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Dépendance, indépendance, interdépendance

IX/ CENTRE STATIQUE ET CENTRE DYNAMIQUE : NEO-COLONIALISME ET CADRE OBJECTIF POUR LA DECOLONISATION DE LA MARTINIQUE.

par Jean Bernabé
IX/ CENTRE STATIQUE ET CENTRE DYNAMIQUE : NEO-COLONIALISME ET CADRE OBJECTIF POUR LA DECOLONISATION DE LA MARTINIQUE.

Il m’est avis qu’avec la Martinique, on a affaire à un type de colonie dont la caractérisation la plus pertinente est celle de « néo-colonie ».

Ce dernier terme, loin d’affaiblir en quoi que ce soit la notion de dépendance de type colonial, rend compte d’une particularité cruciale, portée par le préfixe « néo ». Ce préfixe implique qu’une décolonisation s’est opérée sans que tous les effets de la dépendance coloniale antérieure aient été évacués des rapports considérés comme nouveaux (néo-) avec l’ex-métropole. Dans mon précédent article, j’ai, sous le rapport de la dépendance, esquissé une assimilation du cas de la Martinique à celui des pays francophones dits indépendants d’Afrique, réunis sous le vocable peu reluisant de « Françafrique ». Cela peut sembler abusif et, de ce fait, disqualifier aux yeux de beaucoup la dénomination de « néo-colonie », terme que j’ai utilisé pour caractériser l’ensemble des ces différents pays, sans en avoir encore prouvé encore pertinence. Il importe d’inventorier les différences et similitudes qui existent entre la « Françafrique » et la Martinique et peuvent confirmer l’assertion de néo-colonie que je formule pour définir cette dernière.

La Martinique, par comparaison avec la « Françafrique », présente quelques spécificités :

1/ elle partage avec la France hexagonale une vie politique commune et ses citoyens ne sont exclus d’aucune élection, ce qui suppose une égalité citoyenne formelle.

2/ elle dispose pour ses citoyens de la possibilité de se déplacer sur le territoire français sans limitation. La migration des Martiniquais dans l’ensemble national ne rencontre aucun obstacle relevant de la police des frontières.

3/ enfin, son endettement lisible à travers son produit intérieur brut s’inscrit dans le cadre national français et n’implique pas un recours aux FMI ou à la Banque Mondiale, organismes qui pressurent les Etats indépendants en leur imposant des réajustements structuraux, lesquels ne font qu’augmenter la dépendance des pays concernés, tout en favorisant la corruption des dirigeants, devenant par là-même traitres envers leurs peuples.

4/ la Martinique bénéficie de façon automatique de transferts sociaux et d’une solidarité nationale comme tous les départements métropolitains.

Les quatre traits sus-énumérés distinguent de façon très nette la Martinique de pays comme, par exemple, le Sénégal ou le Togo.

Toutefois, leur prise en compte en vue de disqualifier l’assertion de néo-colonie appliquée à notre pays ne saurait être pertinente, dans la mesure où la Martinique relève à ce jour d’un processus de décolonisation par intégration et non pas par rupture. En effet, si les mots ont un sens et expriment des réalités précises, il n’y a aucune raison pour que ces quatre éléments-là ne soient pas à l’œuvre dans un cadre intégrateur. Sinon, le mot « intégration » perdrait son sens. Mais il n’y a non plus aucune raison pour que ces mêmes éléments de divergence bloquent la reconnaissance de phénomènes qui, pour ne pas être identiques, ne relèvent pas moins du même type de dépendance. Intégration ou rupture, un processus décolonisateur est défectueux en raison de son inachèvement. Il donne alors lieu à une dépendance non pas de droit, mais de fait par rapport au pays colonisateur. C’est donc, redisons-le, le caractère inabouti du processus de décolonisation, quelle que soit sa modalité, qui autorise la dénomination de néo-colonie. En bref, la métropole troque ses anciens habits pour de nouveaux, qui sont faits de la même toile, cousus du même fil, mais « reloukés » par le seul fait d’être montés en trompe l’oeil. Pour s’en convaincre, il suffit de répertorier les autres traits propres à accréditer la dénomination de « néo-colonie » pour la Martinique, comme la chose est déjà unanimement reconnue pour les pays dits de la « Françafrique ».

