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Le gouverneur de Sousse, le trac et la langue du colon

Sadi KHIARI
Le gouverneur de Sousse, le trac et la langue du colon

Prenant la parole, à Nice, devant le président français et deux de ces prédécesseurs à l’Elysée, le gouverneur de Sousse, Adel Chelioui, a pitoyablement maltraité le discours en français qu’il avait rédigé ou qu’on a rédigé pour lui. Malgré les circonstances (commémoration de l’attentat du 14 juillet 2016), le public, une foule de grands personnages, a eu visiblement du mal à retenir ses rires devant la prestation ridicule du responsable tunisien.

Un peu l’ambiance d’une salle de classe, lorsque le mauvais élève, appelé au tableau pour réciter une quelconque poésie, se prend les pieds dans les vers, mélange les strophes et cassent le rythme et les rimes. Comme dans une salle de classe aussi, l’un des élèves, le plus méchant, le plus brut, le plus éveillé souvent aussi, le moins inhibé en tous cas, ne prend pas la peine de cacher sa bonne humeur. Alors que le gouverneur tunisien, en sueur, accablé, le visage puant l’embarras et la honte, ânonnait son discours, l’ancien président Sarkozy, jubilant, grimaçant, indécent, pouffait sans aucune pudeur des gaucheries de l’orateur. Voilà en gros ce qui s’est passé ce 14 juillet à Nice et qui a provoqué sur les réseaux sociaux et les médias tunisiens en ligne une tornade de commentaires hostiles au gouverneur de Sousse. Des moqueries qui n’ont pas été sans me rappeler les moqueries semblables dont Hamadi Jebali a été victime en son temps.

Adel Chelioui ne nous aurait pas fait honneur ; il nous aurait foutu la honte. A travers lui, c’est tout le peuple tunisien qui aurait été ridiculisé et humilié. Notre image en aurait été salie. On s’interroge sur les conditions de sa nomination, on regrette que ce soit lui et non un autre, réputé maitriser le français, (le maire de Sousse ou l’ambassadeur de Tunisie en France) qui ait été désigné pour représenter la Tunisie à cette cérémonie. En d’autres termes, pour faire bonne figure, pour mériter le respect des autres, et visiblement de nous-mêmes, il nous faut maitriser le français. Posséder la langue de Pétain et du Maréchal Bugeaud serait un nouveau critère de compétence pour le choix des responsables et de ceux qui nous représentent. La constitution fait le constat et affirme comme un choix politique que la Tunisie est un pays de langue arabe ; le peuple tunisien, à de rares exceptions, pensent en arabe, mais notre orgueil serait dans la maitrise du français.

Le plus grave est sans doute la réaction du gouverneur lui-même face aux attaques dont il a été l’objet. Au lieu d’envoyer balader ses contempteurs, il a cherché à se justifier d’une manière qui leur donne en partie raison : face à trois chefs d’Etat, j’ai eu le trac, s’excuse-t-il. Je maitrise plein de langues y compris le français. Le protocole, prétend-il également, m’obligeait à intervenir en français. Soit ! Alors, il aurait du rire lui-même de ses maladresses, faire dans l’autodérision, ne pas laisser à un Sarkozy le privilège et le luxe de se bidonner en public. Mais non, Adel Chelioui a eu honte. Quelle tristesse ! Honte de ne pas parler français ! Honte en somme d’être un Arabe. Un Chinois aurait-il eu honte, lui ? Evidemment pas ! Un responsable français qui s’essaierait à l’arabe en Tunisie en butant sur nos consonnes aurait-il honte ? Pas plus que le Chinois. Il s’amuserait de ses erreurs et nos rires seraient pleins de bienveillance et de reconnaissance pour avoir fait l’effort de s’exprimer en arabe. Lui reprocherait-on en France d’avoir déshonoré son pays ? Peut-être. Mais seulement dans le sens où il se serait abaissé à parler dans notre langue.

Nous avons visiblement un problème avec la langue du colon. Nous n’assumons toujours pas la dignité de notre propre langue. Du moins, pas dans son rapport à la langue française, c’est-à-dire à la France. Nous devrions avoir avec elle un rapport strictement instrumental. Non, elle définit au contraire des hiérarchies. Je sais que je l’ai déjà dit mille fois. Je radote. C’est le propre de l’écriture dans un média que de radoter. Il y a quelques semaines, la France, par la voix de son ambassadeur, a annoncé un projet d’aide financière pour encourager la presse francophone. Cela n’a suscité à ma connaissance aucune réaction critique. Peut-être même certains s’en sont-ils félicités. Imaginons que nous ayons un peu d’argent et que nous décidions de financer les médias français arabophones (il doit bien y en avoir) ou que nos ambassadeurs plaident en faveur d’un renforcement de l’enseignement de l’arabe dans les écoles françaises, eh bien, cela susciterait en France un tollé du tonnerre du diable. J’imagine aussi le scandale que provoquerait en France, le fait que la Tunisie, Etat indépendant et souverain, décide de tout arabiser. La France, indécrottable habitude, veut se poser en modèle. En même temps, elle nous somme de ne pas suivre le modèle républicain d’unification et de centralisation linguistique qui est tout le contraire du pluralisme des langues qu’elle nous encourage à adopter.

Je n’entrerai pas ici dans la discussion. La question de la langue en Tunisie pour n’avoir sans doute pas la même complexité que dans d’autres Etats n’en demeure pas moins un problème épineux que l’on peut aisément constater en écoutant les chaînes de radio tunisiennes. Beaucoup d’entre nous sont partisans d’une politique volontariste d’arabisation, un point de vue que je partage, ne serait-ce que d’un simple point de vue démocratique. Il n’en demeure pas moins qu’une telle profession de foi fait l’impasse sur une difficulté réelle, en l’occurrence le décalage qui existe entre l’arabe parlé et l’arabe écrit, l’arabe bureaucratique, l’arabe littéraire et religieux, l’arabe autour duquel se construit et la mémoire et la communauté qui nous lient aux autres peuples de langue arabe. Comment articuler la langue de l’écrit à la langue de l’oral, dans le cadre d’une arabisation démocratique, je ne saurais le dire. Par contre, pour en revenir aux questions soulevées par l’affaire du gouverneur qui a le trac, il est certain que le français ne doit pas faire partie de notre équation linguistique nationale.

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