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LE "JOURNAL DE PRISON" DE RAPHAEL CONFIANT (4è partie)

LE "JOURNAL DE PRISON" DE RAPHAEL CONFIANT (4è partie)

   La nouvelle de l'incarcération de l'écrivain-universitaire Raphaël Confiant a fait le buzz en Martinique et même au-delà. Un méga-buzz ! Une profonde émotion doublée d'une véritable jubilation : enfin, ce mafieux dort désormais en prison malgré ses puissantes protections maçonniques. Des centaines de mails, des milliers de textos ont circulé pour annoncer la bonne nouvelle car le bon peuple commençait à douter de la justice et à désespérer. Sa mise en examen pour "détournements de fonds publics en bande organisée" par le Procureur de la République à Fort-de-France date, en effet, de bientôt deux ans et on ne voyait rien d'autre venir. On redoutait qu'il réussisse à passer à travers les mailles du filet. C'était sans compter sur l'opiniâtreté de trois honnêtes citoyens, Fred Célimène, Camille Chauvet et Romain Cruse qui n'ont eu de cesse de dénoncer jour après jour les tortueuses malversations financières de l'écrivain-universitaire. Il dort en prison à Ducos certes mais reste à retrouver les 10 millions d'euros qu'il a sournoisement dérobés dans les caisses de l'Université des Antilles. Nous poursuivons, par magnanimité, la publication de son "Journal de prison"...


                                                                      *** 
   Le maton qui nous a à l'œil dans le couloir où se trouve ma cellule est furax : il est obligé depuis trois jours de me porter une tonne de courriers alors qu'il traîne la patte, séquelle, je suppose, du chikungunya qui a ravagé notre île l'an passé. Ben oui, quoi ! Mon incarcération, quoique préventive, a soulevé une vive émotion non seulement parmi mes pairs de Ravine Touza, mais aussi et surtout dans toute la population. Moi qui ai toujours pratiqué le vivons heureux, vivons cachés (le"trafiquons cachés..." plutôt pour être pour une fois honnête), qui ne montre jamais ma tronche à la télé ni ne parle à la radio, qui ne signe aucun article dans la presse, qui signe rarement moi-même les documents concernant mon labo de recherches, le MIACEREG, me voici livré en pleine lumière à l'attention du plus grand nombre ! Hé merde ! Tout ça à cause d'une bande d'incompétents, menés par une Résidente, qui jalousent les cons pétants de mon équipe parce qu'on est et qu'on a toujours été les meilleurs en matière de pompage du fric européen.
   Bon, ça me fait plaisir tout de même de recevoir toutes ces cartes postales. Maître Féfé du Morne-Vert se dit prêt à me fournir en "yanm-chacha", Man Ilmanise du Vauclin (tiens, mon lieu natal !) en langoustes non-chlordéconées, sinon y'a des tas de femmes en quête du petit job de visiteuse de prison qui espèrent qu'au lendemain de ma libération je les aiderai à trouver ce point G qu'elles cherchent en vain depuis des lustres. Et surtout à partager les 10 millions d'euros (je suis tout de même pas né de la dernière inondation !). Chacun sait, en effet, que je ne suis pas misogyne et que j'ai toujours montré le plus grand respect envers la gent féminine. Sauf que là, dans cette prison de merde, y'a de l'abus ! 