On doit s’en convaincre, les néo-colonies africaines, par exemple, issues de la rupture d’avec la métropole française et celles issues de l’intégration (Guadeloupe, Guyane, Martinique, Réunion) présentent des convergences et des divergences, ainsi que des avantages et des désavantages qui, même s’ils ne sont pas semblables d’un cas à l’autre, s’équilibrent plus ou moins dans leurs effets et s’inscrivent mutatis mutandis dans le même type de logique :

1/ La dépendance politique : au Sénégal ou au Gabon, par exemple, elle est mise en oeuvre par un gouvernement formellement souverain, mais soumis aux pressions extérieures, notamment de son ancienne métropole. Les orientations politiques fondamentales de la Martinique ne se décident pas pour l’essentiel sur place, mais dans l’Hexagone. Cela pourrait ne présenter aucune gravité si la Martinique ne se trouvait inscrite dans un contexte géographique très différent de celui de l’Hexagone et si les nécessités d’une insertion régionale bien comprise ne commandaient, sinon des ruptures, du moins des infléchissements, parfois cruciaux, de la politique extérieure française.

2/ Le Sénégal ou encore le Togo ont leur indépendance administrative, même si cette dernière relaye en définitive des décisions politiques marquées par une relative dépendance par rapport à l’ancienne métropole. À la Martinique, cette dépendance-là se présente sans camouflage. À cet égard, il faut rappeler que Sarkozy, lors de son dernier voyage a fait une découverte : il s’est rendu compte avec stupeur (selon ses déclarations) que tous les hauts représentants de l’Etat étaient des métropolitains. D’un point de vue départementaliste, son étonnement est justifié ; d’un point de vue autonomiste, il l’est moins. Mais d’un point de vue indépendantiste, qui ne saurait être le sien, cet état de chose me semble plus que normal, puisque, dans l’esprit d’un groupe d’hommes et de femmes se qualifiant de « patriotes » et se disant ressortissants d’un « pays occupé », en l’occurrence par l’Etat français, cet Etat ne peut être représenté que par des « Français ».

3/ Une inégalité sociale et économique commune à la « Françafrique » et à la Martinique, est due précisément à des relations structurelles de dépendance, empêchant le développement. Dans les deux cas, des politiques commerciales, économiques et financières animées par les capitalistes locaux, auxiliaires bancaires compris, et relayées par les instances médiatiques monopolistes permettent une domination des populations de ces pays. Domination dans laquelle la dimension culturelle n’est pas à négliger.

4/ Le Sénégal a une liberté en matière de coopération internationale tandis que la Martinique ne peut que s’inscrire dans le schéma de coopération global du Quai d’Orsay, sans guère de possibilités de face à face. La liberté du Sénégal ou du Gabon en la matière est cependant limitée par le jeu des rapports de force internationaux et, dans les grandes questions d’ordre planétaire, leur vote à l’ONU n’est jamais un vote à la mesure de leur souveraineté formelle, je veux dire libéré des pressions clientélistes des grandes nations, dont la France. Comme quoi, l’indépendance par rupture institutionnelle n’est jamais une garantie absolue contre la mutation du colonialisme en néocolonialisme. Il est vrai que beaucoup de choses dépendent de la manière et des conditions dans lesquelles a été obtenue l’indépendance. Il n’en reste pas moins vrai que tous les pays, même les moins fragiles économiquement, vivent leur indépendance dans une dépendance relative, appelée interdépendance. Les facteurs géopolitiques et géo-économiques qui règlent les rapports de forces entre les différents Etats-nations sont d’une complexité telle que la ligne de partage entre dépendance et indépendance se trouve bien souvent plongée dans un brouillard mouvant entretenu par une langue de bois généralisée.

5/ On ne peut nier le pillage des ressources de la « Françafrique » au prorata des richesses des différents pays concernés. On ne peut nier non plus une utilisation des positions géo-stratégiques qu’offre tel ou tel territoire. En ce qui concerne la Martinique, à part l’eau potable (et encore, est-elle si potable que cela ?), contrairement à la Nouvelle-Calédonie, par exemple, ou encore la Guyane, il n’y a guère de ressources à piller, mais son rôle géostratégique, tout comme celui des autres pays d’Outre-Mer, n’est pas négligeable. Si différence il y a en la matière, on a affaire ici à une différence non pas de nature, mais de degré.

6/ dans le cadre de la « Françafrique », la dépendance génère des réservoirs de main d'œuvre à bon marché, dont une partie est vouée à une émigration à l’issue problématique. Dans le cas de la Martinique, on n’a pas affaire à une main d’œuvre à bon marché et, si nos travailleurs ne rencontrent pas d’obstacle à leur migration, en revanche, ils occupent dans leur grande majorité les postes les moins qualifiés. Cette caractéristique, qui n’est pas coloniale en soi, puisqu’elle peut concerner un département pauvre comme la Corrèze, reçoit une interprétation subjective qui l’assimile, par effet de représentation biaisée, à un fait colonial. Dans certaines conditions, la subjectivité peut faitrele lit de l’objectivité…

