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Le BrExit est-il vraiment le résultat d’une démotivation de nature économique ?

Khal TORABULLY
Le BrExit est-il vraiment le résultat d’une démotivation de nature économique ?

Churchill : « Si la Grande Bretagne doit choisir entre l’Europe et le grand large, qu’elle choisisse le grand large… »

Ce 24 juin sera rappelé comme une date d’importance dans l’histoire de l’Union Européenne. Ces derniers jours, les prévisionnistes économiques annonçaient des apocalypses financières et économiques si le BrExit l’emportait, comme si ce seul argument aurait suffi à calmer les ardeurs du camp des « leave », motivé, me semble-t-il par des facteurs psychologiques, culturels et identitaires non négligeables… Lecture.

La montée des mouvements alternatifs et de l’extrême-droite – la deuxième force politique en Europe – paradoxalement, pourrait fournir une première explication à la victoire du Non référendaire anglais, impliquant la sortie de la GB de l’UE. Les Podemos, 5 étoiles, Occupy ou Nuit debout (1 ) sont des indicateurs que de nombreux citoyens européens, et surtout les jeunes –  ont désormais crée un mouvement politique contestant le bipartisme, l’establishment, la mondialisation financière, la spéculation, les diktats du marché, la précarité que l’élite bureaucratique sert à tour de bras aux peuples de l’Europe. Si ces deux mouvements, opposés idéologiquement, se développent sur le même terreau des dégâts réels ou supposés de la globalisation et du rejet des technocrates et des eurocrates, chaque camp est clivé sur un facteur : le rapport à l’identité, l’altérité, et son pendant explosif, le problème des migrants et des réfugiés fuyant les guerres créées par les géopolitiques pétrolifères et gazières des superpuissances, notamment au  Moyen-Orient. Ukip, le mouvement d’extrême-droite qui a surfé sur la vague de désaffection sociale et économique en GB, fidèle aux programmes démagogiques et xénophobes (2) de ses comparses européens, a instrumentalisé la peur « d’invasion » -  potente pour un peuple d’insulaires qui a résisté aux invasions navales de Napoléon et des nazis, parmi d’autres – que les médias alarmistes ont réactivé chaque jour, créant l’impression d’une crise humanitaire d’envergure en Europe, capable de faire éclater celle-ci, tant ses réponses sont inappropriées. Le problème n’était pas tant le nombre de réfugiés fuyant les guerres sur des frêles esquifs de fortune – le Liban et la Turquie accueillant bien plus de réfugiés de guerre que l’Europe entière – que l’idée que les frontières sont poreuses, que la forteresse Europe, justement, ne l’était pas, et que cela mettait en danger l’identité européenne, puis, nationale. Aussi l’Ukip comme le FN en France, a tôt fait de lier le problème des afflux des réfugiés et la nécessité de revoir les accords de Schengen, afin de revenir aux frontières nationales « étanches »... Notons que 10 novembre 2015, le même Cameron qui est aujourd’hui pris à son propre piège, formulait ses demandes de négociation à Donald Tusk, président du Conseil européen : il fallait revoir la gouvernance économique, la compétitivité, la souveraineté et l’immigration, selon une spécificité anglaise. Sur ces deux derniers points, il voulait sûrement désamorcer les craintes des anglais, mobilisés sur des problèmes identitaires et couper l’herbe sous les pieds de l’Ukip…

Les réfugiés, moteur secret de l’euroscepticisme populiste ?

Ce problème des réfugiés, me semble-t-il est le catalyseur de la face menaçante de la mondialisation où l’autre a pris la figure encore plus menaçante du moyen-oriental pauvre, parent du terroriste ou du noir désargenté  parti à l’assaut des pays nantis, comme jadis les hordes barbares des steppes. Avec l’affaiblissement progressif des états face aux diktats financiers et le triomphe de l’hyper libéralisme en Europe, une nette désaffection vis-à-vis de l’establishment politique logé à Bruxelles est palpable. Celui-ci est perçu comme une entité mystérieuse agissant contre les peuples,  à tel point que le sentiment populaire dominant est que le projet européen est désormais aux mains des bureaucrates assimilables à un politburo prêt à dicter les lois du capital à l’Europe des peuples et des travailleurs, livrés à la précarité grandissante et un monde violent où l’on a réactivé les croisades et « la guerre sans visage et sans fin » annoncée par Bush. L’Europe est dépassée face à ces « invasions », comme si elles étaient nées du néant. L’amalgame est vite fait entre ces êtres menaçants et la crise, soulignant l’incapacité des élites à Bruxelles.

