En regardant les résultats des élections municipales du dimanche 15 mars 2020 au Carbet, on s’aperçoit que le vrai gagnant, c’est l’abstention. Elle est presque aussi importante que le nombre de votants, elle représente plus du tiers (40 %) des personnes inscrites sur la liste électorale.
Pourquoi les gens ne se sont-ils pas déplacés pour aller aux urnes ?
D’aucuns diront que ce sont les conséquences de la crise sanitaire qui traverse le monde actuellement. D’autres, la victoire est acquise, ce n’est donc pas la peine de se déplacer. Enfin, le « i ja la fok i rété !», avec tout ce que cela sous-entend.
Par ailleurs, rappelons que la gestion par les municipalités de certains services dédiés à la population peut être une arme électorale redoutable à l’avantage du maire en place.
Cependant, doit-on pour autant se satisfaire de ces hypothèses sans fondement, sans fait justificatif ?
Regardons de plus près !
En 2020
Inscrits 3 107
Votants 1846
Exprimés 1786
ABSTENTION 1261
J-C ÉCANVIL 948 voix, réélu dès le premier tour
L. G. GRIFFIT 477 voix
L. BOUTRIN 361 Voix
NULS 33
BLANCS 27
En 2014
1er tour
Inscrits 3152
Votants 2151
Exprimés 2073
ÉCANVIL 1013 voix, ballotage défavorable
ABSTENTION 1001
BOUTRIN 354 voix
GRIFFIT 353 voix
MOURIESSE 353 voix
BLANCS & NULS 78
Que constatons-nous après ce zoom ! Que la majorité du maire actuel est somme toute relative. Là, où au premier tour en 2014, il avait réussi à convaincre 1013 personnes, soit 32 % des inscrits, qu’il était le meilleur candidat pour conduire les affaires de la commune ; en 2020, ce pourcentage a baissé pour atteindre 30 % des personnes inscrites. Ce qui signifie que près de 70 % des administrés inscrits sur la liste électorale, y compris les abstentionnistes, ne se sont donc pas retrouvés dans le projet de mandature proposé par le maire sortant. Saluons sa victoire, mais c’est un roi sans majorité et j’ai presque envie de dire un roi sans « légitimité ». Car le schéma montre bien qu’il est en perte de suffrages constante depuis sa première élection en 2008.
Alors, pourquoi me direz-vous que, 948 suffrages lui font confiance, lui donnant ainsi une majorité « relative », alors que les votes successifs démontrent la méfiance de la population à l’égard de sa politique ?
C’est effectivement une nébuleuse, un amas diffus, une masse vaporeuse floue et informe, stimulée probablement par le fait majoritaire.
Cette formule, souvent attribuée à Benjamin Franklin, selon laquelle, « La démocratie, c’est deux loups et un agneau votant ce qu’il y aura au dîner… », illustre parfaitement les limites de la règle de majorité. Elle exprime aussi le risque qu’un groupe d’intérêt puisse former une majorité somme toute relative et dominer une majorité absolue.
Le fait majoritaire est un principe qui peut paraître intrinsèquement juste, mais la légitimité du pouvoir repose sur le consentement des sujets. De ce fait, la règle de majorité de part sa commodité apparaît comme une ressource momentanée pour se tirer d’embarras sans résoudre la difficulté essentielle, l’abstention.
C’est pourquoi, eu égard aux résultats en Martinique et singulièrement au Carbet, si chacun, dans la détermination de son vouloir, était allé à la rencontre de l’intérêt commun, la règle de majorité n’aurait pas perdu sa force morale. Nous avons besoin d’une procédure de décision acceptable par le plus grand nombre parce qu’il est difficile de réunir les volontés sur ce qui est juste ou injuste. Ce qui fait que la question reste complexe, car d’un côté on trouve une justification procédurale de la règle de majorité qui s’affirme dans le jusnaturalisme moderne où la notion de consentement du peuple est centrale dans la justification de la démocratie ; et de l’autre, une justification instrumentale de la règle de majorité qui se base sur la qualité des décisions plutôt que sur la qualité intrinsèque de la règle. Le fait majoritaire ne se justifierait plus par son caractère égalitaire, mais plutôt de penser l’union de toutes les volontés dans une volonté générale. Mais, cette justification instrumentale de la règle de majorité demeure impossible et donc un leurre si l’éthique du vote n’est pas respectée par les citoyens. Cette conception instrumentale de la légitimité démocratique est exigeante, par conséquent inapproprié aux humains disait Rousseau. Il avait vu juste.
Face à ce constat, Monsieur ÉCANVIL, ne perdez pas de vue que les deux tiers des inscrits ne partagent pas le projet de mandature que vous leur avez proposé. Par conséquent, il serait légitime, dans le cadre de la loi, de consulter la population par le biais du référendum local pour tout objet relevant de la compétence communale liée à l’exercice d’une liberté publique ou individuelle la concernant.
Voilà l’orientation que je vous suggère pour respecter le principe démocratique et en conséquence renforcer votre légitimité.
La commune ne doit pas être administrée pour un petit nombre au détriment de l’intérêt général, mais pour l’ensemble des Carbétiens, solde naturel et solde apparent confondus.
Lucien PAVILLA