Accueil
Aimé CESAIRE
Frantz FANON
Paulette NARDAL
René MENIL
Edouard GLISSANT
Suzanne CESAIRE
Jean BERNABE
Guy CABORT MASSON
Vincent PLACOLY
Derek WALCOTT
Price MARS
Jacques ROUMAIN
Guy TIROLIEN
Jacques-Stephen ALEXIS
Sonny RUPAIRE
Georges GRATIANT
Marie VIEUX-CHAUVET
Léon-Gontran DAMAS
Firmin ANTENOR
Edouard Jacques MAUNICK
Saint-John PERSE
Maximilien LAROCHE
Aude-Emmanuelle HOAREAU
Georges MAUVOIS
Marcel MANVILLE
Daniel HONORE
Alain ANSELIN
Jacques COURSIL

LA CRISE SYRIENNE ET LA « CREOLISATION » DU SYSTEME INTERNATIONAL

Glodel Mezilas
LA CRISE SYRIENNE ET LA « CREOLISATION » DU SYSTEME INTERNATIONAL

Une analyse de la nature de la crise syrienne en fonction des notions de créolisation et de créolité. L’importance de la pensée caribéenne pour saisir le mouvement complexe et hétérogène de l’actualité internationale.

Indépendamment de son contexte régional, lié aux « soulèvements », aux « révolutions », aux « réveils » arabes et de sa complexité interne, la crise syrienne met à nu la « créolisation », la « créolité », la décentralisation, l’ « acentricité », l’ « apolarité » ou l’absence de pôles du système international incapable d’agir en fonction des buts et des propositions de la Charte de l’Organisation des Nations Unies, dont le projet et la mise en forme ont été réalisés par les puissances victorieuses de la Seconde Guerre Mondiale.
La question syrienne permet de saisir la nature du système international, ses contradictions, ses limites, son hétérogénéité, son insuffisance et les rapports de force qui le caractérisent. Au-delà d’une simple question nationale, cette crise rend visible la nature véritable du contexte géopolitique actuel : la fin de la domination ou du leadership américain, tel que conceptualisé par Henry Kissinger et Zbigniew Brezinski, Charles Kindleberger, etc. La question syrienne teste le mouvement dialectique de l’ordre international et remet en question toute forme de « stabilité hégémonique » et de l’ordre par l’empire. De même, cette crise bouleverse les catégories, les représentations d’un système international. Il s’agit d’un changement à la fois de réalité et de perceptions.

Cette mutation contemporaine du système international ne vient pas du volontarisme des acteurs, mais plutôt de sa nature « créole », c’est-à-dire, complexe, multi centrée. Ce système atteint un niveau de créolité, en raison de sa complexité, de son hétérogénéité interne et de créolisation, en ce qu’il est ouvert, indéterminé et soumis constamment aux échanges, aux luttes, aux harmonies, aux chocs, aux perturbations, aux disharmonies des relations entre ses acteurs hétérogènes. Ce système reflète l’univers « glissantien », c’est-à-dire, chaotique, rhizomique, flottant, divers. Il s’agit d’un chaos-monde où règnent les principes de l’imprévisibilité, de la complexité, de la totalité, de l’hétérogénéité. Autrement dit, c’est un système international créole, qui reproduit les mêmes transformations chaotiques ayant présidé à la naissance de la Caraïbe, sous le coup de la modernité coloniale, raciste, hégémonique, totalitaire, esclavagiste de l’Occident faussement chrétien et humaniste.

