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Ile de Saint-Martin : le business côté néerlandais, la déglingue côté français

Ile de Saint-Martin : le business côté néerlandais, la déglingue côté français

Cette petite île des Caraïbes, franco-néerlandaise, est un vrai cas d’école : deux systèmes socio-économiques antagonistes s’y font face. Rarement à l’avantage du "modèle français".

Oyster-Pond : dans cette baie de carte postale, les yachts se mirent dans l’eau turquoise face à de magnifiques villas nichées au coeur d’une végétation luxuriante. Ce pourrait être le paradis si ce port de plaisance des Caraïbes n’était l’objet d’un terrible différend territorial. Il se situe en effet juste sur la frontière qui partage en deux l’île de Saint-Martin, un confetti de la taille de l’île de Ré piqué au nord de la Guadeloupe : d’un côté, Saint-Martin, une collectivité d’outre-mer appartenant à la France, et, de l’autre, Sint Maarten, un territoire autonome dépendant des Pays-Bas. Selon la légende, c’est de ce point précis que seraient partis, en 1648, les coureurs français et néerlandais chargés de longer la côte, l’un vers le nord et l’autre vers le sud, leur point de rencontre devant marquer l’autre côté de la frontière. Dopé au vin rouge ou au rhum, cela dépend des versions, le vil athlète tricolore n’aurait pas hésité à prendre des chemins de traverse, ce qui permit à l’Hexagone de rafler un territoire plus grand. Mais, tout à leur joie de se diviser cette île, les représentants français et néerlandais oublièrent de se mettre d’accord sur le tracé de la frontière à Oyster-Pond.

Trois cent cinquante ans après environ, les deux administrations s’affrontent toujours à ce sujet, et les autorités de Sint Maarten boudent les célébrations communes depuis que la France s’est risquée à contrôler un chantier dans la portion contestée. Il faut dire que ces quelques centimètres changent tout. Au nord, Saint-Martin est une reproduction miniature du modèle français et doit appliquer notre droit et nos normes sans en avoir forcément les moyens : l’île n’a ni prison ni prud’hommes ! Au sud, Sint Maarten met en pratique avec ferveur les principes du laisser-faire à l’anglo-saxonne sans avoir à se soucier le moins du monde des règles européennes (son statut l’en exonère) et des remontrances des Pays-Bas. Entre ces deux systèmes aux antipodes, une frontière théorique, sans contrôles douaniers, car, depuis la partition de l’île, c’est le principe de libre-circulation des biens et des personnes qui prévaut. Cela ne vous rappelle rien ? "Ici, c’est l’Union européenne avant l’heure", constate, mi-figue mi-raisin, Daniel Gibbs, député de Saint-Martin et président de la collectivité.

> Saint-Martin français - Sint Maarten néerlandais, les différences administratives :

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La partie hollandaise attire les investisseurs et les touristes

Du coup, son territoire subit de plein fouet la concurrence de son voisin, et on ne peut pas dire que cela lui réussisse. Le PIB par habitant y est presque deux fois inférieur à celui de l’autre partie (14.700 contre 26.021 euros), le chômage trois fois plus élevé (30,5% contre 11,5%), et le taux de délinquance pourrait faire s’évanouir même les caïds de la pègre marseillaise. Chaque année, on y recense 220 vols à main armée pour 1.000 habitants, contre 64 en Guadeloupe et 14 dans les Bouches-du-Rhône. Lorsque l’on parcourt l’île, la différence de dynamisme est flagrante.

Sur le territoire néerlandais, 2,4 millions de touristes débarquent chaque année pour dépenser allègrement leurs dollars dans les magasins duty free, les bars aux moeurs légères et les casinos où le port d’une tenue correcte est loin d’être exigé… En face, malgré ses plats créoles et ses splendides réserves naturelles, Saint-Martin attire… 24 fois moins de voyageurs ! Sur le front de mer de Marigot, la capitale, les visiteurs ne se bousculent pas pour arpenter les allées du marché aux souvenirs ou faire du shopping dans les magasins de luxe. "C’est rageant, car nous disposons de beaucoup d’atouts et d’une vraie authenticité", regrette Stéphanie Caliste Manette, auteur de "Dynamiser le tourisme à Saint-Martin", en balayant du regard la baie de la capitale.

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Mais voilà, la beauté des paysages ne suffit pas pour être compétitif, surtout face à une voisine assez peu encline à contrôler l’économie souterraine et les activités de blanchiment. "Il est clairement plus attractif d’investir là-bas", assure Paul van Vliet, partenaire associé chez PwC Dutch Caribbean. D’abord, parce que le territoire batave se préoccupe peu d’accorder des droits sociaux à ses travailleurs. Le salaire minimum y est très bas, les congés payés deux fois moins généreux que de l’autre côté (15 jours par an contre 30) et les 35 heures inconnues au bataillon. Les charges aussi sont moins élevées. Le Fipcom, le Medef local, a fait les calculs. Sur une base de 176 heures travaillées par mois, un salaire minimum avec cotisations revient à 968 euros côté néerlandais et à 2.160 euros chez les Français ! Le plombier polonais peut aller se rhabiller : à Saint-Martin, la concurrence est beaucoup plus féroce et habite sur le trottoir d’en face. Ajoutons que, même si les impôts y sont moins lourds qu’en métropole, Saint-Martin pressure bien plus ses contribuables. A Sint Maarten, la taxe foncière n’existe pas, et certains grands projets peuvent bénéficier d’une exonération complète.

