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Immigrés guadeloupéens et martiniquais en Haïti au XIXe siècle : Tantôt Français, tantôt Haïtiens

Marie-Noëlle RECOQUE DESFONTAINES
Immigrés guadeloupéens et martiniquais en Haïti au XIXe siècle : Tantôt Français, tantôt Haïtiens

L’universitaire guadeloupéen Philippe Zacaïr enseigne aux Etats Unis, il étudie les rapports entre Haïti et ses immigrés afro-caribéens. Dans le Bulletin de la Société d’Histoire de la Guadeloupe, n°154, il nous propose un article consacré aux immigrés de la Guadeloupe et de la Martinique en Haïti, dans la seconde moitié du XIXe siècle.

 

Philippe Zacaïr s’appuie sur les comptes rendus rédigés au XIXe siècle par les consuls de France en Haïti. Ces  précieux témoignages sont à lire avec la conscience des  préjugés de leurs auteurs pour qui leurs  «compatriotes de couleur»  restent  «des individus qui ont gardé du nègre originaire, l’ardeur, la vanité, l’envie, l’amour du bruit, du scandale et des bamboulas législatifs.» On note que ces procès verbaux sont souvent  corroborés par  les points de vue exprimés par les responsables de l’Etat haïtien. Mais il manque quand même les témoignages des principaux intéressés.

 

Dés le début du XIXe  siècle, Haïti, première République noire, devient une terre d’accueil (surtout pour les Afro-américains) car les Haïtiens perçoivent leur pays comme la patrie naturelle des descendants d’Africains vivant dans l’espace des Caraïbes. 

 

En Haïti, les Guadeloupéens et les Martiniquais font du commerce, d’autres sont géreurs d’habitations, professeurs, médecins mais aussi charpentiers, commis agricoles ou employés communaux. On ne connaît pas les raisons exactes qui les ont poussés à s’expatrier, notamment après l’abolition de l’esclavage - l’étude reste à faire. L’administration coloniale fournit, quant à elle, une explication. Et le consul Burdel d’affirmer : «Ces mulâtres de nos Antilles ne viennent généralement ici qu’après s’être enrichis de casiers judiciaires.» L’exemple du sieur Reimbaud, condamné en 1844, par la cour d’assises de Pointe-à-Pitre à vingt ans de travaux forcés, semble lui donner raison; le consul français voit en ce mauvais sujet, désormais, le membre influent et  courtisé d’un réseau de corruption impliquant de hauts responsables de l’Etat haïtien.

 

En 1878, le consul général de France informe son ministère que les Guadeloupéens et les Martiniquais s’autorisent, en tant que Français, à ne pas respecter les lois haïtiennes; ils se battent souvent entre eux, ont maille à partir avec la police et les tribunaux quand ils ne se mêlent pas de politique en dépit de leur obligation de  neutralité.  Pour le consul français cet activisme politique est intéressé, « plus d’un, explique-t-il, se voit déjà, en récompense de ses services, pourvu du grade et du plumet de Général de Division, avec la grosse prébende de Chef d’arrondissement. »

 

Le gouvernement haïtien invite très tôt ces immigrés à se faire naturaliser. Les conditions de cette naturalisation semblent apparemment imprécises puisqu’elles permettent aux Guadeloupéens et Martiniquais de se prétendre haïtien ou français, selon les circonstances, afin d’échapper aux lois de l’un ou l’autre de leurs pays d’appartenance. Mais le plus souvent, profitant de l’avantage de leur origine africaine, les Guadeloupéens et les Martiniquais préfèrent s’intégrer dans la population sans se faire naturaliser pour autant; une façon de contourner les interdits opposés aux étrangers consistant, par exemple, à nouer des liens matrimoniaux avec des Haïtiennes et accéder ainsi au droit de propriété.

 

Bien sûr, on peut supposer que tous les Guadeloupéens et tous les Martiniquais ne se font pas  remarquer en mal dans leur pays d’adoption mais il est de notoriété publique que beaucoup d’entre eux , comme  d’autres étrangers, excellent à exploiter et à gruger le jeune Etat haïtien par des truchements les plus divers,  notamment en se montrant plus exigeants, voire injustes, dans leurs réclamations de dommages-intérêts que les Blancs. 

 

A tort ou à raison, la France ne manque pas de soutenir ses ressortissants. En 1883, le député guadeloupéen Gaston Gerville-Réache ira jusqu’à intervenir à l’Assemblée nationale française pour défendre les réclamations malhonnêtes de négociants guadeloupéens, à la suite de l’incendie  de Port-au-Prince. Il faut ajouter aux pressions diverses exercées à tout propos sur Haïti, la sempiternelle et dissuasive menace brandie par la France d’interventions militaires contre la jeune République noire.

 

Le gouvernement haïtien finit par prendre ombrage de l’attitude des Guadeloupéens et des Martiniquais, la gestion de ces immigrés à la fois semblables et différents et si opportunistes lui pose  problème et  il tente la coercition en refusant aux étrangers les patentes nécessaires à l’exercice de leur profession. En 1865, le président haïtien Fabre Geffard dit craindre l’envahissement de son pays par des hommes de couleur étrangers qui refuseraient de se faire naturaliser tout en concurrençant sur leur propre sol les Haïtiens. Le consul général de France lui oppose l’argument faisant des Guadeloupéens le moteur du développement de l’industrie et du progrès social.

 

Mais aujourd’hui de nombreux spécialistes démontrent que les Guadeloupéens, les Martiniquais et autres étrangers, qui ont dominé tout au long du XIXe siècle l’économie haïtienne, ont exercé  « une influence fondamentalement négative sur le développement de la République noire.» Pour l’historienne Brenda Gayle Plummer, « loin de contribuer à la prospérité du pays, la concurrence étrangère a en fait durablement ancré l’économie haïtienne dans la dépendance et le sous-développement ».

 

Philippe Zacaïr a le mérite d’initier une recherche sur la présence des Guadeloupéens et des Martiniquais en Haïti, au cours du XIXe siècle, recherche qui devrait notamment permettre de définir leur rôle dans la construction de la République noire naissante. Selon l’historien s’intéresser à cet épisode de l’histoire pourrait permettre également de « mieux saisir la complexité de la réception d’Haïti chez les populations d’ascendance africaine du bassin des Caraïbes ».

 

La contribution de Philippe Zacaïr peut être lue en entier sur internet : Immigrés guadeloupéens et martiniquais en Haïti dans le regard des consuls français (1848-1900)

https://www.erudit.org/fr/revues/bshg/2009-n154-bshg02574/1036848ar.pdf

 

Marie-Noëlle RECOQUE  DESFONTAINES

Commentaires

Georges Noel COLDOLD | 22/05/2020 - 14:21 :
Beaucoup de ceux qui considèrent les immigrés haïtiens comme des envahisseurs ou les traitent avec condescendance, devraient connaître cette page d'histoire.

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