   Oui, de l'abus !
   Voici qu'hier matin, le maton se radine avec une bonne femme dans la cinquantaine avec de grosses lunettes et en surcharge pondérale dans son tailleur strict et trop serré, qui marche au pas cadencé comme si dans une vie antérieure, elle avait fait un séjour chez les Marines.
   __Visite de la psychologue ! me lance le maton en tournant les talons.
   __Quoi ?
   __C'est obligatoire, gueule-t-il. Prévu dans le règlement, si tu préfères ! Alors, fais-pas chier la dame et répond gentiment à ses questions ! Je suis dans le couloir. A la moindre connerie, je te fais ta fête, mon gars !
   Sans un mot ni un regard pour moi, la dame s'assied sur mon lit et se met à consulter un gros dossier dans une chemise à couverture bleue. Ca dure dix minutes, puis vingt. Tatie Freud n'en a cure de ma personne et continue à tripatouiller méthodiquement ses liasses de feuilles. Moi, les seules liasses que j'aime, c'est celles de biftons de 500 euros. Le genre de billet que le vulgum pecus n'aura jamais l'occasion de voir, pas même un seule, de toute sa vie. Pas même en rêve ! Sinon, elle commence à me les brouter menu, cette pétasse. Je suis un être humain après tout, non ?
   __Votre moral tient la route ? me lance-t-elle négligemment au bout d'un moment, le nez toujours fourré dans sa paperasse.
   La route ? Elle en a de belles, Tatie Freud ! Je suis enfermé dans une cellule de trois mètres sur quatre et madame me cause de grands espaces. Je grimace et ne réponds rien. Je respecte la règle de la mafia : ne parler qu'en présence de son avocat. Etre comme l'eau : incolore, inodore et sans saveur. Enfin, disons plutôt : invisible, inaudible et sans humeur.
   __Bon, vous êtes un intello, je ne vais pas passer par quatre chemins comme pour le détenu lambda. Je vais allez droit au but, cher monsieur : seriez-vous en proie à des pulsions autodestructrices ?
   __Quoi ?
   __Avez-vous l'intention de vous suicider ?
   Non, mais t'es dingue, Tatie Freud ! C'est toi la folle à lier, pas moi. J'ai 10 millions d'euros planqués aux îles Caymans et tu voudrais que l'idée de me pendre à l'aide du drap de mon lit me traverse le ciboulot. Non, mais ça va pas la tête, Miss Gras double ! Toi non plus, tu m'as pas l'air d'avoir trouvé ton point G alors que même Hillary Clinton y est parvenue selon Fox News (eh oui, ils ont fini par accepter de me mettre la téloche dans ma cellule, mais ils l'ont bloqué uniquement sur des chaînes en ingliche, histoire de me casser les bonbons, je suppose). Me suicider ? Pff !Psychologue de mes deux, va !
   __Je compte retrousser ma langue et l'avaler comme le faisaient certains esclaves, fais-je, il y a un vers célèbre de Césaire qui évoque cette pratique. Vous le connaissez évidemment...
   Tatie Freud me bigle, interloquée. Comme tout bon natif de l'île aux fleurs, elle a lu le Père de la Négritude, mais, pour dire la franche vérité, seulement les titres de ses ouvrages : "Cahier d'un retour au pays natal", "Et les chiens se taisaient", "Texaco"...heu, non, qu'est-ce que je raconte ?..."Texaco" c'est un autre qui a écrit ça. Bref, elle me dévisage, fort inquiète pour ma santé mentale et griffonne à toute vitesse des trucs, sans doute psychanalytiques, à mon sujet sur un petit carnet. Puis, s'arrêtant brusquement, elle me lance en me regardant droit dans les yeux et en détachant chaque syllabe :
   __Je constate, cher monsieur, que vous êtes dans un état psychologique parfait. Vous cherchez même à me charrier. C'est bien !...Seulement, je viens de relire votre dossier et je constate que vous serez bientôt interrogé pour, je cite, "exercice de façon prolongée de la fonction de gérant d'une société commerciale en violation de l'article 25 de la loi N° 83-634 du 13 juillet 1983". Vous êtes pourtant fonctionnaire ! Je vous souhaite donc bien du plaisir. Ce ne sera évidemment pas moi qui vous interrogerai. Au revoir, monsieur !
   Et de remballer ses dossiers, un rire sardonique sur les lèvres, de héler le maton et de retirer ses pieds de ma cellule. Conasse, va ! Je suis pris d'une enrageaison sans nom de vonvon digne d'un couillon de Ti Sonson qui vient de constater pour de bon le vol sans oraison ni raison de son mouton alors que c'est pas la saison, mais tout ce que je peux faire, c'est me cogner l'occiput sur les barreaux de ma cellule...
                                                                          (à suivre)

Commentaires

Apache | 10/11/2015 - 23:25 :
Un roman-feuilleton engagé pour lequel on se passionne ... On attend de connaître la suite aussi bien dans le réel que dans la fiction.

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