérieur et de l’extérieur. Lorsque le Parti Québécois arriva au pouvoir en 1976, il organisa un référendum, qui eu lieu en 1980, où la population allait pouvoir utiliser son droit démocratique le plus fondamental afin de dire si oui ou non, elle voulait d’un Québec souverain. Le résultat, non à presque 60 %, fut un coup de masse sur la tête du mouvement souverainiste. Le refus de la population a réalistement des causes variables et complexes. Cependant, à mon avis, les évènements d’octobre 1970 ont très certainement cassé l’élan souverainiste, dont la violence et la peur ont dégrisé certains partisans et essoufflé les autres.

Le gouvernement fédéral, sentant le mouvement souverainiste affaibli, put profiter de la situation et fit subir plusieurs déconvenues au Québec. Un événement marquant fut le rapatriement de la Constitution sans l’aval du Québec en 1982. Le gouvernement de Pierre-Elliott Trudeau a fait accepter un projet de loi constitutionnel aux ministres provinciaux, dans une cuisine du Centre de conférences du gouvernement, alors que le premier ministre du Québec René Lévesque dormait. La tension était particulièrement élevée et fit échouer deux tentatives de réconciliation, en 1987 et 1992. Sans le savoir, le gouvernement fédéral avait ravivé les braises souverainistes qui crépitaient plus ardemment que jamais. Le Québec était prêt pour un nouveau référendum. Le peuple, qui était affamé de liberté, était cependant aussi dans un état d’inappétence pour les mépris à répétitions du gouvernement fédéral. Le référendum, qui eut lieu en 1995, laissa malheureusement un goût amer : 49,42 % pour le oui contre 50,58 % en faveur du non. La population pétrifiée et sidérée hurla au complot. Plusieurs irrégularités furent effectivement signalées et confirmées. Les barreaux se refermèrent brutalement, emportant avec eux le souffle de la liberté qui avait caressé avec tendresse le cœur de la nation.

Le second référendum ne fut cependant pas complètement vain. Il fit comprendre au fédéral que le Québec peut se lever et parler d’une seule voix. Son écho résonna longtemps à Ottawa, qui comprit que la brutalité n’était pas le moyen pour dresser le Québec qui n’allait pas se soumettre. Il s’ensuivit presque 25 ans d’accalmie. Différents gouvernements se sont échangé le pouvoir, mélangeant les idées et diluant l’intérêt pour la souveraineté.

En 2015, un jeune premier ministre libéral arriva à la tête du Canada. Ironiquement, Justin Trudeau, le fils de Pierre-Elliott Trudeau, incarnait le changement, un vent de renouveau qui devait souffler après plusieurs années d’une droite conservatrice et austère. Cependant, son premier mandat de premier ministre fut marqué par deux sujets épineux avec le Québec. Premièrement, le gouvernement libéral acheta un pipeline afin de faire circuler le pétrole de l’ouest vers l’est du Canada. Ce pipeline, qui serait ravageur au niveau environnemental, a massivement été rejeté par le Québec. Deuxièmement, le Québec fit élire démocratiquement un gouvernement provincial qui avait comme projet phare l’établissement d’une loi sur la laïcité de l’état. Ce projet de loi, dont la nécessité avait été soulevée par une commission d’enquête, provoqua l’indignation du gouvernement fédéral qui menaça d’ingérence dans la juridiction provinciale du Québec.

Lors des dernières élections de 2019, le fait que le gouvernement fédéral ait menacé de faire passer le pipeline de force sur le Québec et de contrecarrer une loi provinciale devint des enjeux de campagne. Contre toute attente, le Québec fit revivre un parti souverainiste, le Bloc Québécois, qui était devenu moribond lors des dernières élections. Encore une fois, 25 ans après le second référendum, le vieux loup souverainiste montra les crocs et envoya un clair message au gouvernement fédéral. Il est actuellement trop tôt pour déterminer si le message a porté ses fruits, seul le temps pourra le montrer. Une chose est certaine, la fleur de lys demeure insoumise.

