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Jacques CHIRAC, le « faux ennemi » de la gauche martiniquaise

Yves-Léopold MONTHIEUX
Jacques CHIRAC, le « faux ennemi » de la gauche martiniquaise

Au lendemain de la disparition de l’ancien président de la République, les réactions sont peu respectueuses des clivages politiques traditionnels. En Martinique, la droite lui sait gré d’avoir été un président gaulliste, à l’origine de plusieurs mesures positives pour les DOM dont deux des plus emblématiques furent la défiscalisation et l’extension du SMIG métropolitain. D’autres relèvent tout juste que l’ancien président de la République aimait nos accras et avait le bonheur de faire entrer le punch martiniquais à l’Elysée. D’autres encore, devenus marginaux, sont surtout arcboutés sur sa fameuse saillie sur les « bruits » et les « odeurs ». Cette tirade qui lui avait valu la réputation de raciste avait fait le miel de la gauche martiniquaise sur les murs et les discours pendant les campagnes électorales qui avaient suivi. Certains élus durent leur succès à ce facile argument.

CHIRAC contre GISCARD D’ESTAING c’était CHIRAC contre la droite martiniquaise.

Lorsqu’en 1981 Jacques CHIRAC prit part à la défaite de Valéry GISCARD D’ESTAING (VGE) à la présidence de la République, il ne se doutait pas qu’il venait de rendre le plus grand service à la gauche martiniquaise. Par ailleurs les élus départementalistes, qui croyaient devoir importer le différend opposant au plan national le RPR et l’UDF, étaient bien loin de penser que le score sans précédent qu’avait remporté VGE en MARTINIQUE (80% des voix favorables) se transformerait en la défaite la plus grave que la droite ait connue depuis sa naissance, en 1958. Pourtant, au lendemain du scrutin, déboussolés plus encore que les indépendantistes qui étaient toujours balbutiants, les partis autonomistes étaient comme morts debout après leur déconvenue historique. Ils ne s’attendaient pas à une aussi prompte résurrection, due à la seule initiative du nouveau gouvernement français.  Le moratoire[1] décrété un mois avant sa réélection[2] comme député avait été la réponse d’Aimé CESAIRE au plébiscite de VGE[3].

En réalité, la droite avait remporté le scrutin mais, en fait, c’est la gauche qui avait gagné. Car sans désemparer, le secrétaire d’Etat aux DOM Henri EMMANUELLI se chargea de rappeler que la seule victoire qui comptait, y compris en MARTINIQUE, était celle remportée par les Français de FRANCE. Pourquoi, disait-il, le PPM jouait sur place les challengers de la droite alors que la gauche était au pouvoir en France ? Face à ces progressistes incrédules, il allait transformer la défaite en victoire[4]. Ainsi donc, le président du RPR Jacques CHIRAC avait aidé à mettre fin de façon définitive au pouvoir de la droite en MARTINIQUE.  

En 2002, la politique menée par Jacques CHIRAC au cours de son second mandat présidentiel sera moins aléatoire. Sensibilisé par la Déclaration de BASSE-TERRE signée par les 3 présidents des conseils régionaux des Antilles et de la Guyane[5] et le rapport LISE – TAMAYA[6], le président CHIRAC fut l’auteur d’une modification de la constitution qui allait conduire in fine à la suppression du département, objectif récurrent de la gauche, et l’avènement de la collectivité territoriale de la Martinique. Cependant, si l’on se réfère à l’anecdote de Jacques CHIRAC, alors maire de PARIS, décrivant des pratiques jugées dérangeantes de familles d’étrangers vivant dans les cités de banlieue, on pourrait suggérer que l’évolution politique a pu être liée à cette circonstance.

Le dédouanement idéologique de CHIRAC par CESAIRE

Désigné depuis toujours comme l’un des principaux adversaires de la gauche locale, CHIRAC était alors déclaré persona non grata en Martinique, quasiment comme le père et la fille LE PEN. Face à cette accusation de raciste, on peut imaginer le malaise d’un homme dont tout le monde loue l’inclination culturelle et les actes favorables au Tiers-Monde. De cette date il ne s’invita plus en Martinique jusqu’au jour où, à titre de dédouanement idéologique, il usa d’une habile démarche à laquelle se prêta CESAIRE. En réalité, selon un dignitaire du PPM, ce dernier et son entourage n’avaient jamais cru à cette accusation de racisme, sauf que l’intérêt électoral les avaient conduits à laisser faire. Ainsi donc, en cet après-midi de février, sitôt débarqué de l’avion et dédaignant le salon d’honneur de l’aéroport, Jacques CHIRAC se rendit directement à la mairie de FORT-DE-FRANCE où il avait rendez-vous avec le maire. Le protocole avait toujours prévu que les personnalités officielles ne rendent visite à M. CESAIRE que le lendemain du jour de leur arrivée sur le sol martiniquais.