Il apparaît que les traits néocoloniaux concernant la Martinique ne peuvent faire de ce département un banal « morceau de France palpitant sous d’autres cieux ». Ceux de ces traits qui distinguent ce département ultramarin de la « Françafrique » tiennent précisément au fait qu’une néo-colonie fonctionnant sur le mode de la conjonction constitutionnelle ne saurait avoir exactement le même profil qu’une néo-colonie relevant du mode de la disjonction constitutionnelle. Elle n’en reste pas moins une néocolonie, n’en déplaise aux départementalistes. De même que les Afro-descendants américains doivent continuer à se battre pour modifier le processus de décolonisation interne (et intégrationniste) au terme duquel ils ont obtenu le statut de citoyens américains, de même les Martiniquais doivent lutter pour conjurer les ratages et embardées de la décolonisation-intégration, qui est la voie objectivement ouverte par la loi de départementalisation de 1946 pour les quatre vieilles colonies. C’est d’avoir compris les imperfections de ce mécanisme qui a amené Aimé Césaire, moins de 10 ans après le vote de cette loi (dont il a été le rapporteur, au nom d’une très ancienne et très profonde revendication à l’égalité), à se convaincre de la nécessité de réclamer le statut d’autonomie.

J’ai dit dans un précédent article de cette chronique qu’on ne peut transposer sur un autre pays quel qu’il soit l’éventail politique d’un pays donné. Ce qui est repéré comme droite en France peut parfaitement correspondre, aux USA, à des caractéristiques de gauche et vice versa. D’où l’intérêt opératoire du concept de centre. J’ai également évoqué précédemment l’impossibilité où nous sommes en Martinique d’établir un centre statique et ce, en raison du caractère non autonome du jeu politique (ce que je ne confonds pas, je le répète, avec le statut d’autonomie). Cette assertion vaut encore pour la situation politique actuelle, malgré la mutation en cours. S’il avait été possible d’établir le centre statique, en le reliant à tel ou tel parti, il aurait été également possible de savoir où situer le curseur du centre dynamique, là où se jouent les forces opposées. On peut cependant conjecturer sans grand risque d’erreur que ce centre dynamique serait placé assez à gauche de l’éventail. En effet, le recul, sinon la déconfiture de ce qu’il convient d’appeler la droite, comme l’indiquent les résultats des récentes élections régionales, est considérable. Le phénomène est tel que son poids politique risque de rencontrer un point de non retour. Si les départementalistes purs et durs ne comprennent pas cela, leurs partis finiront donc en peau de chagrin, processus déjà largement entamé. Bientôt, il ne fera pas bon de respirer l’air de ce camp-là. Une droite devenue insignifiante est appelée pour tenter de survivre, soit à se renouveler, en changeant son logiciel et en l’adaptant à un discours plus martinico-centré, soit à se bercer de l’espoir d’un retour de flamme.

Les indépendantistes ne doivent pas faire l’économie d’une autocritique ouverte et transparente, voire une révision sans complaisance ni masochisme de leur stratégie, sans quoi ils risquent de perdre les acquis de cinquante années de luttes anticolonialistes. Quant aux autonomistes, actuellement à la tête de la Région, leur crédibilité et leur crédit se mesureront à terme non pas aux mots d’ordre, aux slogans, aux effets d’annonce, mais à leur capacité non seulement à préserver le capital anticolonialiste commun, mais aussi à rendre plus clair pour la population martiniquaise et ce, dans une vraie démarche pédagogique, les objectifs, les étapes et les moyens propres à les atteindre.

Prochain article :

Dépendance, indépendance, interdépendance

X/ Centre statique dynamique : néo-colonialisme et choix de décolonisation pour la Martinique.

Commentaires

malabo | 08/04/2010 - 23:28 :
DOMs exemple de colonisation réussie oui pourquoi puisque si l'on met à référendum, dans ces ex-colonies ayant par ailleurs connu le système de l'esclavage, la question de l'indépendance celle-ci risque d'ètre refusée à une grande majorité par la population ( Idem à Hawai, Puerto Rico, Gibraltar, Ceuta ou Melila toutes des ex-colonies). Par contre en 2010 parler de néocolonie et faire un parallèle avec la Françafrique me semble ne pas correspondre à la réalité juridique, économique et sociale de ces départements. Peut être doit on utiliser des outils d'analyse nouveaux pour caractériser des situations économiques, sociales et environnementales inquiétantes pour l'avenir de ces territoires et des français qui y résident. Dommage que le débat sur une véritable autonomie, comme c'est le cas dans les autres Régions Ultrapériphériques de l'UE, ait été tronqué lors des états généraux de l'outre mer et ce qui s'en est suivi sur le plan électoral. Gageons que mème dans le 73, les nouvelles institutions qui vont se mettre en place sauront développer et surtout mettre en oeuvre des politiques de développement économique et social soutenables et permettant aux dits territoires de sortir de leur dépendance.

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