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INCIDENT A L’AEROPORT AIME CESAIRE

INCIDENT A L’AEROPORT AIME CESAIRE

Les Martiniquais seraient-ils devenus subitement chatouilleux quant à leur honneur ou leur fierté « nationales » ? Oui, s’il faut en croire le ramdam déclenché l’autre jour à l’aéroport Aimé Césaire suite à un banal incident entre une serveuse et le représentant d’une délégation sénégalaise venue fêter à Fort-de-France le 94è anniversaire du chantre de la Négritude. En effet, trouvant sans doute indigne qu’on lui attribue un ticket pour se faire servir au bar de l’aéroport, le Sénégalais a voulu l’utiliser dans le restaurant sélect de l’endroit, « L’Oursin bleu », ce que refusa une employée antillaise de l’établissement. Des mots ont été échangés entre les deux protagonistes et l’Africain aurait traité l’Antillaise de « fille d’esclave ». Aussitôt, l’incident a été répercuté sur les radios et les sites Internet antillais, déclenchant un raz-de-marée de protestations indignées de la part de nos chers compatriotes insulaires. Notre africanophobie latente s’en est donnée à cœur joie, à la grande joie, sans doute, de nos vrais oppresseurs.

Car, au fond, quel est le problème ? Il peut être analysé comme deux facettes d’une même médaille :

- notre incapacité à nous accepter comme fils d’esclaves et à en être fiers. Notre refus de valoriser et de promouvoir la langue et la culture que nos ancêtres ont crées en 3 siècles et demi malgré le fouet, le carcan et le cachot. Et là, la Négritude ne nous a vraiment pas aidés. Si elle a eu raison de revaloriser l’image de l’Afrique dans nos têtes, image que les colons européens avaient dégradée, si elle a eu raison de dénoncer le racisme anti-noir et notre désir de blanchiment, elle a eu tort dans le même temps d’ignorer ce que nous étions devenus. Elle a eu tort de ne pas reconnaître que nous n’étions désormais plus des Africains, mais bien des Créoles c’est-à-dire des bâtards et des déportés. Reprenant le terme stupide de « diaspora », en usage dans une tradition culturelle totalement différente de la nôtre, la Négritude a cherché à nous faire croire que nous étions une portion, sinon un appendice, d’un mythique « monde noir ». En clair, nous autres Antillais, souffririons d’un déficit d’africanité de part notre séparation du continent-mère, déficit qu’il nous faut chercher à combler par tous les moyens. {{Or, nous ne sommes la diaspora de personne : nous sommes un peuple, des peuples, à part entière qui, comme tels, ont droit à leur indépendance dans le concert des nations caribéennes d’abord, dans le concert des nations ensuite.}} La Créolité, à l’inverse de la Négritude, s’est efforcée de positiver notre bâtardise et d’évacuer le dolorisme permanent lié à notre déportation originelle. Si les Antillais adhéraient à la Créolité (ce qui n’est pas le cas), cette serveuse d’aéroport n’aurait pas dû être vexée de se faire traiter de « fille d’esclave ». La Négritude étant l’idéologie dominante, nous sommes dans un perpétuel rapport malsain, un rapport d’amour-haine avec l’Afrique. Un rapport infantile pour tout dire. Nous sommes en perpétuel besoin de reconnaissance de la part des Africains et il suffit que l’un d’eux nous dise en plein visage ce que nous sommes vraiment pour que nous poussions des cries d’orfraie.