La multiplicité et l’hétérogénéité des acteurs, la divergence des intérêts géostratégiques et idéologiques, la balkanisation géographique, la complexité des problèmes rendent impossible l’émergence d’une hyperpuissance et mettent en déroute toute volonté d’hégémonie, d’unilatéralisme. Ce système créole est loin d’être une sorte d’équilibre des pouvoirs (balance of power), de multipolarité, d’uni-multipolarité, etc. Il échappe à toutes formes d’organisation antérieures du monde international.
En plus, le système international est composé d’un ensemble de sous-systèmes tout aussi complexes. Ce qui rend difficile à un seul acteur d’imposer sa volonté aux autres. Il n’est plus ce qu’il était au début des Temps Modernes où il était gouverné par les seuls états européens. Son caractère créole fait qu’il cesse d’être uniquement « blanc », il est aussi métisse, jaune. Il rassemble toutes les couleurs du monde. Ce qui le caractérise n’est pas le droit du sang (le sang blanc, européen), mais le droit du sol, le fait d’être là. Le créole renvoie au métissage du blanc, du jaune, du noir, etc.

{{Brève histoire du système international}}

Après l’effondrement du Moyen Age, le système international s’est constitué suite à l’émergence des états européens selon les Traité de Westphalie de 1648, négociés contre la souveraineté de l’Allemagne, qui a été l’un des pays européens a été victime du droit d’ingérence. En 1626, Hugo Grotius élaborait le droit international qui devait réguler les relations entre eux. Ce droit reflétait leurs fluctuations et l’équilibre des forces les caractérisant.
Ces états se livraient à des guerres de conquêtes. Ils conquéraient et colonisaient les autres nations, au mépris du droit international qu’ils aveint eux-mêmes forgés ; ou en d’autres termes, ce droit n’avait rien à voir avec les peuples qu’ils colonisaient. Entre eux, le droit international jouissait d’un certain respect relatif, mais face aux états américains et africains, il s’agissait d’un droit colonial, d’un droit de conquête. C’était un droit international à double vitesse. Les territoires situés hors de l’Europe étaient assimilés à l’état de nature régis par le principe de Thomas Hobbes : la guerre de tous contre tous. Cependant, le système international était fermé et limité aux états colonialistes, racistes et impérialistes de l’Europe occidentale. Ces états se basaient sur le principe de souveraineté – le pouvoir ultime réside dans l’entité nationale et dispose du monopole de la violence légitime – et le principe de souveraineté, caractérisé par la recherche de la sécurité de l’état sur le plan international.

Au début du XIXe siècle, le système international s’est élargi et s’est composé de nouveaux états américains et d’Asie ; la Chine en était victime par l’imposition des traités inégaux. Dans l’ensemble, les européens dominaient le système international même s’ils allient être tempérés ou neutralisés par la doctrine de Monroe de 1823 qui limitaient les appétits de puissance des européens sur le continent américain. Ils ont aussi contribué au démembrement de l’empire ottoman et ont fait main basse sur l’Afrique et le Moyen Orient. Hannah Arendt étudie le rapport entre l’impérialisme et le racisme à la fin du XIXe siècle.

Après la première guerre mondiale, le Japon y occupait une place centrale pour l’Asie, au point qu’il intervenait et occupait des territoires chinois, après avoir occupé des territoires coréens à la fin du XIXe siècle. Après la deuxième guerre mondiale, le système international s’est élargi considérablement et comptait de nouveaux états issus de la décolonisation de l’Afrique, de l’Asie, du Moyen Orient et d’une partie de la Caraïbe.
Les puissances occidentales ont dominé le monde pendant quatre siècles. Elles ont imposé le colonialisme, le racisme, l’esclavage, le capitalisme, l’impérialisme puis la globalisation. Dans la Caraïbe, elles ont fait la pluie et le beau temps par la destruction des cultures et des populations entières au nom des principes universalistes. Cette région est encore une frontière impériale. Ces puissances ont transformé la domination coloniale en domination départementale. La France, l’Angleterre, la Hollande, les Etats-Unis ont encore des possessions dans la région, alors qu’ils étaient tenus en échec par les luttes de décolonisation en Asie, Afrique, au Moyen.

L’hypocrisie de ces puissances transparait dans l’élaboration de la Charte des Nations Unies. Elles n’y ont pas fait mention de la décolonisation ; cette question était aussi absente de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. L’idée de décolonisation allait surgir au sein des questions internationales au cours des années 1960 quand les puissances européennes ne pouvaient pas l’indiquer.

