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LA MORT LENTE D’UN QUARTIER EMBLEMATIQUE : L’ANCIENNE ROUTE DE SCHOELCHER

LA MORT LENTE D’UN QUARTIER EMBLEMATIQUE : L’ANCIENNE ROUTE DE SCHOELCHER

Avant d’être le quartier de « l’ancienne route de Schoelcher », l’alignement de maisons créoles qui serpente depuis l’en-haut du Lycée Schoelcher, sur le territoire de Fort-de-France, jusqu’au rond-point qui précède la descente de Madiana, sur le territoire de Schoelcher, a bien dû avoir été, un jour, celui de « la route de Schoelcher » tout simplement. Nous l’avons oublié, comme si l’endroit avait toujours été une « ancienne » route. Fragilité de la mémoire. Un peu comme si cette omniprésence, cet obsession du patronyme du célèbre abolitionniste nous donnait le tournis.

Pourtant, il n’a pas quarante ans, la route reliant Foyal à l’ancienne Case-Navire, la route de Schoelcher donc, était un lieu emblématique : en témoigne encore l’architecture de ces moyennes villas créoles qu’on peut appeler « case mulâtre ». Construites selon les mêmes principes que la « Grand’Case » des Békés et la « case à nègres » des travailleurs agricoles, la maison typique de la route de Schoelcher se situe dans une sorte d’entre-deux. Ni somptueuse comme la Grand’Case, et rarement à étages, ni misérable comme la case à nègres. Son toit de tuile, sa véranda, le jardin qui l’entoure et surtout ses couleurs lui donnent un air vaguement italien. La case mulâtre n’exhibe pas la blancheur immaculée de la Grand’Case ni ne se drape dans les couleurs chatoyantes, voire criardes, de la case à nègres. Toujours cet entre-deux : elle privilégie les teintes discrètes : blanc nacré, beige, marron, jaune foncé, orangé.

Si vous êtes à pied, exercice dangereux car l’ancienne route de Schoelcher est en grande partie dépourvue de trottoirs et les automobilistes y roulent comme des dingues, arrêtez-vous devant ces villas créoles du temps-longtemps dont certains, hélas, semblent vouées à une décrépitude irrémédiable. Elles témoignent d’un art de vivre créole qu’avaient déjà sérieusement entamé les horribles cubes ou rectangles de béton qu’ont commencé à construire les « fonctionnaires » à la fin des années 60 du siècle dernier. Aujourd’hui, elles subissent un deuxième assaut, sans doute plus mortel : celui de ces immeubles de quatre ou cinq étages construits à la va-vite par une certaine communauté étrangère à notre pays, qui semble avoir fait de la commune de Schoelcher son point de ralliement et qui n’a que faire de notre culture créole. Une à une, nos « cases mulâtres » sont rachetées, détruites et remplacées par des constructions sans âme mais qui doivent être d’un excellent rapport pour leurs promoteurs. C’est que le quartier a vieilli et que les personnes âgées qui continuent à y résider peuvent difficilement résister aux offres mirobolantes de ces rapaces venus de l’étranger. Ce que l’on comprend moins, par contre, c’est que des permis de construire soit délivrés à tours de bras à ces derniers. D’aucuns parlent de backchich ! Allez savoir !...

Toujours est-il que même en passant en voiture, à condition de ralentir un peu, on peut deviner que ce quartier a dû être fort agréable à vivre. Des manguiers centenaires dispensent encore__mais pour combien de temps ?__leur ombrage bienfaisant. Mais il n’y a plus d’enfants pour leur lancer des roches. Ces maisons semblent « déshabités », comme on dit déshabillés. Et il n’y a même plus d’écoliers qui vont ou rentrent de l’école pour tenter de cueillir les mangotines ou les bassignac qui tombent dans l’indifférence : tout ce beau monde est désormais « charroyé » en car.

Le pire est, malgré l’existence de « la » route de Schoelcher, celle qui part de la Rocade et aboutit à Madiana, le quartier de l’ancienne route est devenu un véritable enfer : klaxons, freinages brutaux, ronronnements de moteurs de bus à l’arrêt, pétarades de mobylettes etc…Comme si d’aucuns continuaient, somnambuliquement à l’emprunter, à moins que, comme moi, ils ne la choisissent pour éviter les contrôles de gendarmerie. Quand on n’a pas son papier de « contrôle technique », c’est un lieu de passage quasi-sûr.

Comment préserver les quelques « cases mulâtres » de ce quartier ? Quelle autorité, municipale, générale, régionale ou patrimoniale, s’avisera que leur destruction constitue une perte irrémédiable pour notre imaginaire ? En effet, notre architecture nous construit de l’intérieur, elle dessine nos paysages mentaux, façonne notre vision du monde. S’il est bien de préserver les Grand’Cases des Békés, devenus des hauts lieux touristiques pour la plupart, s’il est aussi bien de ravaler et repeindre les cases à nègres, comme à l’entrée du Carbet, il est tout aussi urgent de jeter un œil sur ces maisons magnifiques, quoique discrètes, maisons que l’on trouve non seulement sur l’ancienne route de Schoelcher, mais aussi, en moins grand nombre, il est vrai, sur la route des Religieuses et celle de Sainte-Thérèse.

Petits îlots de créolité à préserver de toute urgence dans un monde qui s’uniformise jour après jour. Irrémédiablement…

{ {{ Jean-Laurent Alcide}} }

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