Bref, la partie était gagnée. Aux yeux de la population le Père de la Négritude ne pouvait pas avoir reçu un raciste. Dès lors, l’animal politique était lavé de tout soupçon aux yeux des Martiniquais [7]. A sa sortie du bureau de CESAIRE, le futur président de la République allait se piquer d’un mot d’allégeance qu’il n’allait plus quitter, « mon Maître ». Cependant, mieux que l’amour, CHIRAC allait donner des preuves d’amour. Débarrassé de la cohabitation par sa réélection, en 2002, il prit à bras le corps le dossier institutionnel[8], au risque d’aller au-delà des vœux du PPM de M. CESAIRE. Ce parti craignait qu’Alfred MARIE-JEANNE, alors président du conseil régional et dans sa force ascendante, ne ramasse la mise[9]. Quoi qu’il en soit, c’était à la gauche de s’organiser, CHIRAC lui en avait donné les moyens.

Dernière Alfred MARIE-JEANNE, l’hommage de la gauche martiniquaise

Ainsi donc, comme le pense par ailleurs la grande majorité des observateurs, ce président n’était pas l’ennemi de la gauche, notamment de la gauche martiniquaise. C’est sans doute ce qu’a voulu signifier le Président de la collectivité territoriale de MARTIQUE en se rendant aux obsèques de Jacques CHIRAC. En bon Marie-Jeannien, le Président est allé au bout de son sentiment. Mais en cette veille d’élections municipales, l’humeur n’était pas à se mettre contre le vent du moment. Il reste encore des électeurs de droite. De sorte que son geste a été appuyé par la grande majorité de la classe politique. Cette reconnaissance, tardive ou du bout des lèvres pour certains, autorise à pasticher la formule de Périclès : « A Chirac, la gauche martiniquaise reconnaissante ».

Fort-de-France, le 1er octobre 2019

Yves-Léopold MONTHIEUX- ContreChroniques




[1] Le moratoire du 29 mai 1981 à la revendication autonomiste.

[2] Ce résultat fut reçu avec soulagement par CESAIRE (discours du 27 juin 1981).

[3] Lors de sa visite présidentielle en Martinique, en décembre 1974, VGE n’avait pas pu se rendre à la mairie de Fort-de-France. L’événement était apparu comme une victoire du « coq martiniquais ». Le visiteur aurait « caillé ». Le résultat du scrutin de 1981 peut être regardé par ses amis comme un rétablissement du président de la République sortant.

[4] Une seconde assemblée, le conseil régional, a été créée permettant à la gauche d’accéder au pouvoir. L’opération occasionna de nombreux doublons paralysants entre les 2 assemblées, dont la plus spectaculaire fut le partage des compétences du tourisme. Le combat contre le millefeuille qui s’ensuivit allait occuper toutes les énergies jusqu’à l’avènement de la collectivité unique en 2016. 35 ans plus tard !

[5] Antoine KARAM pour la GUYANE, Lucette MICHAUX-CHEVRY pour la GUADELOUPE et Alfred MARIE-JEANNE pour la MARTINIQUE.

[6] Initié par le gouvernement de Lionel JOSPIN.

[7] Une anecdote semblable mettra en vedette Nicolas SARKOZY qui, après que sa venue, prévue en décembre 2006, fut différée à cause de sa déclaration sur les « bienfaits de la colonisation ». Il était reçu deux mois plus tard par CESAIRE, entouré de son état-major. Au terme d’un discours louangeur où SARKOZY buvait du petit lait, CESAIRE le raccompagna en s’accrochant à son bras, devant une presse médusée. Au cours de l’interview du soir qui lui était accordée, la télévision publique n’avait pas eu le temps de revoir le questionnaire préparé. La journaliste de service, qui se voulait rugueuse, avait été à côté de la plaque (cf RFO – février 2007). Finalement, Aimé CESAIRE aura beaucoup servi. On dit de cet homme qu’il aura été le garant de la paix sociale à la Martinique.

[8] La réforme constitutionnelle relative à l’organisation décentralisée de la république permettant à « la collectivité territoriale d’élaborer les normes en s’affranchissant des normes générales (article 72) ».

[9] Le PPM avait mollement soutenu le OUI au référendum de 2003 que le secrétaire général, Camille DARSIERES avait brocardé par l’expression « Chat’en sac ». Le non l’avait emporté.

 

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