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> Les chiffres du business des deux côtés de l'île :

©S. Frances / Only France. Sources : IEDOM, Chambres de commerce et d'industrie de Saint-Martin et de Sint Maarten, FIPCOM, Sint Maarten Department of statistics.

Les normes françaises plombent les entreprises

Comme si tout cela ne suffisait pas, les Frenchies doivent supporter des normes autrement contraignantes que leurs veinards de voisins. Inimaginable de leur côté, par exemple, de laisser des touristes se bousculer au péril de leur vie sur une plage située en bout de piste d’aéroport pour voir les avions raser le sol. Les Néerlandais, eux, se contentent de planter un panneau "Danger de blessure grave ou de mort" qui ne fait reculer personne. Tout est comme ça ou presque. "Sur un même bateau, leurs loueurs peuvent mettre 120 personnes et les nôtres pas plus de 28", s’agace Bulent Gulay, président de l’association Métimer, qui regroupe les professionnels de la mer. Les hôteliers sont obligés d’utiliser des draps ignifugés qui coûtent les yeux de la tête, alors que leurs concurrents néerlandais peuvent utiliser du linge basique. "Du coup, pour être rentables, nous devons remplir nos chambres à 60%, contre 40% pour nos concurrents", témoigne Philippe Thévenet, président de l’Association des hôteliers de Saint-Martin. Même morosité chez les restaurateurs, qui ne peuvent pas servir de la viande des Etats-Unis (moins chère), ou dans le secteur du bâtiment, dans lequel les normes augmentent de 30% les coûts de construction. Résultat, les permis de construire ont été trois fois plus nombreux en 2015 chez les Néerlandais (219 contre 73).

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Voilà comment, avec exactement la même population, Saint-Martin réussit la prouesse d’abriter beaucoup moins d’entreprises que son voisin batave : à peine 7.000, dont seulement la moitié réellement en activité, contre 11.000. "Et nombre d’entre elles ont des difficultés à survivre", ajoute Michel Vogel, président de la Fipcom. Juste retour des choses, l’assistanat, lui, se porte bien : aux derniers pointages, un habitant sur cinq de la partie française était bénéficiaire du RSA, et cette seule prestation engloutissait 12% du budget de fonctionnement du territoire ! Circonstance aggravante, les prestations versées ne sont souvent même pas dépensées côté français, car bon nombre de Saint-Martinois, attirés par un taux de change favorable (chez les Néerlandais, la monnaie officielle est le dollar), préfèrent faire leurs achats de l’autre côté de la frontière. Selon les autorités, certains bénéficiaires du RSA y travailleraient d’ailleurs discrètement pour arrondir leur allocation en toute illégalité . "Ils occupent souvent des emplois de nuit dans les casinos ou les bars, car l’administration française ne peut effectuer ses contrôles que pendant la journée", dénonce Paul van Vliet.

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Budget dans le rouge pour Saint-Martin

Le plus rageant c’est que beaucoup d’habitants de la partie néerlandaise n’hésitent pas à venir à Saint- Martin – et parfois à carrément s’y installer – pour tirer profit de la générosité de son modèle social. Tout comme la métropole, ce petit morceau de France dispose en effet d’un système de santé et d’éducation de bonne qualité qu’il serait dommage de ne pas utiliser. On le voit, cette île des Caraïbes est finalement un bon exemple de division internationale des tâches. D’un côté, on a les entreprises, le dynamisme et les emplois. De l’autre, les charges, les pesanteurs et les prestations. Pas étonnant que Saint-Martin, dont la gouvernance est très instable – depuis 2007, huit présidences se sont succédé, dont trois ont été invalidées par le Conseil d’Etat –, ait du mal à boucler son budget !

Régulièrement dans le rouge depuis le milieu des années 1990, ses finances ont été encore un peu plus plombées par le changement de statut intervenu en 2007. Détaché du département de Guadeloupe et transformé en une "collectivité d’outre-mer", le territoire a vu sa dette grimper de 14% à plus de 50% du PIB. Il faut dire que les recettes ont beaucoup de mal à rentrer dans les caisses, car, plus encore qu’en métropole, la fraude et l’évasion sont ici un sport national. Les habitants accusent aussi Paris de ne pas avoir compensé les transferts de compétences.

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Alors que faire ? Fermer les frontières ? Inimaginable, car la plupart des Saint-Martinois ont de la famille des deux côtés. Rogner le modèle social ? Non seulement cela ficherait un bazar du diable pire qu’en Guyane, mais il n’est pas sûr que cela suffirait à assainir la situation. "Pour que Saint-Martin devienne aussi compétitif que son voisin, il faudrait que les règles du jeu convergent, ce qui représenterait un énorme sacrifice", juge Gilles Genre-Grandpierre, de l’Iedom, filiale de la Banque de France dans les DOM-TOM. Alors, conférer à Saint-Martin le statut européen de PTOM (Pays et territoires d’outre-mer), comme Sint Maarten ? Certes, cela lui permettrait de s’extraire de l’emprise de Bruxelles, prévient Loïc Grard, professeur à l’université de Bordeaux et auteur d’un rapport sur la question. Selon lui, la France aurait plutôt intérêt à aller négocier en douceur des traitements dérogatoires à Bruxelles pour ses possessions d’outre-mer. "En s’y prenant bien, elle devrait pouvoir obtenir des adaptations suffisantes pour améliorer les choses", assure-t-il. "Pas la peine de casser la baraque, nous avons seulement besoin de plus de marge de manoeuvre", confirme Daniel Gibbs, le président de la collectivité. Plutôt que de sortir le carnet de chèques à chaque embrasement et d’oublier tout de suite après les difficultés de ces territoires, Paris ferait bien d’y songer.

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