La Martinique et le Québec : un combat commun

L’île aux fleurs et le Québec partagent une histoire, des frustrations et des défis à relever. Évidemment, la réalité coloniale des deux endroits est clé pour comprendre et mettre en contexte ces similitudes. Comme décrit dans la précédente section, le Québec est une ancienne colonie française, qui a par la suite passé entre les mains de l’Angleterre. Aujourd’hui, le Québec, à l’image des poupées russes qui s’emboitent les unes dans les autres, est doublement enchaîné. Une première fois par un Canada anglophone qui possède des valeurs différentes de celles du Québec, et deuxièmement par une monarchie constitutionnelle qui rappelle au Québec, et même au Canada, qu’ils ne sont que des colonies.

La Martinique possède un passé plus sombre et violent que le Québec, où les chaînes étaient tangibles et la douleur physique. L’abolition de l’esclavage par la France en 1848 a redonné une condition humaine à ceux qui avaient été trop longtemps déshumanisés et catalogués comme des biens marchands. Le statut colonial de la Martinique est cependant demeuré, permettant de continuer à exploiter les ressources. L’esclavage était aboli, mais pas la domination. Les anciens maîtres blancs, les békés, continuaient d’exercer un contrôle absolu sur l’île.

La Seconde Guerre mondiale éclata un peu moins de 100 ans après l’abolition de l’esclavage. Un événement marquant arriva : la métropole, cette grande France si puissante qui avait dominé un si vaste empire, cette belle Marianne avec toute sa noblesse, tomba. L’occupation allemande eut de très fortes répercussions sur les colonies. Dans le cas de la Martinique, c’est l’amiral Robert qui fut responsable de faire respecter le gouvernement de Vichy. An tan Robè, c’était l’austérité sauvage et le blocus continental. Alors que les denrées matérielles étaient devenues quasi-inexistantes, celles intellectuelles étaient bien présentes. Le jeune Martiniquais Aimé Césaire, l’un des pères de la négritude, lança la revue culturelle et dissidente Tropiques. Ce cri de l’âme martiniquaise fut entendu par plusieurs, dont André Breton, le chef de file du surréalisme. L’écho d’Aimé Césaire résonna aussi aux oreilles de la population. À la fin de la guerre, la Martinique avait besoin d’espoir. Qui de mieux que celui qui sera désigné, des années plus tard, comme le nègre fondamental pour restructurer la colonie ? Dès la fin de la guerre, en 1945, Césaire fut élu maire de Fort-de-France et député.

Seulement une année après le début de ses mandats, Césaire proposa une loi de laquelle allait découler l’événement le plus majeur pour la Martinique depuis l’abolition de l’esclavage : la départementalisation. À ce moment précis de l’histoire, celui qui avait dénoncé avec véhémence le colonialisme, ancra la métropole dans les ports de la Martinique. Ce paradoxe entre le discours littéraire et celui politique a réalistement des causes multiples et complexes, qui sont discutées par Raphaël Confiant dans son livre « Aimé Césaire : une traversée paradoxale du siècle ». Une chose semble certaine, la départementalisation frappa durement le mouvement souverainiste martiniquais, qui avait pointé son nez.

Alors que le Québec a été à un cheveu d’avoir son indépendance, la population martiniquaise, pourtant avec un lourd passé colonial et une domination toujours présente, a massivement rejeté l’indépendance lors du référendum sur l'autonomie de la Martinique de 2010 où le non l’a remporté à presque 80 %. Comme déjà mentionnée, l’assimilation de la population québécoise a été impossible. Plusieurs différences fondamentales séparent le Québec du reste du Canada, comme la langue, les valeurs et historiquement la religion (catholique vs anglicane). Dans le cas de la Martinique, les esclaves ont été déracinés de leur culture africaine initiale jusqu’à ce que les générations oublient le riche terreau africain. Il ne faut cependant pas penser que les esclaves étaient dénués de culture, loin d’être stérile, au fur et à mesure que l’Afrique prenait ses distances, une nouvelle identité se formait et prenait place. Cette identité antillaise avait cependant une rivale : la culture française, dont l’hégémonie a été facilitée par la réalité insulaire de la Martinique. La départementalisation permit de renforcer le sentiment d’aliénation, donnant un masque français aux habitants de l’île. La création de cette aliénation, presque similaire au syndrome de Stockholm, est un tour de force majeure de la métropole. L’attaque frontale ne sert à rien. Telle que déjà évoquée, la dépossession culturelle africaine de l’esclave a permis l’émergence de l’identité antillaise. L’humain n’est pas un objet, il a besoin d’une identité et de pouvoir s’associer avec ses pairs pour vivre en communauté. Puisqu’il était impossible de stériliser les habitants de la Martinique, il fallait donc placer en eux, d’un point de vue européen, la « bonne » culture, celle française.

