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LE 19 AVRIL 2008, LE PERE DE LA NEGRITUDE S'ETEIGNAIT

LE 19 AVRIL 2008, LE PERE DE LA NEGRITUDE S'ETEIGNAIT

   Vieillir est un privilège car beaucoup de gens n'ont pas cette chance. Aimé CESAIRE, Joseph ZOBEL ou Edouard GLISSANT l'ont eue. Pas Frantz FANON, Vincent PLACOLY ou le chanteur MONA. Le premier nommé, Aimé CESAIRE donc, vécut nonagénaire et accomplit tant de choses extraordinaires pour son pays, mais aussi pour ce que l'on appelle "le monde noir" ainsi que pour tous les opprimés de la terre, qu'on ne devrait avoir aucune hésitation à le classer dans la catégorie rare des génies (comme disent les Occidentaux), des grandes âmes (comme disent les Indiens) ou encore des Baobabs éternels comme on dit en terre d'Afrique.

Afrique justement que CESAIRE fut le premier à réhabiliter à nos yeux et à nos cerveaux déstructurés par des siècles d'esclavage. Afrique dont l'immense poète qu'il fut déclarait qu'elle survivait, qu'elle brûlait encore tel un amadou au plus profond de chaque descendant d'Africain déporté aux Amériques. Mais Afrique qu'il cherchait avant tout à domicilier en terre martiniquaise et non Afrique qu'il espérait regagner ou comptait se faire rapatrier contrairement aux adeptes de Marcus GARVEY. Car l'auteur du Cahier d'un retour au pays natal (1939) était tout aussi viscéralement attaché à ce qu'il nommait "le plus petit canton de l'univers" c'est-à-dire sa Martinique. Natif en 1913, de Basse-Pointe, tout au nord de l'île, sur une "habitation" (plantation), l'Habitation Eyma, où son père exerça un temps comme régisseur, il a aimé d'un amour profond la Martinique et son peuple, amour qui comme tout vrai amour était parfois traversé par de violentes crises de désamour.

   Rapporteur de la loi de départementalisation/assimilation de 1946 qui transforma les vieilles colonies qu'étaient la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane et la Réunion en "départements d'Outre-mer", CESAIRE avait voulu arracher à la misère un peuple qui sortait à peine de la nuit esclavagiste. Et de fait, cette transformation apporta des bienfaits matériels considérables, faisant de ces pays les plus "riches" de leur environnement géographique tout en provoquant dans le même temps une grave crise d'identité qui n'est toujours pas résolue à la date d'aujourd'hui. N'y avait-il pas, en effet, une contradiction majeure, une antinomie entre la Négritude, dont CESAIRE fut, avec SENGHOR et DAMAS, le fondateur et ce que l'on pourrait appeler la "Blanchitude" c'est-à-dire la départementalisation/assimilation ? Mais il n'y a pas eu que la crise identitaire : l'impasse économique s'est à son tour vite révélée au grand jour. A la vieille société coloniale dite "d'habitation" post-esclavagiste mais productive (usines à sucre, distilleries etc.) se substitua ni plus ni moins l'assistanat ou plus exactement ce qu'Edouard GLISSANT qualifia "d'économie-prétexte" dans Le Discours antillais (1981). Autrement dit, il y a à profusion des supermarchés, des magasins de bricolages, des concessions automobiles, des stations-service etc..., tout un ensemble de signes extérieurs de richesses, mais qui ne correspondent à aucune production locale. Qui s'appuient quasi-uniquement sur des transferts financiers franco-européens massifs qui du jour où ils se tariront, provoqueront l'effondrement immédiat de cette pseudo-économie.

   "Version absurdement ratée du paradis", dira-t-il dans l'un de ses poèmes.

   Aimé CESAIRE a vécu dans sa chair cette impasse. Il en a souffert. D'autant qu'il fut quelqu'un de relativement solitaire quand bien même au sein de son parti, le PPM, certains se sont déclarés ses meilleurs amis ou ses héritiers. Solitaire au plan de la pensée surtout car la sienne volait très haut au-dessus de celle du cortège d'affidés, d'obligés et parfois d'opportunistes qui l'entouraient (dont certains n'avaient qu'une maigre connaissance de son œuvre). De même que la poésie de CESAIRE ne saurait être enfermée dans la gangue de la Négritude, sa pensée politique ne saurait l'être dans cet autonomisme aux contours flous, voire méandreux, dans lequel certains tentent de l'emprisonner aujourd'hui. Il était un homme habité par le doute, par l'inquiétude. Un homme qui ne savait pas s'il avait fait le bon choix en 1946. S'il avait encore fait le bon choix en 1981 lorsqu'il décréta un "moratoire" sur la question de l'autonomie. S'il avait aussi fait le bon choix en permettant que son parti, le PPM, soit peu à peu investi par des repentis de Droite d'un côté et par des repentis de l'extrême-gauche de l'autre. S'il avait eu raison d'aller, en compagnie de son bras droit, Camille DARSIERES, planter "le courbaril de la Réconciliation" sur l'Habitation CLEMENT aux côtés de Bernard HAYOT et d'Eric de LUCY.