Rappelons que la croyance que la finance a remplacé le pouvoir politique est dans la tête de nombreux citoyens. Les crises grecques, espagnoles, portugaises ont porté un coup de boutoir face à cette Europe « solidaire » soumise aux politiques d’austérité et à des politiciens coupés de leurs peuples. Aussi, les menaces d’écroulement de la City ou l’affaissement de la livre sterling ou de l’euro n’ont pas eu un quelconque effet sur les anglais à la veille du référendum, qui, de toute façon se paupérisent, nonobstant une frange riche qui ne cesse de s’enrichir par des moyens spéculatifs... Face à ce sentiment de perte de protection et d’inefficacité de l’élite, les éléments médiatiques polarisant les peuples sur la peur de l’invasion des « barbares », sur la dissolution de leur identité atavique et la menace sécuritaire,  ont été des facteurs décisifs dans ce NON anglais. La sociologie électorale est parlante à cet effet : Londres, abritant la City, cosmopolite dans son essence et les jeunes ont été dans le camp des « remains », les autres villes et la campagne, plus « anglaises », ont voté pour le « leave ».

Le UK Independent Party, parti xénophobe et europhobe de Nigel Farage, remporte là une victoire politique incontestable. Marine Le Pen, en France, a tôt arboré la victoire du BreXit sur sa page FB ce jour, dont le slogan est « Et maintenant la France ! », et changé la photo de son profil en y affichant l’Union Jack de la perfide Albion. Elle demande que les peuples d’Europe puissent exprimer leurs sentiments d’indépendance, se coupant de l’Europe des spéculateurs et des technocrates favorisant les réfugiés, pour reprendre son discours xénophobe , au détriment des nationaux. Cette contagion référendaire du BreXit exprimée par les frontistes n’est pas qu’un vœu pieu. Aujourd’hui même, Martin Schulz, le président de l’UE a exprimé ses craintes d’une « réaction en chaîne » en Europe, qui serait le signe d’un soulèvement des peuples contre l’appareil de l’UE, dont le projet ne semble plus faire écho chez les peuples laminés par la fragilisation des économies et la montée des puissances asiatiques. Il a aussi fustigé le rôle de Cameron, qu’un journal anglais qualifie aujourd’hui du pire PM de son histoire.

Je pense que cette sortie anglaise conforte massivement le camp des eurosceptiques, qui, prônent aussi une sortie de l’euro, difficulté que l’économie anglaise n’aura pas, étant reliée à la livre britannique. Rappelons que beaucoup retrouvent leurs calculettes, regrettant le temps du franc français, où une baguette coûtait environ un franc (environ quinze centimes d’euro) alors qu’elle coûte environ un euro de nos jours ! L’euro, disent-ils, nous a appauvris et les politiques nous ont roulé dans la farine … Serait-ce là la boîte de Pandore ouverte pour une expression des déçus face à une machine lourde, qui semble tourner à vide pour beaucoup ? Déjà, les écossais pensent à un référendum pour décider de leur sortie du Royaume-Uni (que d’aucuns qualifient de désuni) tout comme les catalans qui voient là l’occasion de relancer leur désir d’autonomie en Espagne. Je gage que ce thème de l’eurosortie sera dense pour les élections de 2017, avec une Marine Le Pen décidée d’engranger le BreXit dans son capital politique, elle qui a souvent fustigé les bureaucrates de Bruxelles pour leur déconnexion des réalités des pays et pour leur manque de contrôle aux frontières. Cette victoire du non alimente donc les mouvements populistes européens qui ont pris de la distance avec leur instance supranationale (Bruxelles), préférant un repli sur les frontières historiques, avec des réponses simples dans un monde complexe. La notion de « déficit de démocratie », prégnant dans les discours des mouvements citoyens et des partis populistes, trouve ici un combustible qui n’est pas prêt de de s’éteindre.

