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« La prison coloniale en Guadeloupe (Ilet à Cabrit, 1852-1905) »

Marie-Noëlle RECOQUE DESFONTAINES
« La prison coloniale en Guadeloupe (Ilet à Cabrit, 1852-1905) »

En 1852, la Guadeloupe sort à peine du carcan séculaire de l’esclavage mais elle demeure une colonie. Il existe donc un code pénal colonial, un système pénitentiaire colonial et bien sûr des prisonniers coloniaux. A l’époque, en France, le système judiciaire cherche à se renouveler et les théories pénitentiaires s’affrontent : faut-il épurer la société de ses mauvais sujets ou les moraliser, faut-il les enfermer, les déporter, les reléguer ?

 

Les prisonniers coloniaux dits « d’origine africaine et asiatique », ne sont pas logés à la même enseigne que les condamnés de la métropole, ils ne peuvent pas, comme eux, purger leur peine là où elle a été prononcée. Il leur faut subir, en outre, l’expatriation. La France opère un déplacement systématique de ces condamnés d’une colonie à l’autre ; c’est ainsi que les Indiens des comptoirs français seront envoyés en Nouvelle Calédonie et les Indochinois ainsi que les Sénégalais en Guyane.

 

La France prévoit quand même d’expédier aussi certains de ses prisonniers métropolitains dans les colonies, il s’agit des prisonniers politiques. Alexis de Tocqueville s’en inquiète, il formule ainsi sa crainte : « Les colonies françaises imposent d’autant plus de circonspection que l’émancipation récente et subite des esclaves offrirait des éléments trop malléables de désorganisation sociale aux idées subversives dont sont imbus la plupart des transportés. »

 

L’ouvrage d’Eric Fougère est instructif mais il laisse un peu le lecteur sur sa faim. Alors que le titre attire l’attention sur l’îlet à Cabrit des Saintes, l’auteur brosse surtout une large fresque de la prison coloniale à travers un balayage événementiel et spatial, tous azimuts. En fait, son travail a rencontré l’obstacle majeur du manque d’archives concernant la prison coloniale en Guadeloupe, il a donc utilisé des documents épars lus au regard de l’organisation générale du système pénitentiaire français. Un glossaire (réclusion, travaux forcés, transportation, relégation…) aurait aidé à la compréhension ainsi qu’une mise en perspective claire des différents faits historiques, judiciaires, politiques.

 

Cette étude apporte un éclairage très intéressant sur une catégorie de la population carcérale, au XIXe siècle, celle des immigrants indiens dont il semble être beaucoup question à cette époque, en Guadeloupe. A la suite de l’abolition de l’esclavage, les colons font venir de la main d’œuvre indienne (de 1854 à 1889). Mal acceptés par les créoles et exploités par ceux qui les emploient, ces Indiens ne sont pas tous des travailleurs soumis, loin de là. Les journaux regorgent de faits divers les impliquant dans des délits de vagabondage et surtout d’incendies volontaires de cases, d’usines. Les autorités demandent que les incendiaires avant d’être expédiés au bagne en Guyane, soient par mesure de sûreté et à titre d’exemple, porteurs d’une chaîne et d’un boulet. Le raisonnement tenu étant le suivant : « L’Indien confond le régime de détention préventive avec celui du bagne dont il n’a pas le spectacle sous les yeux et Cayenne lui paraît comme une sorte de terre promise. » On va jusqu’à réclamer un bagne au pays, il faudra se contenter d’une prison flottante à Pointe-à-Pitre, en attendant la déportation. Les Indiens les plus récalcitrants semblent être ceux venus du Nord de l’Inde, ils éprouvent du ressentiment contre les engagistes qui leur infligent de mauvais traitements. La question de leur vagabondage est récurrente, ce qui amène un membre du Conseil général à exprimer le mécontentement de tous dans les termes suivants : « Il est écrit à la porte de la prison de Pointe-à-Pitre, en grosses lettres : Prison coloniale. La population a donné à cette enseigne une autre signification. Elle l’appelle : Pension coloniale. » Mais il faut quand même savoir que les prisonniers sont mis aux services des ponts et chaussées (curage du Canal Vatable, du port de Pointe-à-Pitre, de la Rivière salée ; entretien de la route coloniale au niveau de Gourbeyre…) ou de particuliers (gardiens). Ils ont aussi à « casser des cailloux » et à cultiver le coton. Les travaux forcés ne répondent pas seulement à une volonté de punir, ils ont aussi une justification d’ordre économique, puisque les condamnés constituent une force de travail gratuite, taillable et corvéable à merci.

 

C’est en 1852 que l’îlet à Cabrit, jusqu’alors garnison, léproserie, prison civile, est devenu (jusqu’en 1905) une prison répondant, à la dénomination de « maison centrale de force et de correction ». Cette maison est créée pour des raisons liées à la « transportation politique » à un moment où, en France les bagnes portuaires à l’ancienne (Rochefort, Toulon, Brest) ferment et où l’insuffisance des convois pour la Guyane rend encombrants les condamnés coloniaux dont on ne sait trop que faire. En Guadeloupe, les prisons sont surpeuplées. L’îlet à Cabrit sera un lieu de transit, une sorte de plaque tournante pour la répartition des condamnés charroyés à travers les océans d’un lieu de punition à un autre. Il est intéressant de rappeler qu’en 1802, Bonaparte, avait pratiqué la déportation de rebelles haïtiens et guadeloupéens, certains révoltés étant condamnés à des travaux de terrassement, dans des bagnes ouverts à leur intention… en Corse.

 

   Marie-Noëlle RECOQUE DESFONTAINES

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