Cependant, l’emprise française commence à s’effriter, le filtre insulaire devient de plus en plus poreux grâce aux technologies de l’information. Plusieurs enfants ayant grandi dans les entrailles fécondes de la Martinique crurent que le sein de la France pouvait donner un lait plus nutritif. Ces enfants ont, pour la plupart, durement réalisé que la belle Marianne prônait une liberté, une égalité et une fraternité asymétriques pour l’accès à ses mamelles nourricières. Désillusionnés et le ventre creux, ces enfants qui ont parfois dû se nourrir de mépris retournent maintenant sous le couvert protecteur de leur mère biologique.

Tristement, plusieurs de ces enfants, comme d’autres demeurés au bercail, au lieu de se rassasier de la culture antillaise, tentent de troquer leur identité française contre celle africaine. Ce mouvement, souvent appelé « noirisme » est une nouvelle mascarade, ni meilleure, ni pire que la précédente aliénation. Cette quête identitaire affaiblit le mouvement souverainiste martiniquais. Au même titre que la population québécoise n’est pas française, celle antillaise n’est pas africaine. La population québécoise n’est pas non plus britannique ou canadienne, et celle martiniquaise n’est pas française. Le Québec et la Martinique ont leur propre identité, cette richesse qui définit un peuple et qui devrait rassembler au lieu de diviser.

En plus de diviser le mouvement souverainiste martiniquais, qui d’ailleurs se redéfinit avec l’arrivée du parti politique Péyi-A de Jean-Philippe Nilor, certaines personnes partisanes du « noirisme » succombent à la facilité de l’agressivité et du racisme. Tristement, le « noirisme » actuel peut faire penser au Front de libération du Québec (FLQ) à ses débuts. Inutile de rappeler que le FLQ a raté sa cible, à savoir promouvoir l’indépendance du Québec, et a plutôt blessé au fer chaud le mouvement souverainiste québécois, a justifié une intervention militaire au Québec et a apeuré la population. Espérons que la Martinique ne fera pas les mêmes erreurs. Une nation ne saurait être fière et féconde si elle est bâtie sur des actes de violence. Heureusement, les sphères intellectuelle et artistique martiniquaises sont solides et la littérature féconde. Souhaitons que la jeunesse comprenne que la vraie bataille va être gagnée en se réappropriant leur culture antillaise et en promouvant celle-ci, obligeant les autres nations à non plus considérer la Martinique comme un département français exotique, mais bien comme l’une de leurs sœurs.

            Autant pour le Québec que pour la Martinique, j’entends le même argumentaire contre la souveraineté comme quoi le nouveau pays serait incapable de maintenir une économie forte. Cette allégation est vraie et fausse, tout dépend du plan de déploiement et de comment le futur pays s’est préparé. La séparation de deux nations peut être vue similairement à un accouchement : un événement intense qui demande une préparation adéquate en plus de personnes de bonnes volontés et compétentes afin que les deux parties puissent devenir des entités individuelles et saines. Pourquoi se séparer dans la violence et l’anarchie, mettant ainsi les deux factions en péril ? La France fait partie intégrante de l’histoire du Québec et de la Martinique et a participé à leur culture, renier ce fait serait se renier soi-même.

