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« La guerre, un objet de fascination. »

Marie-Noëlle RECOQUE DESFONTAINES
« La guerre, un objet de fascination. »

L’ouvrage de Jean-Claude GUILLEBAUD est passionnant y compris pour les pacifistes convaincus, à condition quand même qu’ils aient la soif d’apprendre. L’auteur nous propose en effet une fresque bâtie sur l’étude érudite et l’analyse des manifestations et des représentations de la guerre. Nous en sommes témoins, c’est la guerre qui construit l’Histoire des peuples.

 

Conviés à participer aux guerres en dentelles des princes européens puis à quelques guerres civiles, nous nous immergeons, en France, dans les batailles révolutionnaires marquées par l’irruption des peuples dans les conflits armés. Les nobles jusqu’alors seuls détenteurs du savoir militaire vont se trouver confrontés à des soldats levés en masse. Nous faisons la connaissance d’Hyppolyte de GUIBERT qui, en 1772, théorise cette nouvelle façon de se massacrer dans un Essai général de tactique.

 

Le lecteur est invité ensuite à plonger dans l’épopée napoléonienne, contradictoire dans son développement. En effet, la volonté de NAPOLEON est d’en revenir à la notion de noblesse, elle sera d’empire et gagnée au combat. Pourtant à Borodino, par exemple, en 1812, ses troupes mèneront « un combat sans règles, sans limites, sans la moindre civilité militaire », une véritable « bataille d’extermination ». La voie est ouverte aux guerres modernes, notamment celles du XXe siècle, marquées par les carnages, la barbarie, le perfectionnement de l’armement traditionnel, des armes chimiques et l’avènement du nucléaire. Suivent les conflits que nous connaissons, dits asymétriques, qui opposent armées régulières et terroristes ou partisans selon les points de vue et la tournure prise par les événements

                                                                                                         

Jean-Claude GUILLEBAUD, lui-même antimilitariste, a pourtant exercé la profession de reporter de guerre. Et il constate que partout la violence est « prête à sourdre ». La paix n’est jamais définitivement acquise. Il faut en prendre conscience pour être capable de « la tenir en respect génération après génération, année après année, et sans baisser la garde ».

 

L’auteur étudie la guerre sous toutes ses facettes, dans différentes sociétés et différentes époques. L’idée primordiale développée par Jean-Claude GUILLEBAUD, c’est que la guerre est un objet de fascination, « fascination qui peut, à tout moment nous envahir ». Il s’appuie d’abord sur une compilation de textes historiques et littéraires pour le démontrer, à commencer par la Bible et le Coran. Il note que les plus grands auteurs ont glorifié les boucheries héroïques. C’est ainsi que pour l’historien Joseph de MAISTRE (1753-1821), « la guerre est divine ». L’auteur se réfère aussi à sa propre expérience et ne craint pas d’avouer qu’en tant que correspondant de guerre, il lui est arrivé de ressentir, en secret, une « troublante jubilation » en courant vers les tueries.  Pourquoi ? (L’auteur ne l’a compris qu’en rédigeant son ouvrage) - parce que « collaborer au grand jeu de la guerre » c’est commettre une transgression, c’est rompre avec la monotonie de la vie quotidienne, c’est vivre une expérience intérieure. Le philosophe Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955) ne s’est-il pas exclamé : « La guerre m’ensorcelle ». Il a écrit aussi : « J’affirme pour moi, que, sans la guerre, il est un monde de sentiments que je n’aurais jamais soupçonné. » Et encore : « La guerre est une mère qui accouche d’un homme nouveau et d’un monde nouveau. »

 

Jean-Claude GUILLEBAUD n’a jamais entendu son père évoquer la Grande Guerre comme une boucherie infernale. Rescapé de l’hécatombe de 14-18, il venait, nous explique-t-il, d’un monde qui rythmait depuis des siècles l’alternance « cosmique » de la guerre et de la paix. Mais les générations nées en Europe après 1945 n’ont pas connu la guerre. Dans les années 60, les mouvements pacifistes ont entériné le dégoût éprouvé par les jeunes à l’égard des champs de bataille. Jean-Claude GUILLEBAUD nous signale qu’une nouvelle discipline est alors pourtant consacrée à l’étude scientifique de la guerre. Initiée par Gaston BOUTHOUL (1896-1980) et Louise WEISS (1893-1983), elle est appelée, polémologie. Elle ne retient pas l’attention car les esprits ne sont pas disposés à réfléchir à la question du phénomène guerrier et à porter sur lui, un regard objectif. Les assertions de BOUTHOUL sont perçues comme choquantes. En se référant aux témoignages des soldats et des écrivains, ne va-t-il pas jusqu’à déclarer que la guerre est « distrayante ».

 

 Pour Jean-Claude GUILLEBAUD, on aurait tort de nier « par ignorance, par arrogance postmoderne ou par idéologie » l’attrait exercé par les combats armés, notamment sur des jeunes rêvant d’en finir avec l’ennui, de partager avec d’autres des expériences de vie et de mort, d’éprouver les limites de leur courage. C’est pour lui une des clés permettant d’expliquer voire de comprendre le départ des candidats à l’aventure sanglante du jihad. Il se demande par ailleurs si confrontés à leurs exactions, il sera possible de résister à l’envie d’encourager en réaction le déchaînement d’une violence aveugle. Et c’est un des points forts de cet ouvrage de proposer indirectement un éclairage inédit sur ces « logiques belliqueuses qui font frissonner le monde » actuel, même s’il ne fait qu’inviter à une réflexion sur le sujet.  Pour Jean-Claude GUILLEBAUD - essayiste et journaliste, Prix Albert Londres 1972 - les ressorts nouveaux générant les conflits armés s’ajoutent aux ressorts anciens, qu’il ne faut pas mésestimer si on veut pouvoir circonscrire efficacement tous les aspects de ce qu’il appelle « le tourment de la guerre ».

 

Marie-Noëlle RECOQUE-DESFONTAINES

 

 

*« Le tourment de la guerre » de Jean-Claude GUILLEBAUD (Editions L'Iconoclaste, 2016)

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