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Interview de Cosette DELESSE

Interview de Cosette DELESSE

   Vendredi 20 mai, le lycée Paul Lacavé de Capesterre-Belle-Eau organise une grande manifestation culturelle et littéraire intitulée "LECTURES RESILIENTES". L'une des principales organisatrices, Cosette DELESSE nous en dit plus...

                                                                       ***

 
MONTRAY KREYOL : Vous êtes l'initiateur de la manifestation "LECTURES RESILIENTES" qui se tiendra le vendredi 20 mai prochain au lycée Paul Lacavé de Capesterre-Belle-Eau, pouvez-vous nous la présenter ? 
 
   C. DELESSE : « Lectures résilientes » est une manifestation centrée autour de nos lectures endogènes et/ou archipélagiques . Très souvent nous allons chercher ailleurs des lectures complètement «  exotiques" pour parler de nous! C’est au détour d’une visite au labo de Lettres de mon établissement que je me suis aperçue du très grand nombre de séries qu’on avait sur Racine  , Beaudelaire ou Pierre-Eric Emmanuel Schmitt et du peu de séries qu’on possédait d’auteurs antillais . Je ne dis pas qu’on n’en a pas mais si on compare on avait bien moins de séries venant des Antilles . Lectures résilientes est une manière de mettre en lumière  ces textes bien de chez nous .Un moment spécial pour ces textes qui contiennent des schémas de pensée pouvant influencer nos représentations mentales parce qu’ils concernent les membres d’une même communauté . Des récits contenant toutes,  des valeurs ,des croyances, une identité commune que nous partageons avec nos élèves ou que nous devrions faire découvrir à nos élèves , sans peur et sans complexes. 
 
MONTRAY KREYOL : Le terme "résilience" est très connoté et renvoie à l'œuvre de Boris Cyrulnik. Que signifie-t-il dans le cas de la Guadeloupe ? 
 
C. DELESSE : En effet ,  qui parle de résilience a nécessairement lu Cyrulnik et si  au départ , on parle de Cyrulnik inévitablement on dévie vers la résilience. L’homme Cyrulnik et la notion de résilience sont intrinsèquement liés. Ce pouvoir d’absorber ou de digérer les coups du sort , les coups bas de la vie .Cette « adaptation » que l’on à rebondir pour ne laisser au final filtrer que la vie. Je dirais que notre société toute entière est fondée sur la résilience .D’abord dans les expressions qui inondent notre vie  : " Les épreuves ne te tuent pas mais te rendent fort "  ; "Bondié ka baw chaj ou pé pòté"   = "Dieu ne te donne que les charges que tu peux porter »   ;" Bondié bon , on jou i ké baw saw mérité" = "Dieu est bon , un jour tu auras ta part"  ; « Biten a bondié long men i ka rivé baw on  lanbéli "= "Tout ce que tu mets dans les mains du bon Dieu , prend du temps mais arrive un jour , ne te laisse pas aller ,  crois-en lui «  !

Autant d’expressions et bien d’autres encore qui suggèrent l’adversité contre laquelle on s’en sort toujours grâce à la patience , grâce à confiance que l’on met en Dieu . La veillée par exemple a en elle cette résilience car dans le même temps , qu’on pleure le défunt  , on reçoit les vivants pour chanter , danser , rire , jouer ( je parle de la veillée traditionnelle ) comme pour raccrocher le mort à la vie , lui donner encore un semblant de vie; Chez nous  , le mort doit être impéccable , d’ailleurs les premiers qui vont le voir  ont toujours cet exclamation  à la bouche  : "on dirait qu’il ( elle ) dort" , "il est beau ou elle est belle » …"Les pompes funèbres font des merveilles aujourd’hui » dans d’autres sociétés , on appellerait ça du voyeurisme !  La veillée , un entre- deux  , où la finalité est la vie , la vie continue ! «  Que veux-tu , ce n’est pas nous qui décidons ! » Une résignation , une acceptation de la fatalité , une manière de dire qu’il faut se relever . « Sa ja fèt konsa » = On ne peut rien y faire , c’est la vie qui veut ça !

C’est ce que j’appelle la résilience passive , l’idée qu’on ne puisse rien y faire et l’idée de continuer vaille que vaille ! Vous observerez que ce type de résilience dont je parle est indissociablement liée à la grande réligiosité de la société. 

   De l’autre côté  , j’y vois une résilience plus active qui consisterait à comprendre au mieux les ferments de la société pour y débusquer des clés de compréhension  des sociétés créoles .Et , c’est là , ma démarche  dans ces « Lectures résilientes des sociétés créoles » car je propose une introspection à travers des textes pour comprendre comment nous fonctionnons . Quand , j’étais petite , très souvent mes parents me disaient , c’est comme ça ! "Timoun pa mété men -aw anlè tèt aw" != "jeune fille ( dans mon cas ) enlève tes mains sur ta tête « …"Je ne sais toujours pas pourquoi" ? Mon père , nous interdisait de manger des fruits , le soir . Pourquoi ? 

