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Le Marché en Fer, victime de l’incurie de l’État en Haïti

Par Nancy Roc
Le Marché en Fer, victime de l’incurie de l’État en Haïti

« Impossible de savoir combien nous avons perdu, mais ce sont des millions qui se sont envolés en fumée », se désole Michel, 52 ans, un marchand sur place. « Les marchandes hurlaient et pleuraient ce matin (13 février) lorsqu’elles sont arrivées. C’était terrible », conclut-il en baissant la tête.

Dans la nuit du 13 février, alors que tout Port-au-Prince célébrait le carnaval national, un incendie a ravagé une grande partie du marché en fer, au bas de la ville, a constaté AlterPresse. Les dégâts sont considérables. Appelé aussi marché Hyppolite, il est le plus connu des marchés publics de la capitale d’Haïti et l’un des monuments les plus emblématiques de la ville. Construit dans les années 1890 à l’initiative du président Florvil Hyppolite, il a été victime de plusieurs incendies jusqu’en 2008 et laissé à l’abandon suite au dernier sinistre qu’il a subi cette année-là.

Aujourd’hui, les marchandes l’appellent aussi le marché Digicel, depuis que l’homme d’affaire irlandais Denis O’Brien, propriétaire de la compagnie de téléphonie mobile Digicel, y a investi 18 millions de dollars pour financer les travaux de reconstruction après le séisme de 2010. Depuis, le marché en fer avait repris sa place sur les circuits touristiques d’Haïti et arborait fièrement ses nouvelles couleurs chatoyantes.

« C’est avec des larmes aux yeux que j’ai pu constater les dégâts de l’incendie au Marché en Fer tôt ce matin. Mes pensées vont aux marchandes et leurs familles qui ont tout perdu. Que ceci nous donne des forces pour dire ASSEZ ! et de nous battre pour une Haïti meilleure » a tweeté Maarten Boute, PDG de Digicel dans la matinée du 13 février 2018.

Sur place, le feu brulait encore en milieu de matinée à l’intérieur du marché. Les étals des cosmétiques et produits alimentaires sont partis en fumée même si d’autres produits ont pu être sauvés. Le feu était si puissant que les poutres en fer du toit ont été déformées par la chaleur ardente. L’odeur de la fumée âcre n’a pas empêché la présence de nombreux badauds venus apporter leur solidarité aux marchandes ou prendre des photos du sinistre. La police était également présente.

Port-au-Prince sous le choc

Au matin du 13 février, les Port-au-Princiens se sont réveillés sous le choc en apprenant qu’un nouvel incendie avait frappé ce marché et les soupçons n’ont pas tardé : « L’origine de l’incendie d’un marché public en Haïti est rarement accidentelle. Elle est soit politique soit criminelle. Les groupes antagoniques qui s’agglutinent autour des cartels municipaux permettent facilement de remonter la filière criminelle. La politique, c’est autre chose », a tweeté l’ex-directeur général de la Police Nationale d’Haïti, Mario Andresol.

Pourtant, cette fois-ci, il semble que ce soient des détritus qui seraient à l’origine de l’incendie souligne le quotidien Le Nouvelliste. « Des fatras qu’on brulait seraient la source du sinistre. Le feu a débordé et s’est propagé de point en point jusqu’à atteindre le Marché en fer ». Cette hypothèse corrobore les propos de Max, 58 ans, rencontré au marché ce matin : « Je ne sais pas comment le feu a éclaté mais il a commencé vers la Maison Accra et, avec le vent, il est arrivé au marché », a-t-il déclaré à AlterPresse. Selon lui, les camions pompiers n’avaient pas d’essence lorsque les gardes de sécurité ont appelé le service des pompiers.

Port-au-Prince, ville de plus de 3 millions d’habitants ne dispose pas de service de lutte contre les incendies depuis des années et, selon Le Nouvelliste, ce sont d’autres pompiers de municipalités adjacentes de la ville qui ont dû intervenir.

Le populisme n’apporte que de la malpropreté

« Cet incendie est essentiellement dû à l’incurie de l’État dans toutes ses composantes, que ce soit les municipalités ou l’État national. On n’a jamais pu gérer Port-au-Prince en respectant un minimum de normes », a déclaré le Professeur Auguste D’Meza en interview pour AlterPresse. Pour lui, ce qui s’est produit aujourd’hui au marché Hyppolite peut se produire demain à l’aéroport ou n’importe où. « Prenons l’exemple du carnaval : tout le monde sait que cette activité est municipale. On parle du carnaval de Port-au-Prince mais les autorités gouvernementales, pour pouvoir voler et piller, ont créé un concept fallacieux qui n’existe pas : le carnaval national. Donc la mairie est dépourvue de tout et ne dispose même pas de camions bennes pour ramasser les détritus dans les rues. On a créé une espèce de monstre, le Service métropolitain de collecte de résidus solides (SMCRS) ; mais comme les détritus ne sont pas une priorité, on y a placé des quasis analphabètes pour gérer cette institution. Quant à l’élite qui habite Pétion-Ville, elle refuse de voir la saleté de cette capitale et lorsqu’elle veut voir une forme d’esthétique, elle prend l’avion pour se rendre à Saint Domingue. Miami ou en France. Donc, je m’excuse, mais finalement, Donald Trump avait raison en nous taxant de pays de merde ».

Port-au-Prince affiche un visage hideux. Non seulement le chaos urbain caractérise cette ville mais la saleté y est omniprésente : dans les rues comme sur les murs. Les trottoirs et de nombreuses devantures de magasins sont envahis par les marchandes qui produisent, elles aussi, beaucoup de déchets, en absence d’alternative municipale.

Depuis décembre 2017, les marchandes de ‘’Pèpè’’ (vêtement usagés) se sont multipliés à une telle vitesse, qu’elles envahissent les rues du bas de la ville, jusque dans celles des montagnes, sans aucune intervention des différents maires de toutes les municipalités affectées par ce phénomène qui défigure encore davantage le visage repoussant de Port-au-Prince. Alors, la capitale haïtienne est-elle encore gérable ? « On ne peut pas gérer la capitale si on ne gère pas le pays. C’est un processus global. Il faut que nous arrivions à rompre avec les gouvernements populistes. Le populisme, quelle que soit son orientation, n’apporte que de la malpropreté, désolation, misère et rien d’autre », conclut le Professeur Auguste D’Meza.

*Nancy Roc est journaliste indépendante et spécialiste en communication. Depuis 30 ans, elle milite pour l’environnement en Haïti.

Crédits photos : Nancy Roc
Sauf photo du marché restauré : crédit Digicel

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