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« Le mariage de plaisir » de Tahar BEN JELLOUN

Marie-Noëlle RECOQUE DESFONTAINES
« Le mariage de plaisir » de Tahar BEN JELLOUN

Dans cet ouvrage, Tahar Ben  Jelloun nous révèle, pour le dénoncer, un grave travers propre à ses compatriotes marocains, à savoir leur racisme à l’égard des Africains noirs. Racisme transmis au fil des générations, la traite arabo-musulmane ayant duré près de 14 siècles. L’histoire qu’il nous raconte se déroule au départ, dans les années 50, à l’époque du protectorat français mais à la fin, il sera question du racisme actuel exercé à l’égard des immigrés et des clandestins subsahariens entrés au Maroc. L’auteur pointe du doigt, par ailleurs, l’hypocrisie d’une société s’affirmant religieuse tout en manquant souvent d’humanité.

Tahar Ben Jelloun utilise les techniques du conte pour retracer la saga d’une famille sujette aux discriminations qu’il entend stigmatiser. Il nous transporte dans le temps et dans l’espace. Les déplacements sont divers, les rencontres nombreuses. Nous faisons connaissance à Fès avec Amir un marchand d’épices marié très jeune à Lalla Fatma - un mariage arrangé. Il a quatre enfants dont Karim un enfant intelligent et doux atteint d’un retard mental. Fès nous est décrite comme une ville dont les traditions et la culture se confondent avec les valeurs de l’islam. La mise en esclavage des noirs y a de tout temps été jugée naturelle. Les habitants ont par ailleurs un complexe de supériorité à l’égard des autres Marocains. Pour s’approvisionner en denrées Amir se rend régulièrement au Sénégal où il contracte, selon les recommandations de sa religion et pour un temps limité, un mariage dit de plaisir avec une femme du lieu, en l’occurrence Nabou, une jeune Peule très belle,  à la peau très noire. Dans un monde où aimer d’amour est considéré comme une faiblesse, voire une anomalie, Amir contre toute attente tombe amoureux de Nabou. Il lui propose de venir avec lui. Nabou aussi est amoureuse et elle décide de tenter l’aventure. Elle  n’écoute pas son frère qui la met pourtant en garde : « Là-bas, la prévient-il, tu seras une double esclave : la nuit il fera de toi sa femme de plaisir, la journée tu seras l’esclave domestique. »

Au Maroc, elle ne sera pas bien reçue et sommée par l’épouse blanche de rester à sa place, de lui obéir et de ne pas l’importuner avec son « odeur spéciale » de négresse. L’épouse s’aperçoit très vite que l’attachement de son mari pour la jeune Sénégalaise est empreint d’une grande sensualité mais aussi d’une profonde complicité sentimentale. Il parle maintenant d’en faire légalement sa seconde épouse. La polygamie est comme on va s’en apercevoir source de frustration. Les femmes en souffrent, même si elles font l’effort de se résigner pour se comporter selon les injonctions religieuses en «bonnes musulmanes». Les enfants souffrent aussi - excepté Karim, les trois autres enfants d’Amir prennent parti pour leur mère, ce qui rend leur père malheureux, mélancolique.

L’épouse sénégalaise se trouve enceinte. L’épouse marocaine fait intervenir le sorcier pour provoquer une fausse couche car elle ne supporte pas l’idée qu’un enfant noir porte le même nom que son fils. Nabou met au monde des jumeaux, l’un blanc et l’autre noir. Ils grandissent. Hassan le noir aide son frère Houcine dans sa boutique, on le prend pour le domestique de son jumeau. Sa couleur de peau le condamne à subir des échecs et des déconvenues dans une société où le racisme coule de source. L’histoire finit mal.

En contrepoint à ce conte cruel, Tahar Ben Jelloun nous brosse le portrait d’un Marocain de bonne volonté et imperméable aux préjugés. Amir se sent africain. Si ses contradicteurs trouvent dans le livre sacré des arguments justifiant leur racisme, pour lui, dieu a créé les hommes différents pour qu’ils se rencontrent, se connaissent et s’entraident. Par  le biais de quelques scènes réalistes, Tahar Ben Jelloun s’inscrit en faux contre une conception négative de la femme et de la sexualité liée à des impératifs attribués par certains à la religion. Nabou est une femme amoureuse libre de son corps, libre d’aimer et pour Amir le musulman, c’est une révélation. L’humanité d’Amir est mal comprise par ses compatriotes qui le jugent naïf - naïf comme son fils Karim, un personnage positif du roman qui évolue indifférent à la méchanceté ambiante.

En 1984, Tahar Ben Jelloun a publié un essai sur le racisme en France intitulé « Hospitalité française ».  En 2002, il a écrit «  L'Islam expliqué aux enfants (et à leurs parents) » et en 2009, il a publié  « Le racisme expliqué à ma fille ». On doit à l’honnêteté intellectuelle de Tahar Ben Jelloun d’interpeller ses compatriotes et coreligionnaires quant à la pertinence de certaines de leurs représentations de l’Humanité. Prix Goncourt en 1987 pour son roman « La nuit sacrée », Tahar Ben Jelloun a obtenu en 1991 pour « Les Yeux baissés » le Prix des Hémisphères, qu’il est venu recevoir en Guadeloupe.

        Marie-Noëlle RECOQUE-DESFONTAINES

« Le mariage de plaisir » de Tahar Ben Jelloun (Gallimard, 2016)

 

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