   Personnellement  , je donne à la résilience un côté actif , je ne veux pas avoir à digérer tous les coups bas de la vie parce qu’il faut passer à autre chose et continuer …Je veux pouvoir comprendre , disséquer les choses . Anticiper au mieux nos réactions face aux événements . Nous devons nous offrir la lisibilité de nos sociétés , sinon personne ne viendra le faire pour nous .

   Si je prends l’exemple de ce que j’appelle le trauma originel , la traite , l’esclavage , le génocide perpétré contre nos ancêtres , en aucun cas , je ne peux me dire résiliente de cette atrocité perpétrée contre mes pères , je n’absorberai  JAMAIS cet infâme commerce , cependant j’avoue que rentrer en résilience est une manière pour moi de questionner un événement pour en faire sortir des éléments objectifs qui m’aideront à évacuer le traumatisme psychique laissé dans mes manières d’appréhender la vie !

   Rendez-vous compte , qu’aujourd’hui , dès lors qu’un événement traumatisant arrive , la cellule psychologique n’est jamais loin …Mais , alors qui a évalué le traumatisme laissé par l’esclavage dans nos sociétés ? Qui a évalué le traumatisme qu’a laissé l’évacuation de la Soufrière , lors de l’évacuation de 1976 ? Qui a évalué le traumatisme des enfants de Saint-Pierre  ,  30 000 morts !   Je pense , franchement , que certains de nos textes si on les étudie de manière transversale donne ou impulsent des réponses. Si ce sont des oeuvres fictionnelles , le mimésique est suffisamment travaillé pour faire vrai et alors donner une approximation mentale des évènements tels qu’ils auraient pu avoir lieu .C’est cela ma définition des lectures résilientes.

      
MONTRAY KREYOL : Différents écrivains guadeloupéens et martiniquais y liront leurs textes devant vos élèves, est-ce pour vous une manière de rendre plus vivante la matière que vous enseignez ?

 

C. DELESSE : Non seulement  mais c’est surtout une manière de montrer l’être de chair et de sang qu’est l’auteur . Dans un univers , ou les lecteurs sont si peu empressés , c’est une manière de dire que l’écrivain  existe ! Une belle manière de partager la scène avec eux et peut être de réveiller des vocations . Qui sait ? Car , je trouve que l’école a en elle , des vertus résilientes insoupçonnées . Très souvent , on apprend des années plus tard  , par un élève qu’on a eu des années auparavant  , qu’on l’a tellement marqué qu’il a travaillé d’arrache pied parce qu’il reconnait en vous un catalyseur . Une personne qui lui a donné l’envie . Pourquoi ne pas espérer que la proximité avec des auteurs , des hommes politiques , des artistes plasticiens ne leur donne  l’envie d’aller plus loin.
 
MONTRAY KREYOL : Où en est la lecture au sein de l'école ? Les collégiens et lycéens lisent-ils moins à cause de l'Internet, notamment des réseaux sociaux ?
 C. DELESSE : Je suis dans un lycée professionnel et je suis au regret de constater que la lecture est une culture qui leur est vraiment étrangère . L’acte de lecture , lui même est très délicat , en fait bon nombre d’élèves anonent sans compréhension , et une bonne partie lit sans comprendre , et quelques uns qui sont de plus en plus nombreux ne lisent pas du tout ! Juste une infime partie arrive à un lecture compréhension . Je peux supposer qu’au collège cela va de moins en moins bien …puisque mes élèves de seconde ont de plus en plus de difficultés quant à la lecture .

 
MONTRAY KREYOL : Quelle place tient aujourd'hui la littérature dans l'actuel débat sur le devenir de la Guadeloupe ?

C. DELESSE : Si le débat existe ,  il doit l’être dans l’entre-soi feutré des grandes maisons  bourgeoises et je n’y suis pas invitée . Aussi , était-ce , une gageure pour moi d’inaugurer ces lectures résilientes au sein d’un lycée Professionnel labéllisé lycée des Métiers de l’Automobile , car bien souvent la culture sort d’ailleurs et jamais dans les parties portant crécelles du grand corps enseignant .Cependant compte tenu du mal que j’ai eu à faire financer mon projet , je me suis rendue compte que la culture avait ses quartiers et le lycée professionnel Paul LACAVE n’était vraiment pas attendu pour que s’y déroule une manifestation culturelle de haute volée compte tenu des noms qui prendront lecture demain soir !     Aussi mes dernières paroles , iront-elles , à toutes ces personnalités qui m’ont dit BANCO pour ces « Lectures Résilientes » . C’est avec beaucoup d’enthousiasme qu’elles ont accepté que je les dirige dans ces mises en lecture et en espace ( je précise que nous n’avons eu aucune répétition ensemble ) et enfin une mention particulière pour mon chef d’établissement  qui pas à pas à tenu à accompagner ce projet .

 

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