L’autonomie d’une nation exige une préparation non négligeable afin de pouvoir reprendre le contrôle des services et de l’économie après la séparation d’avec le pays colonisateur. La séparation est souvent vue comme une cassure brutale, alors qu’elle devrait être un continuum. Pensons à Gandhi qui réussit à structurer l’indépendance de l’Inde par la non-violence. En plus d’avoir un message rassembleur, Gandhi comprit qu’il était impératif de favoriser les produits locaux afin de valoriser l’économie régionale au lieu de celle du pays colonisateur. La consommation locale, en plus de bâtir l’économie en générant des emplois, fait en sorte que chaque centime dépensé demeure dans le pays au lieu de partir à l’étranger, généralement à la métropole. Cette dernière va évidemment essayer de créer une dépendance chez la colonie ; l’émancipation commence donc par une réappropriation des ressources humaines et matérielles pour être autonome. Cela inclut un retour à la terre afin de cultiver fruits/légumes et élever des animaux. Le Québec fait face à un défi technique de taille à ce niveau. La majorité du territoire est recouverte de neige plusieurs mois par année, rendant difficile l’agriculture (mais pas impossible). C’est pourquoi un partenariat commercial avec d’autres pays producteurs va être nécessaire. Contrairement au Québec, la Martinique a un climat tropical et un sol volcanique riche. Malgré cela, les produits en Martinique sont significativement plus dispendieux qu’en France. Il est clair que la population martiniquaise doit favoriser et valoriser son économie locale. Bien sûr, plusieurs défis devront être relevés, comme la décontamination des sols pollués par le chlordécone et la résistance des békés, qui ne voudront certainement pas voir leur hégémonie s’effondrer. La Martinique doit donc recruter des experts pour la décontamination des sols et ses habitants doivent être solidaires pour favoriser les cultivateurs et les artisans locaux. La création de coopératives pourrait être l’une des solutions, tout comme la valorisation des marchés locaux aux dépens des grandes succursales.

Au moment de la séparation, il est aussi important, voire même crucial, d’avoir un gouvernement fort, mais surtout intègre et démocratique. Il ne faut pas remplacer la structure colonisatrice par un gouvernement corrompu qui va profiter du moment de fragilité du pays pour instaurer un régime totalitaire. Idéalement, les différents acteurs politiques, appuyés par le peuple, devraient déjà avoir une idée de quelle serait la constitution du nouveau pays. Le Québec, étant imbriqué dans une fédération, possède déjà une structure politique avec plusieurs compétences sous sa responsabilité. L’indépendance de la Martinique exigerait une refonte du système actuel afin de permettre une prise en charge des composantes présentement sous la juridiction française. Un second aspect délicat pour la Martinique va être d’éviter de remplacer un carcan par un autre. Une minorité d’individus, les békés, possèdent d’importantes ressources économiques et politiques. Afin de préserver une démocratie et des mesures sociales, il serait impératif d’empêcher la création d’un système néo-libéral par une poignée d’individus voulant devenir les gestionnaires d’un pseudo-état corporatif.

Plusieurs autres secteurs cruciaux doivent être sécurisés pour avoir une nation prospère, tels ceux reliés à l’énergie, l’éducation et la santé. Le Québec est l’un des plus grands producteurs d’hydro-électricité au monde, possède des universités compétitives à l’échelle internationale, avec des programmes permettant de desservir les différentes sphères sociétales, dont la médecine et la recherche scientifique. Le Québec s’est doté d’institutions qui pourraient lui permettre de devenir un pays fort et indépendant. En ce qui concerne la Martinique, elle est actuellement dépendante de l’EDF et n’a qu’une seule université dont certains programmes sont exclusivement proposés en Guadeloupe. Le soleil étant l’une des grandes richesses de l’île, celle-ci devrait favoriser l’énergie solaire, ne serait-ce qu’en donnant des subventions aux foyers pour qu’ils puissent se doter de panneaux photovoltaïques. Pour ce qui est de l’éducation, une autonomie de la Martinique exigerait une bonification de l’Université des Antilles pour couvrir les sphères actuellement délocalisées ailleurs.