   Si...Si...Si...

   En fait, Aimé CESAIRE reflète mieux que personne l'incertitude, le doute, l'angoisse sourde dans laquelle vit chaque Martiniquais, y compris le Béké. Car chacun sent bien qu'il y a quelque chose qui ne tourne pas. Qu'il n'est pas très normal que la petite Barbade, trois fois plus petite que la Martinique, soit indépendante depuis 51 ans alors que nous continuons à dépendre d'une lointaine métropole européenne. Quand on dit cela, les imbéciles ou les malhonnetes intellectuellement parlant vous qualifient aussitot d'"ennemis de la France" comme si la Tunisie, le Togo, le Sénégal, le Cameroun, le Laos ou le Vietnam étaient des ennemis de leur ancienne puissance coloniale ! Oui, quelque chose ne tourne pas rond quand on se met en grève générale, qu'on défile par dizaines de milliers des semaines durant en scandant "Péyi-a sé ta nou, sé pa ta yo !" et que dans le meme temps quand on se voit proposer, par consultation électorale, une poussière d'autonomie, on la repousse par plus de 70% des voix.

   On ne peut pas faire reposer sur les seuls épaules de CESAIRE l'impasse martiniquaise. La revendication d'assimilation date de la fin du XIXe siècle et émane de la classe mulatre avant d'etre adoptée au XXe par l'ensemble de la population qui y a vu, à raison, un moyen de contrebalancer ou de contrecarrer la tri-séculaire omnipotence békée. CESAIRE fut l'un des premiers à contester l'assimilation, à la refuser meme, mais dans le meme temps, cette contestation se perdit dans les brumes de la gestion municipale et la fréquentation des bancs de l'Assemblée nationale française. En fait, nos historiens, comme tous les historiens du monde, quand ils traitent de CESAIRE et de son action politique, sont frappés par ce que l'on pourrait "le syndrome de la permanence identitaire". Ils font comme si DE GAULLE, KENNEDY, CASTRO ou CESAIRE étaient la meme personne à 20 ans, 40 ans, 60 ans et 80 ans. Non, l'étudiant de l'Ecole Normale Supérieure de Paris que fut Césaire dans les années 30 n'était pas le meme qui devint maire de Fort-de-France, puis député après la deuxième guerre mondiale lequel n'était pas le meme que celui qui, dans les années 70 adopta le drapeau nationaliste rouge-vert-noir lequel n'est pas l'homme du Moratoire de 1981 lequel n'est pas celui qui accueillant Fillon lui lança, incongrument, "C'est grace à vous que nous vivons !" etc...

    Or, quand on évalue l'action d'un homme, surtout un homme qui a vécu si longtemps, qui a traversé le siècle, duquel parle-t-on ? De l'homme-fiction identique à lui-même de la naissance à sa mort comme l'indique mensongèrement sa carte d'identité ou au contraire les multiples hommes qu'il a été au cours de sa vie ? Car si aujourd'hui, chacun est prêt à reconnaître que l'identité collective est une fabrication, voire un leurre, nous sommes beaucoup plus réticents à l'admettre s'agissant de l'identité individuelle. C'est que nous vivons dans l'illusion d'etre et d'avoir été la meme personne tout au long de notre existence. Cette donnée-là, pourtant fondamentale, n'est presque jamais prise en compte par les historiens. En réalité, iy a eu plusieurs CESAIRE comme il y a eu plusieurs DE GAULLE ou KENNEDY.

   Ce qui fait que lorsque ces grands hommes décèdent, le mieux à faire est de garder l'image d'eux qui semble le mieux convenir aux idéaux qu'ils ont défendus c'est-à-dire l'homme qu'ils ont été à telle période précise de leur vie. Le CESAIRE que nous devrions garder en mémoire et vénérer devrait etre celui du SERMAC, du drapeau rouge-vert-noir, de l'homme qui refusa d'aller accueillir le président GISCARD D'ESTAING à l'aéroport, de celui qui combattit Michel RENARD etc...

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