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« La Guadeloupe dans la Première Guerre Mondiale »

Marie-Noëlle RECOQUE DESFONTAINES
« La Guadeloupe dans la Première Guerre Mondiale »

Avec ce livre consacré au rôle joué par les Guadeloupéens dans le déroulement de la Première Guerre Mondiale, Ary Broussilon s’attache à donner une vision de cette guerre différente de celle présentée, habituellement, dans les livres d’histoire français. Le regard de l’auteur est celui d’un Guadeloupéen qui  relate et explique les événements considérés à partir des rives de son pays. Il se place dans une perspective résolument caribéenne tout en défrichant le terrain propice à une recherche susceptible d’être approfondie par les historiens. Le 11 novembre 2018 marque le centenaire de l’armistice, point final mis à cette guerre particulièrement meurtrière. L’auteur relate ses différentes étapes tout en y insérant les renseignements concernant plus particulièrement les tribulations des Guadeloupéens dans ce carnage.

 

A l’aube du XXe siècle, la Guadeloupe est jugée du point de vue économique en plein essor et pourtant  le chômage est important et nombreux sont ceux contraints à l’exil (en Guyane, au Panama, à Porto Rico, en République Dominicaine). En 1914, les hommes se lanceront, la fleur au fusil, sur d’autres chemins.

 

Jusqu’en 1913, les Guadeloupéens ne faisaient pas de service militaire. Ils auraient sans doute pu se tenir à l’écart du conflit si les assimilationnistes comme Gratien Candace ou Henry Béranger (un métropolitain élu sénateur de Guadeloupe) n’avaient pas réclamé qu’ils soient soumis aux mêmes obligations que les autres citoyens français. Achille-René Boisneuf s’exclame en effet : « Dans peu de temps, quand partira le contingent de la Guadeloupe le cœur des parents s’angoissera car un départ est toujours triste, les larmes couleront mais ce seront des larmes de fierté patriotique que séchera vite le souffle de la Marseillaise. Et les mannes de Schoelcher tressailliront d’allégresse ! »

Arrive donc l’heure de la conscription (sauf pour les descendants d’immigrés indiens dégagés des obligations militaires car non français à l’époque) et la préparation au combat. Dans la préface de  cet ouvrage, le sociologue Harry Méphon rappelle que cette préparation orchestrée notamment par le médecin-major Pichon initie les premières formes d’éducation physique et il explique que cette pratique de la gymnastique sera déterminante dans la diffusion du goût du sport dans la colonie.

 

Très vite en France, la presse brocarde ces « recrues des vieilles colonies ». Sous la plume d’un journaliste, on peut lire : « On a de la peine à croire que ce soient ces braves noirs qui ont réclamé, assurait-on, le service militaire avec tant d’insistance. » (Le Temps, 29/12/1913). Les créoles sont jugés pleins de bonne volonté mais indolents. On devine, à leur égard, une suspicion d’abâtardissement car leur « nature » est jugée sans comparaison possible avec celle « plus martiale des Sénégalais et des Soudanais ».

Les élus guadeloupéens, quant à eux, déplorent qu’on n’ait pas prévu un « acclimatement » des « jeunes coloniaux » ou autres « jeunes exotiques » pour citer Gratien Candace. Le jugement de nombreux français est péremptoire : « Ce ne sont pas des soldats ». Pourtant les réformés pour mauvais état de santé sont renvoyés au pays, contrits de ne pas avoir pu servir la patrie. Au fil des quatre années de guerre, d’autres partent se battre voire mourir dans des pays dont ils ignoraient l’existence comme par exemple les Dardanelles (détroit entre l’Europe et l’Asie) ou la presqu’île de Gallipoli (en Turquie). Ary Broussillon nous livre au fur et à mesure le nom de Guadeloupéens morts dans ces batailles terribles et indécises ou terrassés par la maladie (grippe, thyphoïde, dysenterie).  

Peu à peu l’engouement pour le combat s’étiole et la Guadeloupe compte nombre d’hommes absents à l’appel de la Patrie (pas seulement ceux bénéficiant de filons et autres passe-droits). Curieusement alors que d’aucuns critiquent le manque d’aptitudes soldatesques des créoles, la Loi Dalbiez oblige au recensement de tous les hommes de 18 à 45 ans aptes à être envoyés au front et menace les insoumis du Conseil de guerre. La France peut compter sur le député guadeloupéen Achille-René Boisneuf pour une application rigoureuse de la loi. Au Parlement, il va jusqu’à demander une contre-visite des réformés, ajournés et exemptés. Mais les instructeurs constatent que les Guadeloupéens méconnaissent « les intérêts de la France », qu’ils n’ont « aucun désir de servir sous les drapeaux » et font preuve d’une « force d’inertie presque complète ». Paradoxalement, dans le même temps, des Guadeloupéens reçoivent des médailles, des citations pour leur ardeur au combat. Cependant le nombre des blessés croît et la liste des morts s’allonge. Les mutilés, les gazés, les fous et les « gueules cassées » hantent les chemins de la Guadeloupe. Ce qui n’empêche pas, jusqu’à la fin de la guerre, les soldats créoles d’être critiqués par la hiérarchie militaire. Un général inspecteur des Centres d’Instruction fait, en avril 1918, des remarques semblables à celles des maîtres esclavagistes à l’encontre des esclaves, par exemple : les soldats créoles ont « une tendance naturelle à la paresse », ils font preuve d’une « mauvaise volonté évidente » et les manquements les plus fréquents sont « les réponses indisciplinées et les mensonges ». Peut-être font-ils preuve comme leurs ancêtres réduits à l’esclavage de résistance passive. Dans le même rapport, on note aussi l’assertion suivante: « Les nombreuses causeries morales donnent des résultats peu appréciables chez les créoles dont l’éducation première a été uniquement basée sur leurs droits. »

 

Une fois la guerre terminée, les soldats guadeloupéens connaissent les affres d’une démobilisation souvent problématique. Certains sont envoyés en Allemagne pour occuper la Rhénanie en dépit des protestations des vaincus persuadés, que les vainqueurs veulent souiller leur race par le biais d’un métissage tout autant honni que redouté.

 

Le livre d’Ary Broussillon, bien documenté, s’achève sur la description des difficultés rencontrées par les Guadeloupéens dans l’après-guerre. A noter que l’auteur a publié par ailleurs « Parcours de soldats guadeloupéens morts pour la France durant la grande guerre (1914-1918) » (Editions Nestor). A lire également pour parfaire notre connaissance du péyi-gwadloup.

                                                   

    Marie-Noëlle RECOQUE DESFONTAINES

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