Bien que l’indépendance pourrait aussi permettre une émancipation du créole, la langue française est aussi une richesse en Martinique, avec une impressionnante concentration de grands écrivains. Il est d’ailleurs intéressant de constater que plusieurs défenseurs de la langue créole sont aussi des écrivains chevronnés dans la langue de Molière, montrant que la cohabitation entre ces deux langues est possible. Pourquoi est-ce que les gens voulant étudier la littérature française devraient aller en France ? La Martinique devrait devenir un pôle intellectuel d’excellence et attirer des étudiants étrangers. Il ne faut pas oublier que la souveraineté ne signifie pas de se fermer aux autres. Bien au contraire, le nouveau pays doit se montrer fort et fier de pouvoir partager sa propre culture. Le pays naissant doit aussi être en mesure d’attirer de nouveaux citoyens afin d’avoir de nouvelles expertises et ainsi permettre une progression des différentes sphères sociétales. Au Québec, des thèses ont déjà été réalisées sur des sujets comme « Mélancolie postcoloniale: relecture de la mémoire collective et du lieu d’appartenance identitaire chez Patrick Chamoiseau et Émile Ollivier (Université de Montréal)», « La négritude et l'esthétique de Léopold Sédar Senghor dans les oeuvres de l'École de Dakar (Université du Québec à Montréal)» et « Étude sociocritique de Texaco de Patrick Chamoiseau (Université Laval)». Pourquoi ces thèses n’ont-elles pas été réalisées en Martinique, parmi les figures de proue des différentes œuvres littéraires et intellectuelles dont elles font l’objet ? Il est cependant vrai que le Québec à une facilité à reconnaître la qualité littéraire des penseurs martiniquais. L’Université de Montréal propose par exemple un cours intitulé « FRA 2143 - Littérature des Caraïbes » où plusieurs œuvres majeures écrites, entre autres, par Frantz Fanon, Édouard Glissant, Aimé Césaire, Raphaël Confiant et Jean Bernabé sont analysées. Le fait que la FNAC propose ces mêmes auteurs dans la catégorie « littérature étrangère » est révélateur. Comme Patrick Chamoiseau l’a mentionné dans une entrevue sur les clichés, la littérature martiniquaise est souvent qualifiée de « littérature au rhum ». Ironiquement, les œuvres de Guillaume Apollinaire, qui est né à Rome avec la citoyenneté polonaise, sont considérées comme l’une des fines fleurs de la poésie française. Qui oserait dire que les écrits d’Apollinaire ont une saveur de vodka ? Mais bon, Apollinaire a écrit ses œuvres lové dans le confortable giron maternel de la métropole. La qualité littéraire de certains enfants du rhum met cependant les grandes institutions françaises au pied du mur en les obligeant à reconnaître leur mérite. Je pense par exemple au membre de la prestigieuse Académie française Dany Laferrière, qui est né à Haïti et qui a emménagé au Québec à l’âge de 23 ans. Fier de ses origines multiples, il n’hésite à dire que son cœur est à Port-au-Prince, son corps à Miami et son âme à Montréal. Certains détracteurs diront que l’académie a simplement voulu montrer son ouverture et sa modernité, alors que d’autres crieront au rituel vaudou. Une chose est certaine, l’élitisme européen commence à se fissurer, faisant tranquillement place à une ère nouvelle qui sera, je l’espère, marquée par la liberté.

Les pays colonisés doivent être solidaires et apprendre les uns des autres. J’espère que ce texte aura permis de faire un pont entre le Québec et la Martinique. Alors que le mouvement souverainiste québécois renait, celui martiniquais se restructure. Le besoin viscéral d’émancipation bouillonne dans plusieurs autres endroits du monde, dont la Catalogne, la Corse et la Nouvelle-Calédonie. Peut-être vivrons-nous une seconde vague de décolonisation permettant de rétablir la liberté aux oubliés de la première vague des années 1960 ?

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