La Charte de l’ONU reflète les rapports de force de ces puissances victorieuses de la Seconde Guerre Mondiale. Elles ont créé un droit international à double vitesse : oligarchique quant à la structure du Conseil de Sécurité et démocratique, quant aux modalités d’action de l’Assemblée Générale. Grâce à l’Angleterre, la France obtenait un siège dans ce Conseil, en vue d’avoir un allié européen dans la défense de ses intérêts coloniaux. Cependant, les Etats-Unis et l’Union Soviétique étaient pour la décolonisation en vue d’exercer leur influence sur els nouveaux pays.

Pendant toute la guerre froide, la Charte de l’ONU souffrait de violations répétées, faute d’accords politiques et idéologiques entre les membres du Conseil. L’article 24 de la Charte lui responsable du maintien de la paix et de la sécurité internationales, mais il a toujours été paralysé par ses contradictions internes.

La fin de la guerre froide transformait sa nature et se voyait sous l’influence américaine, qui agissait en fonction de sa position hégémonique et de domination. Après les guerres menées en Irak, en Serbie et en Afghanistan aux dépens du droit international, l’unilatéralisme américain commence à s’essouffler en raison d’un changement des rapports de force dans le système international, et d’une crise économique qui ne cesse de le miner. Dans l’actualité, le système international est orphelin et se trouve à un carrefour où plus aucune puissance n’est capable d’imposer sa volonté aux autres.

{{Le tournant syrien}}

La crise syrienne rend visible la vraie nature du système international, encore incertain et indéterminé. Il s’agit donc d’un « tournant syrien », d’une « révolution copernicienne » dans le système international. Les Etats-Unis se voient obligés de compter avec les autres membres de ce système dans le cadre d’une quelconque action.

Face à leur volonté de punir Syrie d’avoir utilisé l’arme chimique contre sa propre population le 21 août dernier, un ensemble d’acteurs hétérogènes – dont la Russie en tête – oppose ce qu’on appelle en latin un « non posumus ». Il s’agit d’une opposition radicale à l’usage de la force contre la Syrie. La Chine, par sa politique du profil bas, s’aligne sur la position de la Russie et s’en remet à Charte des Nations Unies. Le parlement anglais vote contre la participation du pays à toute action belliqueuse. L’Union Européenne rejette toute option militaire. Les pays émergents s’y opposent aussi.

Une telle constellation de forces centrifuges démontre la complexité, la créolisation du système international. En outre, plusieurs autres phénomènes révèlent cette particularité. Les débats sur la postmodernité, le multiculturalisme, le postcolonialisme, le postmarxisme, le poststructuralisme mettent l’accent sur l’absence de fondement ou d’un fondement ultime caractéristique de l’ordre sociale.

Le système international est ouvert, complexe et hétérogène. Cette situation met en déroute certaines théories des relations internationales comme le réalisme, le transnationalisme, la théorie de la stabilité hégémonique, de la transition hégémonique, le structuralisme, etc. Cela oblige à repenser le contexte de la réalité géopolitique mondiale actuelle. Karl Marx soutient que « les catégories sont des formes d’être, des déterminations d’existence ». Cela signifie qu’il faut élaborer des concepts et des catégories pouvant saisir le mouvement complexe et hétérogène du réel international. Il ne s’agit pas de partir des idées reçues ou des préjugés mais du mouvement concret de ce réel. La crise syrienne constitue ce tournant en vue de penser autrement l’ordre international, et de construire de nouvelles catégories rendant compte de la particularité et de la nouveauté de l’ordre international actuel. C’est un ordre apolaire, acentrique, créole, ouvert, sans hégémonie, sans hyperpuissance. Il faudra donc des concepts qui reflètent cette situation.

Connexion utilisateur

CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain afin d'éviter les soumissions automatisées spam.