Quelques conséquences de cette victoire du camp des « leave »

La livre anglaise est descendue au plus bas depuis 1985. Mais je pense que l’économie anglaise, étant beaucoup plus « globalisée » dans son essence que nombre de celle des pays de l’UE, pourra résister au choc de la sortie de l’UE. C’est pour cela qu’imiter le non anglais me paraît plus risqué pour d’autres pays car ils n’ont pas la surface politique, culturelle et commerciale que l’Angleterre a mise au point sur les décombres du plus grand empire du monde, le sien, sous le nom du Commonwealth (la « richesse commune ») qui contribue à hauteur de 17.7% de la richesse mondiale (comparée à 15.3 % pour l’Europe) et sur la prégnance de sa langue, du Canada aux EU, en passant par Singapour, l’Inde, l’Australie ou Hong Kong. Cet élément d’une mondialisation « contrôlée » par le Commonwealth, que les anglais ont dans la balance, en tant qu’état souverain (3), a dû agir comme un catalyseur dans leur décision de quitter le centre de décision bruxellois dont les bénéfices n’étaient pas assez perceptibles pour les eurosceptiques. L’élément le plus coercitif sera, évidemment, la question de visas pour un pays dorénavant hors EU, tout comme les problèmes que rencontreront les centaines de milliers de français et d’européens travaillant en GB, notamment au niveau de la retraite, des soins ou des droits du travail. Il est à prévoir que des grands groupes, au vu des taxes européennes à payer, franchiront la Manche. L’UE pourrait ainsi récolter quelques bénéfices dans l’instauration de ces nouvelles frontières. Mais, les mois qui sont devant nous seront loin d’un divorce serein…

Le choix d’un « isolationnisme glorieux » ?

Napoléon, jadis, qualifiait les anglais de « nation des boutiquiers », expression qui n’avait pas offensé les britanniques outre-mesure, sachant que le petit caporal n’était pas si loin de la vérité. Cette même nation des boutiquiers vient de quitter un marché de 500 millions de consommateurs (même s’il ne s’agit pas de stopper le commerce outre-Manche, mais de le régler à l’aune d’un échange douanier extra-européen). Elle a, à mon sens, en fait voté pour ce qu’elle considère comme une réaffirmation de son exceptionnalité, gardant son indépendance entre une union outre-Atlantique, avec les USA, et outre-Manche, avec l’Europe. Je pense que les « leave » ont exprimé leur désir pour une identité insulaire encore plus exceptionnelle, avec plus de liberté dans la conduite de leur nation, slogan que l’UKip a développé lors de sa campagne pour le BrExit. Les peurs liées aux problèmes des réfugiés et le terrorisme dans un monde précarisé ont beaucoup pesé dans ce référendum qui fait croire au camp du « leave » anglais qu’ils ont enfin retrouvé leur souveraineté nationale, loin des bureaucrates de Bruxelles, coupés des peuples. Ils considèrent que ce vote est le prélude à la défense de l’identité aux frontières d’une île qui a toujours été une exception aux flancs de l’Europe. Les mois à venir diront ce que leur décision vaudra et comment l’UE pourra rester debout après ce punch insulaire susceptible de donner le vertige à tout un continent…

© Khal Torabully, 24 juin 2016

Notes :

(1) Lire mon carnet d’immersion à Nuit Debout : https://blogs.mediapart.fr/pierre-carpentier/blog/170416/le-carnet-dimme...

 (2) Il y a deux jours la campagne d’affiches de l’UKIP a clairement rappelé un affiche nazie : http://www.aljazeera.com/indepth/features/2016/06/brexit-anti-immigratio...

 (3) Cf. cet article : http://news.nationalpost.com/news/world/matthew-fisher-brexit-dreamers-h...

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