Qu’est-ce qu’un rapport sain, adulte, avec l’Afrique, demandera-t-on ? Très simple : ne rien attendre et ne rien exiger de l’Afrique. Quand certains nationalistes antillais des années 60 ont voulu porter la question antillaise au Comité de Décolonisation de l’ONU et, cherchant l’appui des présidents Senghor (Sénégal) et Houphouët-Boigny (Côte d’Ivoire), se sont heurtés à un refus net et définitif, ils ont fait preuve d’une naïveté sans nom. Même Sékou Touré (Guinée), qui pourtant rompit brutalement avec la France et De Gaulle en 1958, n’a jamais prononcé un mot de soutien à la cause des « frères » antillais. Quand près de 50 ans après, un Raphaël Confiant, bien que chantre de la Créolité, dans un texte publié sur le présent site, se fend d’une lettre grandiloquente aux « chef d’Etat d’Afrique noire » pour leur demander de poser la question de l’empoisonnement au chlordécone devant l’Organisation de l’Unité Africaine, il fait montre d’une naïveté tout aussi criante. On est toujours dans un rapport infantile : pour les assimilationnistes antillais, « Papa la France » peut tout, pour les nationalistes antillais « Manman l’Afrique » peut tout.

Il est temps que nous nous comportions en adultes et comprenions une fois pour toutes que si nous ne « nous donnons pas trois tapes sur les fesses », comme on dit en créole guadeloupéen, si nous ne nous appuyons pas sur nos propres forces pour nous libérer du joug colonial, ce n’est pas le Sénégal, le Mali ou le Gabon qui le feront à notre place. Si le peuple antillais s’en fout d’être empoisonné au chlordécone depuis 30 ans, ce n’est pas, cher Confiant, les chefs d’Etat d’Afrique noire qui pourront faire quoi que ce soit pour lui.

- deuxième facette de la médaille : notre incapacité à identifier nos vrais oppresseurs. Il est clair tout d’abord que si effectivement quelques roitelets africains ont vendu les leurs, la responsabilité massive et du commerce négrier et de l’institution esclavagiste dans nos îles revient aux Européens et à personne d’autre. Ensuite, qui depuis 150 ans, nous empêche de devenir une nation à part entière comme Barbade ou Sainte-Lucie ? Qui n’a eu de cesse de nous bourrer le crâne pour nous faire croire que nous étions des Français à part entière tout en vidant nos pays de ses forces vives, par le biais du BUMIDOM, puis de l’ANT ? Qui a installé chez nous son armée, sa gendarmerie, sa police, son administration, son école ? Qui a planté soin drapeau sur notre terre ? Qui pratique le « génocide par substitution » si justement dénoncé par Aimé Césaire ? La réponse ne souffre d’aucune hésitation : les Français. Ce sont les Français qui occupent la Martinique et pas les immigrés caribéens ou les quelques Africains, Arabes ou Asiatiques installés chez nous. S’il est vrai que certains parmi ceux-ci se comportent comme des colons, comme des Caldoches noirs, appuyant et défendant le système colonial, il n’en reste pas moins vrai que la majorité d’entre eux fait preuve de sympathie envers notre culture et ne cherche pas à brider notre combat national. Tout ce que nous leur demandons d’ailleurs, en tant qu’étrangers, c’est d’être neutres. Si certains veulent faire l’effort de devenir des Martiniquais, c’est tout bénéfice pour nous, mais leur simple neutralité nous suffit amplement.

L’altercation entre la serveuse antillaise et le Sénégalais n’est donc qu’une tempête dans un verre d’eau. Notre réaction collective a été à la mesure de notre infantilisme, celui qui d’une part, nous pousse à trop attendre de l’Afrique et d’autre part, à ne pas combattre notre vrai oppresseur, la France. Tous les jours, des Français installés en Martinique (pas tous, dieu merci !, car beaucoup appuient notre combat) traitent les Antillais comme si l’esclavage n’avait jamais été aboli et pourtant personne ne proteste. Aucune radio, aucun site Internet ne se déchaîne contre eux.

Il était une fois un livre-manifeste qui commençait ainsi « Ni Amérindiens, ni Européens, ni Africains, ni Asiatiques, nous nous proclamons Créoles… ». Pourquoi les auteurs de cette phrase, qui nous définit à la perfection, n’ont-ils pas persévéré dans cette voie ? Le succès de leur littérature leur aurai-il fait perdre leur boussole ?

{{Jean-Laurent Alcide}}

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